Taxe GAFA : peut-on encore taxer Amazon ?

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doriane delestrangeDoriane de Lestrange, Ancien avocat, devenue journaliste, rédacteur et analyste, se demande si on peut encore taxer Amazon.

Le géant américain du commerce en ligne fait partie du désormais célèbre groupe dit des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui modèle de manière inédite, et à l’échelle mondiale, notre écosystème technologique et économique.

Si Amazon semble être une aubaine pour la majorité des consommateurs et qu’il a considérablement modifié leur manière d’acheter, il n’en est pas de même pour les Etats qui se retrouvent, quant à eux, privés d’une contrepartie digne de ce nom.

Un manque à gagner considérable

Les cinq géants du net sont passés maîtres dans l’art de l’optimisation fiscale ; le mécanisme favori restant le transfert de leurs activités réalisées en France (ou dans d’autres pays européens à la fiscalité comparable à la nôtre) vers des pays où les impôts sont plus faibles. Iles Caïmans, Irlande, Pays-Bas ou encore Luxembourg sont les places fiscales privilégiées des GAFAM qui, d’une certaine manière, évitent ainsi un impôt qu’ils jugent trop lourd sans toutefois entrer dans l’illégalité. Si ces mécanismes d’optimisation fiscale n’ont à ce jour rien d’illégal, il n’en demeure pas moins qu’ils induisent un manque à gagner prodigieux pour les Etats concernés.

Une récente étude réalisée par le député, ex-secrétaire d’Etat en charge du numérique, Mounir Mahjoubi (se basant sur les chiffres et statistiques publiques fournies par Orbis, Eurostat et le panel Kantar), établit que les géants américains du numérique devraient payer au fisc français environ neuf fois plus d’impôts qu’ils ne le font aujourd’hui.

Si la France a été le premier pays européen à décider de mettre en place une taxe GAFA qui devraient rapporter quelques 400 millions d’euros à l’Etat d’ici la fin 2019, le manque à gagner serait en réalité astronomique et approcherait du milliard d’euros (les GAFAM ayant versé à eux cinq quelques 130 millions d’euros d’impôts en 2018… ).

Une fiscalité vieillissante

Comment est-ce possible ? Une fiscalité vieillissante et inadaptée aux nouvelles réalités du marché. Comme l’explique l’avocat Thomas Mercey, spécialisé en fiscalité internationale, la législation fiscale n’a pas évolué alors que nous sommes entrés dans un nouveau modèle économique. Jusque-là, les entreprises étaient imposées sur les bénéfices en proportions de leur présence physique. Aujourd’hui, une entreprise comme Amazon n’a en principe aucunement besoin d’une structure physique ou de salariés en France pour y proposer ses services de vente en ligne. Ce modèle numérique faussement « hors sol » met ainsi à mal le législateur en exploitant des vides juridiques insoupçonnés. De cette manière, Amazon ne paye pas la TASCOM (taxe sur les surfaces commerciales), dont doivent pourtant s’acquitter les commerces en France, au motif que cette dernière ne concerne que les surfaces physiques où le consommateur fait effectivement ses achats. À cela s’ajoutent des cas de fraude à la TVA commis par des vendeurs utilisant la plateforme sans toutefois se conformer à la législation fiscale française. Un double avantage compétitif certain, que d’aucuns pourraient pourtant qualifier de déloyal.

Notons par ailleurs que les tentatives de taxations décidées ont déjà été évitées par les entreprises du numérique, le cas le plus récent étant (encore) celui d’Amazon qui répercute depuis le mois d’octobre le nouvel impôt sur une partie de ses clients : les vendeurs passant par sa plateforme pour commercialiser leurs produits. Ces parades ne se limitent d’ailleurs plus à l’Union européenne mais existent également aux Etats-Unis où le géant du e-commerce est parvenu à éviter l’impôt sur le revenu fédéral de manière parfaitement légale.

Les Etats percepteurs fautifs ?

Si cette faible taxation des GAFAM peut paraitre injuste et, pour certains, abusive, il est nécessaire de s’interroger sur les raisons qui ont permis à ces situations de se créer.

De la même manière qu’Airbnb et Uber se sont développés sur un vide juridique, les géants américains du net ne se sont pas mis dans l’illégalité, mais ont simplement profité de mécanismes qui les protègent d’une fiscalité qu’ils jugent trop lourde. Ils se sont contentés d’avoir recours à des outils proposés par le droit et parfois même paradoxalement mis en place par les mêmes administrations qui les dénoncent. Si ces pratiques peuvent être philosophiquement contestables, elles ne sont, pour la plupart, pas illégales.

Les GAFAM sont donc une illustration parfaite du fait que la fiscalité internationale et les modèles de taxation locaux ne sont clairement plus adaptés aux nouveaux modèles technologiques et économiques qui se sont établis au cours des dernières décennies.

Plus qu’une régulation, une révolution fiscale ?

Il n’en demeure pas moins que ces pratiques, si elles ne vont pas à l’encontre de la loi, ne sont pas sans conséquences potentiellement néfastes sur nos sociétés. Un e-commerce dérégulé viendrait heurter de plein fouet des notions telles que l’égalité face à l’impôt et l’équité en matière de charge fiscale.

La concurrence serait elle aussi mise à mal tant au niveau juridique, qu’au niveau social : une concurrence déloyale par rapport aux commerces de proximité s’acquittant de lourdes taxes, un effondrement des centres-villes et des conséquences à long terme sur l’emploi.

Dans une tribune écrite à six mains pour le Parisien, les représentants du commerce en France (Jacques Ehrmann, président du Conseil National des Centres Commerciaux, François Feijoo, Président du PROCOS - Fédération pour la promotion du commerce spécialisé et Christian Pimont, Président de l'Alliance du Commerce) dénonçaient déjà les conséquences de cette iniquité fiscale, rappelant que le « déclin » du « commerce local » avait participé à « la désertification des centres-villes et au malaise des territoires ».

On est alors en droit de se demander si les États et les organisations internationales prennent le problème dans le bon sens et si leurs tentatives de régulations et de taxation ne devraient pas passer d’abord par une refonte globale et profonde de leurs systèmes fiscaux, ceci afin de mieux protéger les commerçants et les emplois contre le colosse numérique.

Doriane de Lestrange
Ancien avocat, devenue journaliste, rédacteur et analyste.
Elle se concentre sur les questions européennes, stratégiques et économiques.


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