IGP, AOC ou plus récemment l’IGPIA, ces appellations d’origine ont vocation à protéger l’artisanat et les savoir-faire, en empêchant les contrefaçons trompeuses sur la qualité des produits. Alors que l’AOC Champagne est actuellement mise à mal en Russie, David Millet, conseil en propriété industrielle et conseil européen en marques, dessin et modèles chez LAVOIX, vous livre son analyse des enjeux de ces appellations et de leur bon usage, avec le cas particulier du couteau Laguiole, lui aussi dans l’actualité depuis quelques mois avec la demande d’iGPIA en cours auprès de l’INPI.
L’exemple d’un savoir-faire artisanal
On connait tous, ou presque, le couteau Laguiole, reconnaissable à la forme de son manche et à la présence d’une petite abeille. S’il est emblématique d’un savoir-faire local ancestral, il illustre aussi les effets de la mondialisation sur l’artisanat traditionnel français et la nécessité de protéger notre patrimoine.
En effet, la création d’une gigantesque vitrine mondiale a entrainé le développement de la concurrence déloyale pour les producteurs, et avec elle, contrefaçon et tromperie des consommateurs quant à la qualité des produits. Le couteau Laguiole en fut une des victimes, avec l’arrivée massive sur le marché de produits dits « Laguiole » fabriqués à l’étranger et vendu partout dans le monde à bas prix.
L’IGPIA, une protection tardive des savoir-faire artisanaux locaux
Ce n’est que depuis 2014, avec la Loi dite Loi Hamon, que les produits de l’artisanat et de l’industrie ont pu bénéficier d’une protection avec la création des IGPIA (Indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux). Cet équivalent des IGP et AOP pour les produits non alimentaires, protège les produits artisanaux dont la qualité et les caractéristiques sont attachées à un territoire particulier et notamment à un savoir-faire local. Depuis 2014, une douzaine de produits ont ainsi demandé et obtenu une IGPIA, dont la « Charentaise de Charente-Périgord », le « Grenat de Perpignan », les « Pierres marbrières de Rhône-Alpes » et plus récemment le « linge basque ».
Depuis fin 2020, le couteau Laguiole fait lui aussi, l’objet d’une demande d’obtention d’une IGPIA auprès de l’INPI pour juguler la concurrence dont il est victime. Mais, dans ce cas précis, la démarche interroge…
Une IGPIA Couteau de Laguiole, sans les couteliers de Thiers, un non-sens historique :
Le Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole, dépositaire de la demande, a en effet souhaité
limiter l’obtention de cette homologation aux couteaux forgés dans 24 communes du nord de l’Aveyron.
Sa demande exclut donc les couteliers de Thiers, qui ont pourtant joué un rôle clé dans le maintien du savoir- faire de la fabrication de ce couteau.
En effet, le manque de main d’œuvre masculine au sortir des deux guerres avait alors réduit la fabrication de couteaux dans le village de Laguiole et, dans les années 50, l’ensemble de la production n’était alors assuré que par les couteliers thiernois. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 que l’activité coutelière a véritablement été relancée à Laguiole. Sans la suppléance de Thiers le couteau de Laguiole aurait donc disparu et n’aurait pas rencontré le succès qu’on lui connait aujourd’hui.
Une IGPIA couteau de Laguiole sans Thiers aurait pour effet la désorganisation économique de tout le territoire thiernois en le privant de la production de couteaux de Laguiole et en stoppant un pan important de la production des coutelleries thiernoises.
Exclure les couteliers thiernois de la portée géographique de cette IGPIA reviendrait à renier un pan entier de l’histoire du couteau de Laguiole et serait contraire à l’objectif même de cette IGPIA qui est de pérenniser le patrimoine français.
Une IGPIA Couteau de Laguiole une fausse bonne idée pour les couteliers de Thiers mais également de Laguiole ?
Si l’homologation demandée est acceptée, les couteliers thiernois qui fabriquent des couteaux de Laguiole dans le respect du savoir-faire attaché à ce produit depuis près de 100 ans se retrouveront dans l’interdiction de vendre leurs produits sous l’appellation « couteau de Laguiole », Comme le rappelle l’INAO :
« Les dénominations enregistrées (en tant que IGP) sont protégées contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée (…) Elles sont également protégées contre toute usurpation, imitation ou évocation ». La question de la poursuite de l’usage du terme Laguiole pour désigner des couteaux non conformes aux caractéristiques de l’IGP (couteau non fermant par exemple) ou des fourchettes, cuillers ayant un manche de forme laguiole se pose avec acuité. Or, il s’agit d’un point capital pour de nombreuses entreprises tant à Laguiole qu’à Thiers.
L’intérêt de l’IGP : protéger un savoir-faire au service d’un territoire
Le but initial de l’IGPIA demeure de préserver le savoir-faire attaché au couteau de Laguiole en empêchant les productions bas de gamme étrangères. Ici, cela pourrait avoir pour effet la désorganisation économique de tout un secteur économique tant à Thiers qu’à Laguiole En attendant les conclusions de l’INPI sur la demande d’homologation, plaidons pour un sursaut de bon sens dans cette affaire…
David Millet, conseil en propriété industrielle et conseil européen en marques, dessin et modèles chez LAVOIX