Migros contre Mondaine Watch Ltd : remettons les pendules à l’heure

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Chantal Koller, Directrice du Département Marques chez Novagraaf en SuisseChantal Koller, Directrice du Département Marques chez Novagraaf en Suisse, revient sur l’affaire Migros contre Mondaine Watch Ltd, qui a fait grand bruit ses dernières semaines en Suisse.

La Fédération des coopératives Migros (FCM) est un acteur incontournable sur le marché des biens de consommation courante en Suisse. Présente sur tous les fronts (alimentation principalement, mais également habillement, accessoires, fleurs, jardinerie, meubles, essence et autres services tels que banque et change, cours de formation, etc.), celle qui est aujourd’hui la plus grande coopérative du pays est en conflit avec la société Mondaine Watch Ltd. (Mondaine). Créé en 1951, Mondaine Watch Ltd. est un fabricant de montres « Swiss-Made », basé à Zurich avec ses ateliers horlogers ultra-modernes sis à Biberist.

En 1975, les deux entreprises ont décidé de collaborer ensemble pour la production (par Mondaine) et à la commercialisation (par Migros) de montres sous la marque M-WATCH. En 1985, la société Mondaine Watch Ltd fait inscrire au registre suisse des marques, la marque « M-WATCH MONDAINE » et la marque semi-figurative « M(cercle)WATCH » en 2003.

Migros, quant à elle, a déposé en 2008 les marques « M-WATCH » et « M WATCH ». En 2010, la collaboration entre les deux partenaires a pris fin en raison de divergences d’opinion, chacune se disputant depuis le droit d’utiliser les signes « M WATCH » et « M-WATCH ».

Le conflit n’ayant pu être résolu à l’amiable, Migros a intenté devant le Tribunal de Commerce du Canton de Zurich une action en interdiction d’utilisation des signes par la société Mondaine, cette dernière ayant ensuite intenté une action reconventionnelle à l’encontre de Migros sur les mêmes points.

Premier Round : Avantage Mondaine

Le 25 février 2013, le Tribunal zurichois a rejeté l’action de Migros arguant que cette dernière aurait dû faire usage de son droit d’opposition lorsqu’elle en avait l’occasion et a, dans cette logique, accepté la demande reconventionnelle de Mondaine en interdisant à Migros d’utiliser la dénomination litigieuse. Le Tribunal de Commerce a notamment retenu la péremption du droit de Migros à s’opposer à Mondaine.

Deuxième Round : Egalité

Migros, peu satisfaite de cette première décision, a fait appel au Tribunal Fédéral (TF), qui par décision du 30 septembre 2013 a annulé la décision antérieure et a surtout constaté la nullité de la marque semi-figurative déposée en 2003 par Mondaine. Au surplus, le Tribunal Fédéral renvoie aujourd’hui l’affaire au Tribunal de Commerce, la péremption d’usage des droits par Migros ayant été retenue à tort. Il s’agira pour ce Tribunal de déterminer si Migros est réellement à l’origine des droits de Propriété Intellectuelle.

L’avenir nous dira par conséquent, selon les modalités du partenariat historique entre les parties et l’étude qu’en fera la cour zurichoise, à qui reviennent les droits de propriété intellectuelle.

Quelques aspects de la Propriété Intellectuelle en Suisse

Cette affaire démontre encore une fois plusieurs aspects intéressants de la pratique de la PI en Suisse.

Tout d’abord, une collaboration telle que celle de Migros, quand bien même acteur principal du marché Suisse, et ses fournisseurs, doit faire l’objet d’un contrat incluant tous les aspects de propriété intellectuelle.

Ce cas soulève plusieurs questions : pourquoi la société Mondaine a-t-elle pu déposer cette marque sans être inquiétée par son partenaire commercial ? De son côté, pourquoi la Fédération des coopératives Migros ne s’est-elle pas posé la question de la dilution de sa propre marque, l’enregistrement « M-WATCH » intégrant clairement le « M classique » de Migros ?

S’il est vrai que cette simple lettre peut faire référence tant à l’une qu’à l’autre des deux sociétés, il semble incompréhensible que le géant orange, Migros, n’ait pas envisagé un litige sur cette lettre, celle-ci étant au centre de sa campagne de communication depuis de nombreuses années. Même si le litige ne s’est probablement déclaré que tardivement, la question aurait, à notre avis, dû être abordée par Migros avant que Mondaine n’ait pu faire enregistrer sa marque en 2003.

La question relative à la péremption des droits de Migros, contestée par le Tribunal Fédéral, nous interpelle. La péremption du droit d’invoquer la nullité d’un autre droit nous paraît justifiée lorsque la demanderesse n’a pas fait valoir ce droit pendant de nombreuses années et accepté une situation de faits sans la contester.

Sans qu’un contrat ne règle expressément ce point, il nous semble logique de considérer que l’usage toléré peut continuer même après rupture du contrat, la présomption de titularité allant naturellement à la société ayant fait inscrire la marque au registre et ayant utilisé le droit de manière incontestée.

Dans le cas présent, tout indique qu’entre 2003 et 2010, Migros ait consenti à l’enregistrement et l’usage par Mondaine du signe disputé. Nous n’estimons par conséquent pas que la cour cantonale ait fait une erreur en appliquant le principe de péremption, la question de la titularité matérielle des droits restant à déterminer par ailleurs à l’examen du contrat. C’est peut-être sur ce point que la cour commerciale zurichoise aurait dû creuser un peu plus loin: si les droits de PI étaient partagés par les deux parties au contrat, il serait effectivement logique que ce point mène au litige, devant être tranché par un tribunal, une fois le contrat dénoncé. En tout cas, c’est sur ce point qu’il sera intéressant de suivre cette affaire dans les mois à venir.

Finalement, cette affaire confirme une fois de plus que les tribunaux suisses ordinaires restent frileux lorsqu’ils sont confrontés à des questions de propriété intellectuelle, préférant appliquer des principes généraux du droit, telle la péremption, plutôt que de se prononcer sur la propriété de droits immatériels et intangibles, peu concrets pour le juge inexpérimenté dans ce domaine.

Cette situation, bien connue des Conseils en Propriété Industrielle de Novagraaf Switzerland, nous invite à vous recommander la plus grande prudence lors de la conclusion de vos accords et la rédaction de vos contrats : faire appel à un CPI peut permettre d’éviter de longs mois de procédure judiciaire et parfois des coûts très importants pour votre entreprises. Tout le monde n’a pas les moyens de Migros pour affronter les tribunaux…

 

Chantal KOLLER, Directrice du Département Marques chez Novagraaf


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