Partant de la sanction demandée par le parquet de Barcelone (8 ans et 2 mois d’emprisonnement et 24 M€ d’amende pour fraude fiscale) contre la chanteuse colombienne Shakira, Philippe Stebler, fondateur du cabinet Stebler avocat, s’interroge sur ce qui se serait passé si ce cas avait été français, et que l’artiste avait été rattrapée par les fourches caudines des services de Bercy. Comment Bercy aurait procédé à un tel contrôle, et quelles pénalités auraient été encourues ?
Après trois ans d’investigations, le parquet de Barcelone demande plus de huit ans d’emprisonnement et 24 millions d’euros d’amende pour fraude fiscale contre la chanteuse colombienne Shakira, révèle le journal espagnol El Paìs (29 juillet 2022).
Selon les autorités, elle n’aurait pas déclaré ses revenus en Espagne en tant que résidente fiscale et aurait interposé des sociétés offshores en vue d’égarer l’administration. Il en résulterait un « impayé » estimé à 14,5 millions d’euros sur la période 2012-2014.
Mais alors, que se serait-il passé si ce cas avait été français, et que l’artiste avait été rattrapée par le Trésor public ? Comment Bercy aurait procédé à un tel contrôle, et quelles pénalités auraient été encourues ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Enjeux de la résidence fiscale
Les tourments de l’interprète de « Hips Don’t Lie » le démontrent : il est particulièrement dangereux d’être un résident fiscal qui s’ignore. Alors que le non-résident a des obligations fiscales limitées, celles du résident sont largement étendues, avec une imposition de principe des revenus et actifs mondiaux.
En outre, des obligations déclaratives (avoirs financiers à l’étranger) et dispositifs anti-abus propres aux résidents fiscaux existent. Naturellement, un résident qui ne se considère pas comme tel est susceptible d’enfreindre ipso facto ces règles pourtant génératrices de conséquences dévastatrices.
D’abord, ces contribuables encourent une longue prescription pouvant aller jusqu’à 10 ans. Ensuite, des dispositifs dédiés existent pour faciliter le redressement des revenus de sociétés étrangères considérées comme « écran » (qu’elles soient financières ou prestataires de services), ou encore pour imposer le solde maximal figurant sur des avoirs étrangers au taux de 60 %. Enfin, les majorations pourront s’élever généralement à 80 % du montant redressé, en plus des intérêts de retard.
Le plus souvent, cela entraînera une dénonciation obligatoire au parquet qui décidera de poursuivre ou non sur un plan pénal, lorsqu’une plainte n’a pas déjà été déposée par l’administration fiscale, soucieuse de limiter le risque de dépérissement des preuves.
Pour une personne physique, les peines pénales encourues sont de 7 ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, sous réserve des effets du principe non bis in idem. Des peines accessoires sont également prévues (publicité de la condamnation, privation de droits civiques, civils et de famille, etc.).
N'oublions pas que ce type de contrôle peut impliquer une pression patrimoniale forte dès le début du contrôle, par le recours à des mesures conservatoires ou confiscatoires.
La définition de résidence fiscale en France, source d’insécurité juridique
La définition en droit interne de résidence fiscale (article 4 B du CGI) recourt à des concepts vaguement explicites tels que le foyer, le lieu d’exercice de l’activité principale ou encore le centre des intérêts économiques. Ces critères sont d’autant plus larges qu’ils sont alternatifs, un seul d’entre eux étant suffisant pour être considéré comme résident fiscal de France. À l’inverse, le mythique décompte des « 183 jours » n’est en pratique que rarement un critère retenu par le juge, suivant une jurisprudence quasi-trentenaire.
Pour résoudre les cas où les définitions nationales aboutissent à des résidences fiscales multiples, les conventions fiscales bilatérales – lorsqu’elles existent – peuvent entrer en jeu. Si le réseau conventionnel français est très fourni en matière d’impôt sur le revenu, tel n’est pas le cas pour les droits de succession et encore moins pour les droits de donation, et les difficultés d’application des conventions pour l’IFI mériteraient un développement dédié. Même applicables, les conventions fiscales peuvent présenter des particularités rendant leur lecture délicate.
Si l’on se réfère au modèle OCDE dont les conventions signées par la France s’inspirent souvent largement, les critères sont hiérarchisés et successifs : le foyer d’habitation permanent, le centre des intérêts vitaux, le lieu de séjour habituel, et la nationalité. On constate donc que ces critères invitent à une analyse casuistique approfondie qui ne permettra pas nécessairement de trancher la question avec sérénité, ce qu’anticipent les conventions en prévoyant une procédure amiable entre États contractants.
Cela étant dit, les développements jurisprudentiels offrent une certaine grille de lecture, et l’on sera bien avisé d’entrer dans le détail du quotidien personnel, familial, professionnel et patrimonial des contribuables pour appréhender ce sujet.
Quels sont les outils de contrôle de l’administration fiscale ?
L’administration fiscale dispose de puissants outils pour détecter et enquêter sur ces situations, à commencer par les déclarations fiscales elles-mêmes, le droit de communication auprès de tiers et l’accès à des bases de données, à l’instar de « FICOBA », fichier des comptes bancaires et coffres-forts.
Les données peuvent ensuite être recoupées et étayées, notamment par l’échange international de renseignements, l’accès aux données publiques des réseaux sociaux et sites de vente en ligne (à titre expérimental pour une durée de 3 ans), des demandes de renseignements, etc.
Enfin, des moyens plus musclés peuvent être mis en œuvre dans les cas les plus graves, comme une perquisition fiscale ou le recours direct au code de procédure pénal (écoutes téléphoniques, garde à vue, perquisition).
Comment se prémunir contre de telles conséquences ?
Bien entendu, le maître mot doit être l’anticipation. Les modifications des modes de vie et habitudes entre plusieurs États militent pour une mise à jour continue du statut de résidence fiscale, et en tirer les conclusions en amont.
Au stade du contentieux, les arguments de l’administration fiscale peuvent certainement être combattus dès lors qu’une ligne de défense est établie. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la chanteuse avec ses conseils en rejetant la négociation. Si néanmoins les manquements sont avérés, une régularisation peut être envisagée avant ou en cours de contrôle en vue d’obtenir un aménagement des pénalités ou une discussion ouverte avec le service vérificateur sur les méthodes d’imposition dans certains cas.
Le volet pénal permet le cas échéant également, sur accord du procureur ou à son initiative, de recourir à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Une circulaire de 2021 recommande d’ailleurs de faire un usage aussi large que possible de cette procédure.
Nous le constatons, le risque pesant sur la chanteuse en Espagne est assez similaire à ce qui aurait été encouru en France. Pour autant, contrairement à l’Espagne, les critères français de résidence fiscale sont d’une application si incertaine que l’automaticité et l’importance des sanctions qui peuvent découler de ce sujet sont difficilement justifiables.
Ceci est donc un appel à la vigilance de tous contribuables globe trotteurs, stars mondiales ou influenceurs, quant aux charmes de l’Hexagone et aux départs trop timides !
Philippe Stebler, Stebler Avocat