Le code de la propriété intellectuelle se montre particulièrement sévère vis-à-vis de la sanction des contrefaçons. Au point d’en oublier le respect des droits fondamentaux garantis par la constitution. Il est urgent de modifier le code de la propriété intellectuelle pour corriger ses excès.
Le 2 octobre 2019, la 11ème chambre du Tribunal correctionnel spécialisé dans la délinquance économique et financière a interrogé la Cour de cassation au sujet de la conformité constitutionnelle du Code de la propriété intellectuelle. Derrière cette procédure se cache un sujet de droit essentiel : les sanctions prévues à l’encontre des personnes responsables de contrefaçons vont-elles trop loin ?
Les grands groupes du luxe ont imposé une répression sans merci sur les contrefaçons
La contrefaçon est un fléau qui mine notre économie nationale. Chaque année, les grandes marques de luxe françaises déplorent un manque à gagner de près de 7 milliards d’euros du fait de cette concurrence sans droit. Sous l’effet de leur lobbying, le législateur a engagé depuis quelques années une lutte énergique pour réprimer toute forme de contrefaçon (brevet, dessins et modèles, marques et droit d’auteur) avec une rare sévérité.
Outre un gouvernement à l’écoute qui permet aux grandes maisons de haute couture de disposer d’un arsenal législatif sur mesure, les groupes industriels du luxe bénéficient également d’une institution judiciaire mobilisée pour démanteler les réseaux de contrefaçons : placement sur écoute, filature, expertise complexe pour évaluer le préjudice économique, commission rogatoire internationale, contrôle judiciaire serrée, saisie des biens des suspects en vue de la réparation du préjudice. On notera que les biens saisis sont conservés tout au long de l’instruction qui dure souvent plusieurs années.
Soyons clairs : la lutte contre la contrefaçon est un combat légitime et la mise en œuvre de moyens important pour mener ce combat est justifié. Toutefois les articles édictés pour réprimer ce délit pris sous la pression de puissants groupes d’influence apparaissent dénuée du sens de la mesure dans leur champ d’application comme dans les sanctions qu’elles prévoient. De plus, le législateur se montre particulièrement timoré lorsqu’il s’agit, dans ce domaine, de soumettre son œuvre législative à un contrôle de constitutionnalité.
Il en résulte ce à quoi on pouvait s’attendre : des infractions au champ d’application étendu, associé à des sanctions excessives au point de constituer une menace d’arbitraire pour les justiciables.
Des définitions trop larges et des sanctions disproportionnées
Le code de la propriété intellectuelle en définissant par exemple l’infraction de contrefaçon du droit d’auteur à son article 335-3 comme « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit » use de termes volontairement larges et confus afin d’élargir au plus grand nombre la portée de ces infractions. C’est sur ce fondement que l’artiste plasticien Buren et l’architecte Drevet ayant réaménagé la place des Terreaux de Lyon, se sont cru autorisé à assigner pour contrefaçon de droit d’auteur les éditeurs de carte postal représentant cette place. Le concept élargi de droit d’auteur va à l’encontre du principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi qui vise à exclure l’arbitraire.
Autre exemple, le droit d‘auteur peut être revendiqué par le créateur de toute « œuvre originale ». Aucune précision n’est cependant donnée pour définir et encadrer ce qui peut être désigné par cette expression. À charge donc pour les juges d’apprécier librement ce qui peut être considéré comme « original ». C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a reconnu le caractère a protégeable par le droit d’auteur du modèle dit « classic » d’un sac à main de la marque Balenciaga au motif que « son aspect original représenterait la personnalité de son auteur ». Faire reposer un droit aussi grave que celui de la propriété du droit d’auteur sur une notion aussi incertaine et aléatoire pose là aussi un risque d’arbitraire et d’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie dont est censée nous prémunir la Constitution
La protection du droit d’auteur porte également atteinte à la liberté d’expression dont « l’exercice est une condition de la démocratie » selon l’expression du conseil constitutionnel. En effet, la largesse du champ d’application de ce droit et l’absence légale d’aménagement particulier conduit à ce que quiconque s’exprimerait dans l’espace public en illustrant ces propos par une œuvre de l’esprit pourrait se rendre coupable du délit de contrefaçon de droit d’auteur punissable de 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amendes. Une peine qui laisse aussi songeur quant à sa compatibilité avec le principe constitutionnel de la proportionnalité de la peine.
Le code de la propriété intellectuelle doit être modifié
Notre code de la propriété intellectuelle recèle ainsi de nombreuses dispositions contraires à la constitution que les sages de la rue Montpensier doivent censurer.
Depuis 2008, tout prévenu peut provoquer lui-même un contrôle de constitutionnalité par la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.
C’est ainsi que le TGI de Paris, dans une affaire de contrefaçon de sacs Hermès, jugeant sérieuses les questions soulevées à propos du Code de la propriété intellectuelle a accepté d’interroger la Cour de cassation sur les inconstitutionnalités des articles qui en sont issus. En cas d’appréciation favorable, le Conseil constitutionnel sera en mesure d’épurer le code de la propriété intellectuelle des inconstitutionnalités dont il est entaché
Puissent le conseil constitutionnel être saisi de ces questions car si la lutte contre la contrefaçon est un combat légitime et nécessaire, il ne peut se mener que dans le respect des droits fondamentaux, dont doivent pouvoir bénéficier l’ensemble des justiciables. Telle est la condition d’une justice équitable et impartiale.
Alexandre Lazarègue, Avocat au Barreau de Paris