Tribune de Thierry Granturco, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles exerçant en droit du sport et des nouvelles technologies.
C’est une demande croissante des supporters. Ils revendiquent des droits sur la gestion de « leurs » clubs ou sur l’organisation du football dans leur pays, en Europe et dans le monde. Ils n’hésitent pas à passer à l’action pour les obtenir, dans les tribunes des stades de football et, depuis peu, devant les tribunaux.
Avec quelle légitimité ? La légitimité du cœur ! Les supporters représenteraient l’âme, l’histoire et l’avenir des clubs, face à des dirigeants qui ne seraient que de passage. Les supporters seraient donc fondés à approuver, critiquer, voire rejeter, parfois avec virulence, la gestion de clubs qui sont pourtant devenus au fil du temps de véritables entreprises commerciales, détenues et gérées par leurs actionnaires.
Leur double casquette de supporters-consommateurs leur donnerait également le droit, parce qu’ils payent leurs places au stade, de contester les décisions de la Fédération Française de Football (FFF) qui organise le football en France, de l’Union Européenne des Associations de Football (UEFA) qui organise le football au niveau européen, ou de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) qui organise le football au niveau mondial. Sans parler des décisions prises par les autorités ou juridictions administratives de leurs pays respectifs, qu’ils attaquent frontalement.
La France face à la « supporterite aiguë »
La France n’échappe pas à cette vague de « supporterite aiguë », comme en témoignent deux arrêts de la Cour administrative d’appel de Paris, en date du 30 avril 2021.
De quoi s’agit-il ? Lors de la saison 2018/19, les supporters du PSG font usage d’engins pyrotechniques et déploient une banderole injurieuse lors de deux matchs de championnat de Ligue 1. Des comportements répréhensibles selon la Ligue de Football Professionnel (LFP), qui réglemente la pratique du football professionnel en France.
Saisie des faits, la Commission de discipline de la LFP sanctionne le PSG en ordonnant des fermetures de tribunes, ainsi que le paiement d’une amende de 115 000 euros, dont 40 000 euros avec sursis.
Ulcérée, l’Association Nationale des Supporters (ANS) conteste ces décisions devant le Tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 23 juillet 2020. L’ANS fait appel devant la Cour administrative d’appel, qui la déboute à nouveau le 30 avril dernier.
Les supporters ont-ils un intérêt à agir ?
Les arrêts tiennent en deux points qui portent à réflexion. Le premier point considère que l’obligation d’assurer la sécurité dans l’enceinte de son stade pèse règlementairement sur le PSG, et seulement sur le PSG. Les magistrats estiment, par conséquent, que l’ANS ne justifie d'aucun intérêt à agir puisqu’elle n’est pas concernée par la décision.
Le deuxième point n’est peut-être pas aussi définitif. Car la Cour administrative d’appel, après avoir étudié les statuts de l’ANS et plus particulièrement son objet social, précise que ce dernier ne lui confère pas un intérêt « suffisamment direct » pour contester les sanctions prises contre le club parisien.
Ce qui veut dire que, peut-être, une association de supporters du PSG et non généraliste, qui aurait prévu dans son objet social de couvrir les conditions d’accès au stade et les mesures prises pour assurer la sécurité de ses membres, aurait pu avoir intérêt à agir. Sachant que les restrictions d’accès au stade du PSG ont nécessairement des effets directs sur les supporters du PSG, la question mérite d’être posée. Autant il convient de suivre les magistrats quand ils écartent, d’une manière générale, tout droit des supporters à décider du recrutement des joueurs ou des finances des clubs, autant on peut s’interroger sur des mesures limitant leur propre accès au stade. Pour peu qu’ils ne les contestent pas… par la violence.
Le supportérisme évolue en France. Il se cherche encore. Comme se cherchent la gestion des clubs par leurs dirigeants et celle du football professionnel par la LFP. Il n’est donc pas exclu que le législateur ait prochainement à intervenir pour cadrer les droits des supporters, aussi bien pour les circonscrire que pour mieux les défendre.
Mais entre temps, laissons aux dirigeants des clubs le soin de les diriger, aux entraineurs le soin de coacher, aux joueurs le soin de jouer et aux supporters le soin de soutenir leurs équipes.
Le football et le droit en sortiraient tous deux grandis.