Valérie Pécresse : « La refondation de la justice est au cœur du programme que je porte »

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La candidate des Républicains à l'élection présidentielle a répondu aux questions du Monde du Droit concernant ses propositions en matière de justice. Valérie Pécresse s'engage à renforcer immédiatement les moyens de la justice, faisant passer le « budget des tribunaux » de 6 à 9 milliards d’euros en 2027 (soit une hausse de trois milliards), ce qui permettrait notamment de recruter massivement des magistrats, d'investir dans le parc immobilier et de faire face aux besoins de l'administration pénitentiaire.

Que pensez-vous de l'état de la justice en France dont les professionnels du droit fustigent le manque de moyens ?

L’institution judiciaire est noyée ! Faute de moyens humains, matériels, technologiques, elle n’est plus en mesure de faire face aux missions et exigences toujours croissantes qui pèsent sur elle année après année. Malgré toute la compétence et le dévouement de tous les professionnels, les délais de justice s’allongent, dans tous les domaines du droit, et mettent en péril l’efficacité de la justice. En matière pénale, lorsque des peines de prison sont prononcées, elles ne sont plus appliquées, ou trop tardivement, faute de places dans les établissements pénitentiaires.

La « tribune des 3000 » publiée en novembre 2021 par les magistrats et greffiers et le discours prononcé par M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier de cette année ont parfaitement décrit la situation si critique de la justice et la nécessité d’une réponse politique à la hauteur des enjeux.

La raison principale de l’état de la justice est connue : notre budget en la matière est très inférieur à celui de nos voisins européens, l’Allemagne consacrant par exemple 146 euros par habitant à sa justice là où nous en consacrons moitié moins. L’insuffisance criante des moyens a conduit à ce que le nombre de magistrats, greffiers et personnels administratifs en France soit nettement insuffisant : la France est située dans les profondeurs des classements européens sur le nombre de magistrats rapportés à la population totale. Et cela sans parler des greffiers.

La situation de délabrement du parc immobilier de la justice est préoccupante et l’Etat n’est même plus en mesure de fournir aux personnels de l’institution des moyens techniques corrects (matériels et logiciels informatiques dépassés, téléphones professionnels en nombre insuffisant, etc.). A ce manque criant de moyens s’ajoute une organisation de la justice inadaptée et des méthodes de travail qui ne correspondent plus aux besoins d’une justice moderne.

Il en résulte des conditions de travail indignes pour les personnels de la justice, dont les conséquences sur le fonctionnement de la justice portent atteinte à son autorité même, et donc à celle de l’Etat. On ne peut que comprendre la désespérance des femmes et des hommes qui portent aujourd’hui à bout de bras l’institution judiciaire. Ce n’est pas la qualité des hommes et des femmes qui font fonctionner la justice au quotidien qui est en cause : c’est leur nombre insuffisant et les conditions dans lesquelles ils exercent leur mission.

Faut-il réformer l'institution judiciaire dans son ensemble ? Faut-il davantage de magistrats ?

La priorité est de renforcer immédiatement les moyens de la justice. Je souhaite faire passer le « budget des tribunaux » de 6 à 9 milliards d’euros en 2027. Cette hausse de 3 milliards d’euros permettra notamment :

- de recruter massivement des magistrats (5.000, soit 2.000 procureurs et 3.000 juges) mais aussi des greffiers (3.000), juristes assistants (5.000, pérennisés pour la création d’équipes autour des magistrats) et contractuels techniques (3.000). Cela représentera 40% de l’effort budgétaire, soit 1,2 milliard d’euros ;

- de réinvestir dans le parc immobilier de la justice et de renforcer les moyens techniques (notamment informatiques) des juridictions par la création de plateformes et serveurs d’envergure et l’accélération de la dématérialisation des procédures. Ces investissements représenteront 60% de l’effort budgétaire, soit 1,8 milliard d’euros.

Cet effort sans précédent s’accompagnera d’une réforme en profondeur de la justice, en particulier sur les méthodes d’organisation du travail au sein de l’institution, avec notamment la simplification et la numérisation des procédures.

Par ailleurs, un effort supplémentaire de 2 milliards d’euros sera consenti au bénéfice de l’administration pénitentiaire et 10.000 postes seront créés pour faire face aux besoins.

Est-ce que les Etats généraux de la Justice lancés par Emmanuel Macron peuvent apporter des réponses selon vous au manque de moyens et au mal-être des magistrats, fonctionnaires de greffe ?

Les Etats généraux de la Justice permettront sans doute, comme toute consultation, d’identifier des pistes de réponses à la situation de la justice française. Mais c’est en 2017 qu’ils auraient dû être organisés ! Ils interviennent, au contraire, au terme d’un quinquennat de renoncement dans le domaine de la justice.

En effet, le bilan d’Emmanuel Macron dans ce domaine s’avère catastrophique. Des « Chantiers de la Justice » de 2017 aux « Etats généraux de la Justice » à quelques mois de la fin de son mandat, aucune réforme d’ampleur, aucune des mesures fortes qui pourtant s’imposaient, n’ont été engagées pour endiguer ce naufrage. L’augmentation récente du budget de la justice – essentiellement pour l’administration pénitentiaire – est beaucoup trop tardive et limitée pour avoir un impact.

Et cela sans compter l’instrumentalisation politique de cette consultation, lancée quelques mois à peine avant l’élection présidentielle.

Que ferez-vous des conclusions des Etats généraux de la justice ?

J’ai trop de respect pour la concertation, qui a tant fait défaut durant ce quinquennat, pour en écarter par avance les résultats ! Dans la mesure où elles exprimeront les idées et situations vécues des magistrats et personnels de l’institution judiciaires et qu’elles contribueront à révéler la situation réelle de la justice, j’y accorderai naturellement la plus grande attention. Mais franchement, ce qui doit être fait n’est-il pas connu de tous depuis cinq ans ?

En définitive, quelles sont vos principales propositions en matière de justice ?

La refondation de la justice est au cœur du programme que je porte. Protéger, éduquer, soigner : telles sont les missions premières de l’Etat, qu’il ne parvient plus à remplir. Au-delà de l’effort budgétaire sans précédent que je propose et du recrutement massif de magistrats, greffiers et personnels administratifs, j’ai formulé dans cette perspective plusieurs propositions.

Une première série concerne l’ensemble de l’institution judiciaire puisqu’il s’agit de la simplification et de la numérisation des procédures. L’extrême complexité des procédures et leur insuffisante numérisation contribuent à paralyser la justice et à allonger les délais de jugement. Ce chantier est décisif pour moderniser l’institution judiciaire et renforcer son efficacité au bénéfice de l’ensemble des personnels de l’institution (magistrats, greffiers, personnels administratifs), des professionnels du droit et in fine de tous les justiciables.

Une deuxième série de propositions porte sur la justice pénale et la politique pénitentiaire. Nous voulons en particulier renforcer la réponse pénale et à l’adapter à la réalité de la délinquance. Cela suppose d’agir sur tous les leviers pour que la sanction pénale soit rapide, juste, dissuasive et appliquée. Pour y parvenir, j’ai proposé les réformes suivantes : 

- jugement des délits du quotidien en moins de six mois ;
- création d’une nouvelle juridiction spécialisée pour les violences conjugales (et obligation de protéger les victimes avec instruction en 72 heures et ordonnance de protection en 6 jours) ;
- mise en place de peines planchers automatiques pour les récidivistes ;
- sanction minimale d’un an de prison ferme pour toute agression de représentants des forces de l’ordre et des dépositaires de l’autorité publique (élus, enseignants, pompiers) ;
- abaissement de la majorité pénale à 16 ans ;
- développement des travaux d’intérêt général dans les organismes publics ;
- construction de 20.000 places de prisons et, dans l’intervalle, utilisation d’anciennes casernes ou autres bâtiments publics désaffectés pour incarcérer des primo-délinquants, - - des courtes peines sous bracelet électronique ;
- suppression des aménagements de peine quasi-automatiques, lesquels seront réservés aux détenus présentant un comportement irréprochable et toutes les garanties de réinsertion ;
- mise en place de centres fermés spécialisés pour les courtes peines.

Une troisième série de réformes concernera la justice du quotidien (civile et commerciale notamment), si souvent délaissée alors qu’elle est fondamentale et qu’elle est, pour l’immense majorité de nos concitoyens, l’incarnation de la justice.

Parmi ces changements j’aurai à cœur de permettre une déjudiciarisation de certains contentieux courants (charges de copropriété, baux d’habitation, crédits à la consommation etc.) qui sont particulièrement chronophages pour l’Institution alors qu’ils ne posent que rarement des questions juridiques ou factuelles complexes. Cela permettrait aux personnels de l’Institution (et notamment aux magistrats) de se concentrer plus encore sur leurs dossiers prioritaires.

De même, afin d’accélérer l’exécution des décisions de justice de première instance et éviter des procès inutilement longs, il conviendra de simplifier et de généraliser les procédures rapides d’injonction de payer pour toutes les factures ou les créances impayées, et limiter les demandes de renvois et les cas d’appel.

Quelles sont vos propositions pour les professionnels du droit ?

Le programme que je porte bénéficiera à l’ensemble des professionnels du droit. Je pense en particulier à la numérisation et la simplification des procédures, mais aussi à toutes les réformes qui conduiront à raccourcir les délais de jugement.

Les recrutements massifs dans les tribunaux – qui se feront notamment au sein des professionnels du droit - contribueront à améliorer les relations de travail avec les professionnels du droit. L’augmentation de la productivité des juridictions pourra, de plus, favoriser le développement de l’activité économique des professionnels.

Je reste par ailleurs naturellement à l’écoute de l’ensemble de ces professionnels pour échanger sur les moyens permettant de faciliter l’exercice de leur mission. J’apprécie en effet à sa juste mesure leur rôle si important dans la vie quotidienne de nos concitoyennes et dans la vie économique du pays, et connais leur apport décisif au bon fonctionnement de notre Etat de droit.

Propos recueillis par Léa Verdure et Arnaud Dumourier

Voir aussi : Présidentielle 2022 : Quelles sont les propositions de Valérie Pécresse en matière de Justice ?


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