Le respect de l’intérêt social, une condition sine qua none de l'engagement d'une sci dans la garantie d'un tiers

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

charles brenacLa Cour de cassation conforte une position jurisprudentielle, facteur d'insécurité pour les créanciers de sociétés civiles, en rappelant que la sûreté donnée par une société civile, bien que consentie avec le consentement unanime des associés, doit être conforme à son intérêt social. Ce positionnement pris, les praticiens vont devoir s'adapter.

Dans une économie de marché, il est primordial que les sociétés civiles puissent mener une vie juridique comme des personnes physiques pour qu'elles puissent être à égalité avec leurs concurrents ou leurs partenaires. Toutefois, une société ne détient pas la même capacité juridique que peut avoir une personne physique pour s’engager contractuellement. En effet, pour les personnes morales, la capacité juridique de contracter est tempérée par un principe de spécialité légale et par une spécialité statutaire. 
D’une part, le principe de spécialité d’origine légale impose que les sociétés civiles ne peuvent exercer qu'une activité civile et non une activité commerciale. La règle de la civilité de l’objet, bien qu’elle s’induise davantage l’esprit des textes que leur lettre, est reconnue unanimement par la doctrine.
D’autre part, la capacité de contracter est tempérée par la spécialité d’origine statutaire telle qu’elle résulte de l'article 1849 du Code civil qui dispose que dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social. 

Il est acquis que la garantie de la dette d’un tiers ne peut être donnée par une société civile que dans la stricte mesure où elle ne constitue qu’une activité accessoire à une activité civile de la société et cela de manière occasionnelle. 
Dès lors que cette spécialité légale est respectée, il convient de respecter certaines contraintes jurisprudentielles inhérentes à l'objet social. La jurisprudence semblait s’être stabilisée au début des années 2000 sur les conditions d'efficacité d’un cautionnement réel consenti par une société civile. Les recours au concept de la communauté d'intérêts et à l'accord unanime des associés semblaient avoir permis de consolider un cautionnement non directement conforme à l'objet social.

Il résultait de cette jurisprudence que la garantie de la dette d’autrui devait se rattacher directement ou indirectement à l'objet social. Le cautionnement était valide s’il entrait directement dans son objet social ou s’il existait une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résultait du consentement unanime des associés. 
Ce rapprochement à l'objet social, à le supposer respecté, n'apparait plus aujourd'hui comme suffisant. Plusieurs décisions de la chambre commerciale viennent jeter le trouble sur les garanties de la dette d’autrui même en présence d’une coparticipation à l’acte de tous les associés en érigeant ainsi l'intérêt social comme une condition distincte, praeter legem.
Le raisonnement est le suivant. Il convient que la société civile qui se porte caution ait intérêt à l'opération principale. Cette opération principale n'aurait pas pu se réaliser sans que la société civile n'apporte sa sûreté personnelle. En se portant caution, la société civile permet la réalisation de l'opération principale, et agit donc dans son intérêt. A défaut, le cautionnement n'est pas valable.

La présente décision de la 3ème chambre participe de ce raisonnement. Les garanties au bénéfice d'un tiers qui, par hypothèse, n'entrent pas dans l'objet social des sociétés civiles, doivent s’analyser comme des opérations conformes à l'intérêt social ou, du moins, ne pas être en contrariété à celui-ci alors même qu’elles auraient été accordées avec l'accord unanime des associés.
Un acte qui n’entre pas dans l’objet social, bien qu’il soit autorisé par l’unanimité des associés, peut être annulé s’il n’est pas conforme à l’intérêt social ou s’il y est contraire. En d’autres termes, il convient de considérer que l’acte qui dépassera l’objet social, bien que pris à l’unanimité des associés, pourra être annulé au regard de l’intérêt social, c'est-à-dire au regard d’une considération subjective laissée à l’appréciation des juges du fond. Considération subjective pour laquelle ces derniers préfèrent ne pas fournir de définition trop précise, ce qui leur permet de l'utiliser en tant que standard, au gré de leurs besoins.
L’intérêt social relève donc un des effets de la personnalité morale qui, au détriment de la sécurité juridique et financière des créanciers, joue le rôle d’écran entre ses créanciers et les associés et leur volonté, même unanime.
Le préalable à toute prise de garantie doit donc consister à essayer de mesurer l'intérêt social que peut avoir la société civile de consentir la garantie. Il conviendra alors de comparer les avantages procurés et les risques encourus par la conclusion de la prise de garantie. La société civile devra avoir un intérêt, direct ou indirect, financier ou économique, propre à consentir l’hypothèque ou à se porter caution.

Il conviendra aussi d’évaluer le poids que représente la sûreté pour la société et si la garantie ne constitue pas un risque de disparition pour la société. L’arrêt, présentement commenté, rappelle que cette garantie ne doit pas être de nature à remettre en cause l'existence même de la société compte tenu de l'importance du bien engagé.
Le praticien devra donc faire preuve de vigilance s’il est amené à rédiger ce type de garantie. La consistance de l’intérêt social pour faire l’objet d’un exposé préalable dans l’acte après avoir été mesuré. Tout porte à croire que le praticien ne pourra pas faire l’économie d’une reconnaissance de conseils donnés au créancier ou même envisager de refuser de rédiger ou d’instrumenter, au vu du risque éventuel d’annulation, lorsque les circonstances rendront difficile l’appréciation de l’intérêt social.


Charles BRENAC
Notaire
Docteur en Droit Privé
Diplômé Supérieur de Notariat


Lex Inside du 26 avril 2024 :

Lex Inside du 23 avril 2024 :

Lex Inside du 18 avril 2024 :