Investissements étrangers en France

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Raphaël Dalmas et Géraud Riom, Associés, AsturaRaphaël Dalmas et Géraud Riom, Associés chez Astura proposent une analyse du décret relatif aux investissement étrangers en France.

Entré en vigueur le 16 mai dernier, le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 (le « Décret ») vient élargir la liste des activités pour lesquelles les investissements étrangers sont soumis à autorisation ministérielle préalable en y ajoutant les domaines de l’énergie, l’eau, les transports, les communications électroniques et la santé publique.

IMPLICATIONS CLES DU DECRET POUR LES SOCIETES ETRANGERES

  • La nécessité d’engager une réflexion préalable quant à l’implication éventuelle de l’Etat français dans les dossiers d’investissement est renforcée.
  • Les nouveaux domaines d’activités concernent les investisseurs étrangers de toutes provenances, mais le champ d’application de l’autorisation préalable est légèrement moins étendu s’agissant des investisseurs ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne. 
  • La France aligne son régime sur celui de nombreux autres pays tels que les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

EXPOSE DU DECRET ET DE SES IMPLICATIONS SUR LA REGLEMENTATION DES INVESTISSEMENTS DES SOCIETES ETRANGERES

1. La nouveauté du Décret : l’élargissement des domaines d’activités susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale

Les investissements étrangers en France sont en principe libres.

Toutefois, le Code monétaire et financier soumet à autorisation préalable du Ministère de l’économie les investissements étrangers dans des domaines considérés comme sensibles, c’est-à-dire relevant (a) d’activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, la sécurité publique ou les intérêts de la défense nationale ou (b) d’activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes. 

Jusqu’à l’entrée en vigueur du Décret, les domaines sensibles concernaient les jeux d’argent (hors casinos), la sécurité privée, les biens et technologies à double usage civil et militaire, les activités d’écoute, la sécurité des technologies de l’information et la défense nationale.

Le Décret vient élargir la liste des domaines sensibles en y ajoutant d’autres activités portant sur des biens et services dans les secteurs suivants :

  • Energie : activités de nature à porter atteinte à l’intégrité, la sécurité et lacontinuité de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique ; 
  • Eau : activités de nature à porter atteinte à l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en eau dans le respect des normes édictées dans l’intérêt de la santé publique ; 
  • Transports : activités de nature à porter atteinte à l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’exploitation des réseaux et des services de transport ; 
  • Communications électroniques : activités de nature à porter atteinte à l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’exploitation des réseaux et des services de communications électroniques ; et 
  • Santé : le Décret vise de manière large toute activité de nature à porter atteinte à la santé publique. 


Le Décret élargit par ailleurs le champ d’application de l’autorisation préalable dans le domaine de la défense et inclut les activités de nature à porter atteinte à l’intégrité, la sécurité et la continuité d'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale au sens du Code de la défense. Cette précision n’emporte pas de grande nouveauté dans la mesure où la défense était déjà largement appréhendée par la réglementation en vigueur.

2. Contexte du Décret et perspective internationale

Edictée sous forme de décret en Conseil d’Etat, cette liste n’a pas été soumise aux contraintes de la procédure législative et a donc pu entrer en vigueur très rapidement dans le contexte particulier de la cession d’une branche d’activité d’Alstom, acteur central de l’industrie française.

Nous relevons toutefois que la publication du Décret intervient alors que la Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a publié en janvier 2014 un rapport exhaustif sur le sujet.

Par ailleurs, indépendamment du contexte politique qui l’entoure, le Décret aligne simplement la pratique française sur celle de plusieurs pays : les Etats-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States, 1975 ; Foreign Investment in National Security Act, 2007), l’Allemagne (Außenwirtschaftsgesetz, 2008), et le Royaume Uni (Enterprise Act, 2003) notamment, veillent au contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.

3. Les contours de la notion d’« investissement étranger » objet du Décret

Dans le cadre des nouveaux domaines du Décret, sont considérés comme étrangers les investissements qui proviennent d’un investisseur établi hors de France, ou établi en France mais contrôlé par une personne ou une entité établie hors du territoire.

La notion d’investissement s’apprécie quant à elle moins directement. En effet, la règlementation met en place un système complexe qui définit les investissements soumis à autorisation préalable plus ou moins largement en fonction de la provenance de l’investisseur.

Tous les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable dans les cas suivants :

  •  la prise de contrôle de sociétés au sens de l’article 233-3 du Code de commerce ;
  • l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une société dont le siège social est établi sur le territoire national. 

S’agissant des investisseurs établis hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, un critère supplémentaire s’applique lorsque le franchissement du seuil de 33,33 % de détention du capital ou des droits de vote d'une entreprise dont le siège social est établi en France.

4. Sanction en cas de non-respect

Si le Ministre chargé de l'économie constate qu'un investissement étranger est ou a été réalisé en méconnaissance de la procédure d’autorisation préalable, il peut enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure.

A l’issue d’un délai de 15 jours, l’investissement sera nul et les parties à l’investissement seront placées dans leur situation antérieure à l’opération. L’investisseur pourra par ailleurs, en cas de manquement grave, se voir infliger une
sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève au double du montant de l'investissement irrégulier, ce qui pourrait avoir des conséquences financières particulièrement lourdes.

5. Rappel des obligations déclaratives de la réglementation des investissements étrangers

Nous rappelons que la règlementation française prévoit par ailleurs des obligations simplement déclaratives sous peine d’amende et d’emprisonnement :

  • Sous réserve de certaines exceptions limitativement énumérées, lesinvestissements étrangers, directs comme indirects, doivent faire l’objet d’une déclaration administrative préalable sous peine d’amende. 
  • Dans certains cas, les investissements étrangers qui dépassent 15 millions d’euros doivent faire l’objet d’une déclaration a posteriori auprès de la Banque de France (par exemple lorsqu’ils confèrent à des investisseurs étrangers 10% ou plus du capital ou des droits de vote d’une société française). 
  • Certaines opérations limitativement listées font également l’objet d’une déclaration, lors de leur réalisation, auprès de la direction du Trésor. 

Il reste à confirmer que le Décret passera l’éventuelle épreuve de la conformité à la libre circulation des capitaux qui interdit aux Etats membres de procéder à des restrictions aux mouvements de capitaux en application de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Par ailleurs, sur le plan national, nous relevons qu’une requête en suspension d’exécution en référé et une requête au fond en annulation pourraient être engagées devant le Conseil d’Etat à l’initiative de toute partie qui estimerait le Décret illicite.

 

Raphaël Dalmas et Géraud Riom, Associés, Astura


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