Laetitia Avia, députée LREM de Paris, rapporteure pour avis des crédits pour la mission justice dans le cadre du projet de loi de finances 2021, évoque la transformation numérique de la justice, objet de son rapport.
Quels enseignements tirez-vous de cette crise – et notamment de la période de confinement – en ce qui concerne la transformation numérique de la justice ?
La transformation numérique de la justice a toujours fait débat. Je pense qu’il y a un problème de culture numérique dans la justice. Le confinement a obligé chacun des acteurs - magistrats, avocats, personnels de la justice et services des ministères – à opérer un vrai changement d’approche, une vraie accélération dans l’ambition de transformation numérique de la justice. Les difficultés réelles ont été vécues au quotidien mais des solutions ont pu être trouvées vite. Chacun a pu voir que le numérique pouvait aider à être plus efficace.
Que pensez-vous de l’utilisation des systèmes de visio-audience dans les juridictions ?
J’ai toujours été favorable à la visio-audience parce que je pense que cela peut aider à traiter un certain nombre de dossiers. En revanche, je sais que ce sujet ne fait pas l’unanimité.
Pendant le confinement, cet outil a pu être utile pour s’assurer que des audiences soient tenues. La position qui fait consensus à laquelle je souscris est que la visio-audience en matière pénale doit être une exception quand on est dans une situation de crise, quand les conditions de sécurité rendent difficiles la comparution à l’audience. Cependant, la visio-audience peut être utilisée dans les modes de règlement alternatifs des litiges que l’on souhaite davantage développer pour les petits litiges. J’encourage également la conciliation judiciaire par voie numérique.
De même que pour la mise en l’état. Il y a de moins en moins d’audiences de mise en l’état. Cela pourrait permettre de recréer du lien entre les acteurs.
Pourquoi faut-il systématiser PLEX, plateforme d’échanges sécurisés de fichiers volumineux en matière pénale, selon vous en matière civile ?
De manière générale, la transformation numérique en matière pénale est sur les rails.
La dynamique est trouvée avec des applicatifs et PLEX qui permet de partager des documents volumineux. En matière civile, le retard est important.
Or, le civil doit être une priorité en matière de transformation numérique. Bien souvent, en matière civile, le système D prévaut parce qu’avec le RPVA et le RPVJ, la transmission de documents est limitée. On doit éviter cela. Une convention a été signée pour étendre PLEX en matière civile, il faut que tous les acteurs s’en saisissent.
Vous préconisez de revoir le projet Portalis en se fixant quelques priorités. N’y-a-t-il pas un risque de retarder encore davantage sa mise en œuvre dont dépendent d’autres projets comme l’open data des décisions de justice ?
Je crois beaucoup au projet Portalis qui est extrêmement ambitieux. Je pense que c’est exactement ce dont la justice civile a besoin. Mais aujourd’hui, force est de constater que les conditions de sa mise en œuvre font que j’ai du mal à voir aboutir ce projet à court terme.
Malheureusement, en matière de numérique, les choses vont tellement vite que lorsque des projets s’étalent sur plusieurs années, il faut faire des mises à jour. C’est pourquoi j’ai proposé de faire plusieurs projets que l’on va pouvoir faire aboutir en trois ou quatre mois et montrer à la justice civile que l’on avance.
Eric Dupond-Moretti est, quant à lui, confiant dans le calendrier de Portalis mais il a bien entendu cette alerte pour accélérer et donner les moyens de réussir.
Vous proposez d’associer les legaltech au projet Portalis. Concrètement, quel peut être leur apport ?
Leur expertise technique. Les legaltech, ce sont à la fois des connaisseurs du droit et des ingénieurs qui travaillent ensemble. Elles ont un vrai savoir-faire des besoins de transformation numérique. C’est quelque chose de positif que de les mettre dans la concertation dans la construction des projets en la matière. Le Vendôme Tech est par exemple un rendez-vous organisé par la Chancellerie qui permet de réunir tous les acteurs du numérique et réaliser cette concertation nécessaire.
Pensez-vous que cette période est propice au développement de l’arbitrage et la médiation en ligne dont l’article 4 la loi de programmation de la justice fixe le cadre ?
Je suis favorable au développement de l’arbitrage, la médiation et la conciliation en ligne depuis longtemps. Sur les petits litiges, un bon arrangement vaut mieux qu’un long conflit. Ce n’est pas une bonne chose d’être dans la culture du procès. Le confinement a favorisé l’accélération des modes alternatifs de règlement des litiges en ligne. Pour écouler le stock de contentieux que l’on a aujourd’hui, il faut passer par là. Il s’agit toujours du service public de la justice. Deux propositions me semblent intéressantes en la matière :
- ouvrir à la conciliation numérique, c’est ce que je propose
- revaloriser l’aide juridictionnelle pour le règlement amiable des litiges, proposition formulée par le garde des Sceaux.
Pourquoi est-ce nécessaire selon vous d’améliorer l’organisation de la transformation numérique de la justice ?
J’ai proposé ce rapport car j’ai une appétence pour ce sujet de transformation numérique de la Justice. Je suis donc de près son développement. J’ai pu constater, à l’occasion du travail en commission, qu’Eric Dupond-Moretti partage également cette envie d’aller plus loin en la matière, de faire mieux.
C’est pour cela d’ailleurs qu’il a validé l’ensemble de mes propositions sauf sur Portalis sur lequel il veut maintenir l’ambition.
Si j’ai fait ce rapport, c’est aussi pour pouvoir mesurer l’état de la transformation numérique de la justice. Ces travaux montrent que si la transformation numérique n’est pas encore achevée, c’est aussi lié à une question de priorisation, et nos travaux parlementaires n’y sont pas pour rien : plus nous votons de dispositifs, plus les chantiers s’accumulent. Pour mieux piloter cela, il me semblait nécessaire d’avoir les éléments en mains pour prendre les bonnes décisions, et mieux légiférer sur ce sujet.
En conclusion, comment jugez-vous la transformation numérique de la justice qui est en cours ?
On y est enfin ! Je veux encourager ce mouvement même si malheureusement c’est la crise que nous connaissons qui a accéléré ces changements. Sans cette crise sanitaire, je ne sais pas si la justice serait aujourd’hui suffisamment à niveau. Parfois, il faut être poussé dans ces retranchements pour rechercher toutes les solutions et faire preuve d’innovation. Ce que j’ai vu pendant cette période, c’est la capacité à prendre des décisions rapidement. L’ouverture de nombre de connexions VPN en quelques jours en est l’illustration. Ce que montre cette période est que la justice a la capacité de faire, maintenant qu’elle est a pris un bon rythme de croisière, je veux qu’elle continue comme cela.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)
Suivre @adumourier
Les six axes d’amélioration de la transformation numérique proposés par Laetitia Avia
- Mettre l’équipement informatique des juridictions à la hauteur
- Le développement du numérique pour fluidifier les échanges entre les acteurs du droit
- Définir des priorités dans le développement des grands projets
- Réussir la dématérialisation de l’aide juridictionnelle
- Garantir la mise en œuvre des dispositions de la loi de programmation et de réforme de la justice relatives au numérique
- Mieux organiser la transformation numérique de la justice
Le détail des propositions :
Proposition n° 1 : enrichir, pérenniser et mieux diffuser le référentiel d’aide à la reprise d’activité pour en faire un véritable outil numérique d’information des magistrats et d’aide à l’organisation des juridictions.
Proposition n° 2 : accélérer le déploiement d'ordinateurs portables pour que chaque greffier puisse bénéficier d’un ultra-portable d’ici à la fin de l’année 2020.
Proposition n° 3 : équiper les services judiciaires de moyens de bureautique récents.
Proposition n° 4 : privilégier le recours à des prestataires français de visioconférence sécurisée.
Proposition n° 5 : accélérer et systématiser le déploiement de PLEX en matière civile.
Proposition n° 6 : développer le recours à la visioconférence lors des audiences de mise en état.
Proposition n° 7 : prévoir l’interopérabilité des échanges de l’ensemble des professionnels du droit.
Proposition n° 8 : actualiser et permettre l’utilisation à distance des logiciels de la chaîne civile d’ici à la fin de l’année 2020.
Proposition n° 9 : revoir le projet de procédure civile numérique en se concentrant sur quelques priorités, en se fixant des objectifs réalisables et de court terme et en associant les acteurs de terrain et les legaltech.
Proposition n° 10 : à terme, supprimer l’obligation d’archivage des dossiers en papier.
Proposition n° 11 : supprimer toutes les références aux outils informatiques et moyens de communication obsolètes dans les textes législatifs et réglementaires.
Proposition n° 12 : reporter d’une année la création de la juridiction nationale des injonctions de payer afin de mobiliser les moyens budgétaires et humains nécessaires à sa mise en place et le développement de l’applicatif numérique natif afférent.
Proposition n° 13 : encourager, pour les petits litiges du quotidien, le développement de la médiation et de la conciliation numériques par le recours à la visioconférence.
Proposition n° 14 : créer, au sein de la mission « Justice », un programme « Transformation numérique de la justice ».
Proposition n° 15 : communiquer au Parlement les conclusions du Comité stratégique de la transformation numérique.
Proposition n° 16 : prévoir, pour tout projet de disposition législative susceptible d’avoir des effets en matière numérique, une étude d’impact qui identifie précisément ses conséquences en termes de mise en œuvre, de coût et de calendrier.
Proposition n° 17 : mettre en place un incubateur de projets au ministère de la Justice.
Proposition n° 18 : accélérer le recrutement de personnel technique de maintenance.