Tristan Girard-Gaymard : « Le débat parlementaire offre une nouvelle chance de reformer en profondeur le dispositif de l’action de groupe »

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À l’heure où une proposition de loi (du 15 décembre 2022) en cours d’examen a pour ambition d’améliorer le dispositif de l’action de groupe, Tristan Girard-Gaymard, avocat, chercheur et président de l’Institut de Guerre Économique et Juridique (IGEJ), alerte sur les points essentiels d’une réforme ambitieuse et les angles morts du projet actuel.

Quel constat faites-vous des actions de groupe depuis leur introduction en droit interne ?

Le bilan des actions de groupe en France est plutôt mitigé, voire décevant. Depuis leur introduction en 2014, nous avons manqué plusieurs opportunités de développer un cadre juridique robuste et efficace. Les raisons de cette frilosité législative peuvent être multiples, notamment une certaine réticence due à la pression des groupes d'intérêts économiques et financiers. Il est regrettable que la France n'ait pas su adopter un régime d'actions de groupe plus ambitieux, capable de garantir des recours plus larges et des opportunités d'indemnisation plus conséquentes pour les victimes. Actuellement, un débat parlementaire offre une nouvelle chance de reformer en profondeur ce dispositif, ce qui pourrait marquer un tournant décisif.

Que pensez-vous du texte actuel et des modifications introduites par le Sénat ?

Le texte actuel, notamment avec les modifications du Sénat, représente un recul par rapport aux avancées initialement votées à l'Assemblée nationale. Le Sénat a adopté une position plus conservatrice, remettant en question plusieurs éléments clés tels que l'exigence de mise en demeure préalable. Cette démarche semble aller à l'encontre de l'objectif de simplification et d'accessibilité de la justice pour les victimes de masse. De plus, la suppression de la possibilité de prononcer une amende civile par le Sénat érode encore davantage le potentiel dissuasif de ce type d'actions.

Pourquoi vous semble-t-il important d'ouvrir l'action de groupe à d'autres entités que les associations de consommateurs agréés ?

Il est crucial de permettre à d'autres entités, comme les entreprises, de lancer des actions de groupe. Cette ouverture serait conforme au principe de liberté d'association et permettrait de cibler des cas où les consommateurs ne sont pas directement affectés, tels que les pratiques anticoncurrentielles qui nuisent principalement aux entreprises. En élargissant le champ des acteurs éligibles à mener des actions de groupe, nous pourrions renforcer la justice corrective et dissuasive et mieux réguler les pratiques commerciales déloyales à une échelle plus large.

Vous souhaitez également simplifier la procédure des actions de groupe. Que signifie cela concrètement ?

Simplifier la procédure signifie réduire la complexité et les coûts associés à la gestion des actions de groupe, notamment en ce qui concerne la collecte de preuves et les opérations d'expertise. Ces processus sont souvent longs et onéreux, ce qui peut décourager les demandeurs potentiels. En rationalisant ces étapes, nous pourrions rendre les actions de groupe plus accessibles et efficaces, augmentant ainsi la probabilité que les victimes obtiennent réparation et que les entreprises réfléchissent à deux fois avant de se livrer à des comportements répréhensibles.

Pourquoi êtes-vous favorable à une interruption plutôt qu'à une suspension de la prescription des actions individuelles ?

L'interruption la prescription offre un avantage significatif par rapport à la suspension  : elle remet le compteur à zéro. En cas d'interruption, une fois l'action en justice lancée, le délai de prescription recommence après la fin de la procédure judiciaire, donnant ainsi plus de temps pour agir. Cette approche est particulièrement utile dans le contexte d'actions de groupe où les procédures peuvent s'étendre sur de longues périodes. Elle garantit que les droits des justiciables ne sont pas indûment restreints par des délais de prescription qui pourraient expirer avant même que l'affaire ne soit résolue.

Le Sénat a supprimé la possibilité de condamner le défendeur à une amende civile. Est-ce justifié selon vous et quelles seraient les alternatives ?

La suppression de la possibilité de condamner à une amende civile par le Sénat n'est pas justifiée, car elle enlève un outil important de dissuasion et de réparation. Une alternative serait d'introduire des dommages et intérêts punitifs, qui permettraient non seulement de punir les fautes, mais aussi de compenser les victimes tout en dissuadant des comportements similaires à l'avenir. Cette approche, inspirée des systèmes juridiques anglo-saxons, pourrait offrir une balance plus équitable entre la prévention, la punition et la compensation, renforçant ainsi l'efficacité des actions de groupe en France.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier


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