Réforme de l’aide juridictionnelle : ne privons pas une partie de la population de ses droits

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Romain Omer

Maître Romain Omer, avocat du Barreau de Paris donne son point de vue sur la réforme de l'aide juridictionnelle.

La chancellerie annonçait, il y a quelques jours encore, vouloir réformer le barème d’indemnisation des avocats qui assistent les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Objectif pour l’Etat ? Economiser 32 millions d’euros. Devant l’assemblée extraordinaire du Conseil National des Barreaux (CNB), la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a rendu les armes. Le projet de réforme du financement de l’aide juridictionnelle ne passera pas.

Le fonctionnement de la justice revu et corrigé ?

Un tel projet de réforme toucherait au fonctionnement même de la justice. Les juges se verraient investis d’un nouveau pouvoir dangereux : celui de juger de l’opportunité des actions en justice intentées par les justiciables les plus démunis. Dit autrement, le bureau de l’aide juridictionnelle serait suspendu à la décision du juge, quant au remboursement des frais de justice engagés par les justiciables. Investi d’un plein pouvoir, seul le juge aurait alors pu conclure de la dimension dilatoire ou abusive d’une action.

Un accès inéquitable à la justice

L’aide juridictionnelle permet l’accès au droit aux justiciables les plus démunis. Ils bénéficient de la solidarité nationale, ou de la prise en charge des honoraires par l’Etat. En revanche, la réforme voulue par le pouvoir, constituerait un nouveau délit spécifique aux justiciables. Elle priverait une partie de la population de ses droits : quand certains pourraient bénéficier de l’A.J., d’autres auraient soit peur d’avoir à la rembourser, soit d’une amende. En ce sens, nous pourrions dénoncer une forme "d’abus de solidarité nationale". Les citoyens ne sont pas des spécialistes du droit. Il ne leur appartient pas de juger de l’opportunité de leur voie de droit.

Les avocats pénalisés

Dans le détail, la ministre de la Justice prévoyait de supprimer les disparités géographiques, et d’aligner l’indemnisation des avocats sur un montant unique (22,84 euros). Une telle refonte du système d’indemnisation nuirait à la profession et aux petits cabinets. Si elle avait été votée, 157 des 161 barreaux que compte la France, connaîtraient une chute des tarifs d’indemnisation. Dans le détail, elle entraînerait une baisse de revenus des avocats de 1,47% à 11,8% selon les groupes géographiques. Pour rappel, les unités de valeur, n’ont pas connu d’augmentation depuis 2007. A ceux qui pourraient dénoncer la prise de position des avocats, il convient de souligner qu’en se consacrant à la défense des plus démunis, les avocats perdent de l’argent. En travaillant sous le régime de l’aide juridictionnelle, un avocat touche 51,80 euros de l’heure. Or, d’après une estimation de l’Association nationale d’assistance administrative et fiscale (Anaafa), les frais de fonctionnement d’un cabinet d’avocat s’élèvent à 75 euros de l’heure.

La garde des Sceaux ajourne, mais ne clôt pas

Si le projet de réforme de l’aide juridictionnelle est abandonné pour 2014, le gouvernement ne compte pas renoncer aux 32 millions que pourrait rapporter un nouveau mode de financement. La garde des Sceaux attend une solution. Une taxe sur les actes juridiques figure parmi les pistes envisagées. Pour l’heure, chaque barreau continuera de fixer le montant de l’indemnisation de l’aide juridictionnelle.

 

Romain Omer, Avocat du Barreau de Paris


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