La loi de sécurisation de l’emploi n°2013-504 du 14 juin 2013 aborde de nombreux domaines du droit social. Le premier, objet de profondes modifications est celui des licenciements économiques collectifs.
En effet, la nouvelle loi fixe de nouvelles modalités de procédure pour les "grands" licenciements prononcés pour motif économique (plus de 10 salariés sur une période de 30 jours dans les entreprises d’au moins 50 salariés) impliquant la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Plus de trois mois plus tard, la loi reste imprécise sur certaines dispositions applicables. Toutefois, des éclairages ont pu être apportés par une documentation administrative interne du 19 juillet 2013 adressée par la Direction générale du travail (DGT) et la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), aux préfets et aux Directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Cette documentation, qui a l’avantage de dévoiler la perception de l’administration, n’est toutefois pas opposable et les juges pourront s’en détacher.
Ainsi, la documentation précise notamment que l’employeur a véritablement le choix entre deux voies : négocier un accord sur tout ou partie de la procédure avec les organisations syndicales représentatives (OSR) ou proposer un document unilatéral contenant le projet de licenciement collectif.
Certes les modifications apportées aux règles de procédure, aux délais, aux modalités de consultation du comité d’entreprise (CE) sont importantes, encore faut-il que l’employeur confronté à un projet de restructuration comprenne combien la « philosophie » de tels projets a changé.
Dorénavant, l’employeur doit faire face à de multiples interlocuteurs (1), mais aussi à des procédures diverses obligeant à des choix, tactiques et stratégiques (2).
1. De multiples interlocuteurs…
Jusqu’alors, les interlocuteurs de l’employeur dans un projet de licenciement économique collectif, étaient principalement le CE et « accessoirement » l’administration et dans certains cas, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L’aléa principal était l’obtention de l’avis du CE qui pouvait être rendu difficile par un « blocage » des élus (CE ou CHSCT), par le biais de procédures en référé en cours de procédure. De ce fait, le calendrier de mise en œuvre du projet pouvait connaître une certaine dérive.
Dorénavant, le CE, en principe, ne peut plus bloquer le projet.
L’interlocuteur principal devient la DIRECCTE qui décide ou non de valider/homologuer le projet, condition préalable à sa mise en œuvre et à la notification des licenciements.
La DIRECCTE joue ainsi un rôle prépondérant du début à la fin de la procédure et devra être informée à toutes les étapes. Si la voie de la négociation a été choisie, l’information de la DIRECCTE est obligatoire dès le début de la négociation. Si en revanche la voie du document unilatéral est choisie, l’information de la DIRECCTE doit être faite au plus tard le lendemain de la première réunion d’information-consultation du CE. Il peut néanmoins être opportun de prendre un premier contact informel avec le DIRECCTE en amont de toute procédure.
Autre nouvel interlocuteur, les délégués syndicaux désignés par les OSR peuvent devenir acteurs d’une négociation sur le projet. En effet, la voie de la négociation, largement encouragée par le législateur, va pouvoir permettre de conclure des accords d’un nouveau genre, à la majorité des OSR présentes dans l’entreprise.
Parallèlement, les élus (CE et CHSCT) joueront un rôle plus subtil, non moins important mais moins bloquant, dépendant de la procédure mise en œuvre. Ils seront bien sûr informés et consultés sur les différents aspects du projet mais seront aussi un vecteur de communication entre l’employeur, les salariés et la DIRECCTE.
Par ailleurs des experts pourront intervenir. Leur rôle est mieux encadré mais il est également diversifié. En effet, comme auparavant, des experts peuvent être désignés par le CE (ou le comité central d’entreprise) et, le cas échéant, à la demande du CHSCT. Toutefois ces expertises sont désormais encadrées par les mêmes délais que la procédure d’information-consultation. Mais de plus, dès la phase de négociation de l’accord majoritaire, les OSR pourront se faire assister par un expert-comptable mandaté par le CE1.
Enfin le nouveau rôle de la DIRECCTE induit un changement de compétence des tribunaux. Auparavant, les contentieux pouvaient être portés, à tout moment de la procédure, devant le juge judiciaire. Dorénavant, les éventuels contentieux seront portés devant le juge administratif, uniquement à l’issue de la procédure, après validation ou homologation du projet par la DIRECCTE.
2. … pour des multiples procédures
Le second bouleversement réside dans le déroulement des procédures de licenciement économique collectif.
Les partenaires sociaux qui ont conclu l’ANI de janvier 2013 et le Gouvernement ont largement communiqué sur une « clarification » de la procédure d’information-consultation du CE (i). En fait, cette simplification cache une réelle complexité technique, d’autant plus importante que chaque cas, chaque procédure devient particulière au regard de la liberté laissée à la négociation (ii). Et surtout, le « feu vert » recherché de la procédure n’est plus l’obtention d’un avis du CE mais la validation ou l’homologation du projet par l’administration (iii).
• Une procédure d’information-consultation du CE encadrée
La procédure d’information-consultation débute par une réunion du CE sur l’opération projetée et ses modalités (au titre de l’article L.2323-15 du code du travail - livre 2) et sur le projet de licenciement économique collectif (article L.1233-30 du code du travail - livre 1)2, qui fait courir un délai de procédure maximal.
Ce délai dépend du nombre de licenciements envisagés à l’origine. Il est de deux mois lorsque le nombre de licenciements envisagés est inférieur à 100, trois mois lorsque le nombre des licenciements va de 100 à 249, quatre mois à partir de 250 licenciements.
La phase de préparation des « livres 2 et 1 » est « classique » et les contenus sont assez similaires à ce qui existait jusqu’alors.
Bien sûr, il serait toujours possible d’organiser plus de réunions des diverses instances représentatives du personnel et leur déroulement va bien évidemment dépendre de la stratégie adoptée en amont, des éventuelles négociations avec les Organisations Syndicales Représentatives et du contexte social de l’entreprise. A minima, deux réunions du CE, espacées d’au moins 15 jours doivent être organisées.3
Le ou les expert(s) doi(ven)t rendre leur(s) rapport(s) 15 jours avant la fin du délai préfix et, à la fin de la procédure, les instances représentatives du personnel (CCE et/ou CE et/ou CHSCT) sont invités à rendre leurs avis sur l’opération projetée et sur le projet de licenciement économique.
En cours de procédure, la DIRECCTE jouera pleinement son rôle de guide auprès de l’employeur, préparant ainsi sa décision finale.
Autre nouveauté et non des moindres, à l’issue du délai de procédure, en l’absence d’avis du CE ou du CHSCT, ceux-ci sont réputés avoir été consultés et le dossier peut être transmis à l’administration.
• Une liberté dans la négociation
Si la procédure d’information-consultation du CE est encadrée dans le temps, son articulation avec une éventuelle négociation collective est moins évidente.
En effet, la loi précise que le projet de licenciement économique collectif peut être fixé :
- soit par un accord collectif majoritaire conclu avec les OSR (accord signé par au moins 50 % des OSR) et validé par la DIRECCTE,
- soit par un document produit par l’employeur et homologué par le DIRECCTE,
- soit de façon "hybride" : en partie dans un accord, et en partie dans un document unilatéral de l’employeur également contrôlés par l’administration.
Quant au moment de la négociation, la nouvelle loi (précisée par l’instruction précitée) laisse une certaine liberté aux acteurs. En effet, la négociation peut être ouverte en amont, en même temps ou durant la procédure d’information-consultation du CE. L’employeur peut, même s’il a présenté un document unilatéral, lancer une négociation avec les OSR ultérieurement ; et inversement.
En tout état de cause, la négociation sur l’accord majoritaire, qu’elle débute avant ou après la première réunion du CE, ne permet pas de repousser la fin du délai maximal de deux, trois ou quatre mois.
Le contexte et le climat social ainsi que les objectifs du projet influeront sur ce choix qui déterminera le calendrier du projet et la réaction des représentants du personnel, des salariés, voire des clients de l’entreprise (impacts en termes d’image et sur l’activité elle-même).
Quant au contenu de la négociation, la loi impose un socle « minimal » à l’accord majoritaire mais laisse également les acteurs libres de négocier sur tout ou partie du projet.
En effet, la négociation pourra porter sur un éventail de dispositions allant du PSE (contenu minimal) à l’ensemble des dispositions possibles (accord majoritaire « complet » contenant PSE, modalités d’information-consultation du CE, pondération des critères d’ordre, calendrier des licenciements, mesures de formation, d’adaptation, etc.). Dans ce dernier cas, le CE ne serait pas consulté sur le « Livre I » classique, son rôle se limiterait à son avis sur l’accord négocié.
• Un « feu vert » donné par l’administration
Quelle que soit la forme des avis rendus pas le CE (positif, négatifs ou absents !) l’employeur doit adresser l’ensemble des documents (accord majoritaire et/ou document unilatéral et avis) à la DIRECCTE pour validation ou homologation à l’issue du délai de procédure.
Dès que le dossier est complet, la DIRECCTE informe l’employeur, le CE et les OSR du début du délai de 15 jours (en cas d’accord collectif majoritaire total ou partiel) ou de 21 jours (en cas de décision unilatérale) laissé à l’administration pour valider ou homologuer le projet.
L’instruction précitée précise que « au terme de l’instruction, deux situations se présentent sachant qu’il est rappelé que la nouvelle procédure mise en place doit permettre au DIRECCTE de rendre une décision motivée, facilitée par les échanges qui ont eu lieu en amont entre le DIRECCTE et l’entreprise pendant la phase d’élaboration du projet de licenciement économique collectif. »
En effet, à l’issue du délai de 15 ou 21 jours :
- soit la DIRECCTE ne se prononce pas dans les délais et alors la décision de validation ou d’homologation est réputée acquise,
- soit la DIRECCTE prend une décision motivée : l’employeur doit alors informer les salariés par la voie de l’affichage sur les lieux de travail.
Lorsque la DIRECCTE a pris une décision motivée, là encore deux situations sont possibles :
- soit la validation ou homologation est acquise : cela permet à l’employeur de procéder à la notification des licenciements et à la mise en œuvre du PSE selon les modalités prévues dans l’accord majoritaire ou dans le document unilatéral ;
- soit la validation ou l’homologation est refusée : l’employeur peut présenter une nouvelle demande qui tient compte des motifs de refus mentionnés dans la décision ou porter le dossier devant le tribunal administratif.
Ainsi, l’axe essentiel de la nouvelle procédure est l’obtention du visa de la DIRECCTE sans lequel le projet ne peut aboutir.
La procédure de licenciement économique collectif est dès lors devenue un vrai projet à facettes multiples nécessitant plus que jamais une véritable phase de préparation et de décision dans les différents choix, qui permettra un déroulement des procédures dans un climat social plus serein.
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1. Code du travail, art. L.1233-34
2. Il est à noter que les deux consultations peuvent toujours être successives ou concomitantes. Le délai de procédure ne commence à courir que dès lors que l’information du CE a été initiée sur ces deux fondements.
3. Le cas échéant, le calendrier devra également prévoir les consultations du comité central d’entreprise articulées avec celles des comités d’établissements. Et bien entendu, si la consultation du CHSCT doit être menée, elle doit également être enserrée dans ces mêmes délais.
Département Droit social - Ernst & Young Société d'avocats