Le cabinet Clifford Chance a publié la première édition du guide intitulé "Africa Anti-corruption Guide". Il vise à fournir aux entreprises un outil clair, complet et concis pour les aider à comprendre et à naviguer dans les complexités juridiques des règlementations anticorruption en vigueur dans 10 pays africains (Algérie, Côte d'Ivoire, Egypte, Ghana, Kenya, Maroc, Nigeria, Sénégal, Afrique du Sud et Tanzanie). Explications avec Charles-Henri Boeringer, associé, Clifford Chance.
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce guide ?
C'est pour une raison simple. Nous avons de plus en plus de clients qui investissent sur le continent africain. Bien sûr, ce n’est pas nouveau, mais la tendance se renforce. Notre cabinet les accompagne beaucoup sur des opérations de financement de projets, sur des acquisitions et des grands processus d'arbitrage. Mais nous constatons que de nombreuses questions se posent concernant les risques de non-conformité et pénaux.
Historiquement, nos clients nous ont beaucoup sollicités concernant la gestion des risques de compliance en Asie. Mais depuis quelques années, nous constatons que la gestion de ces risques dans le cadre de leurs opérations et investissements sur le continent africain devient un sujet majeur. C'est donc ce qui a conduit à la naissance de ce guide.
Quels sont les principaux objectifs du guide ?
L'objectif premier est de répondre aux principales questions que se posent les entreprises au quotidien dans le cadre de leurs activités en Afrique. Avec l'aide de nos partenaires locaux, nous couvrons 10 pays en Afrique. Ce n'est qu'une petite partie, c'est un cinquième du continent, mais ces pays sont ceux pour lesquels nos clients nous sollicitent le plus. À chaque fois, nous répondons aux mêmes questions pour qu'il y ait aussi une dimension comparative.
Cela commence donc par des questions sur la réglementation, la façon dont la corruption est définie, couvrant ainsi la corruption publique, privée et le trafic d'influence. Nous répondons à plusieurs questions juridiques (responsabilité des personnes morales, compétence extraterritoriale, sanctions…) et sur les tendances en termes de poursuites (autorités en charge des poursuites, intensité des poursuites…).
Puis, nous élargissons à des questions se situant à la frontière du droit pénal et de la compliance. Existe-t-il une réglementation qui protège les lanceurs d’alerte ? Existe-t-il une réglementation qui impose ou récompense la mise en place de programmes de conformité, un peu comme le fait la loi Sapin 2 dans ces 10 pays ? La réglementation prévoit-elle la possibilité d'une négociation en cas de poursuites, comme le fait la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en France, puis le mécanisme du DPA (Deferred Prosecution Agreement) dans les pays anglo-saxons.
Y a-t-il des tendances qui émergent autour de l’examen de ces 10 pays africains ?
Il est toujours un peu dangereux de généraliser sur l’Afrique, car c'est un continent évidemment très contrasté. Mais le guide met en évidence quelques tendances. Tout d'abord, la plupart des pays, voire la grande majorité des pays, sont tous signataires des grandes conventions internationales contre la corruption. À la fois les grandes conventions classiques, comme la Convention de Mérida, mais aussi les conventions spécifiques au continent africain, comme la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, etc. Ils disposent donc le plus souvent d’une réglementation anticorruption répondant aux standards de ces conventions. En particulier, ils incriminent tous la corruption privée, à l'exception notable du Ghana.
Le Guide révèle également que la majorité des 10 pays couverts par le Guide disposent d'une réglementation protégeant les lanceurs d’alerte, à l'exception du Sénégal et de l'Égypte, ce qui est évidemment un très bon signe et exprime une tendance. Pour autant, cela donne une vision un peu déformée, car en réalité, sur l'ensemble du continent, seule une dizaine de pays disposent d'un tel dispositif. Et des études d'opinion révèlent un certain scepticisme quant à l'efficacité des mesures anti-représailles. La méfiance demeure donc très présente.
Par ailleurs, à l'exception du Kenya, les pays couverts par notre guide ne disposent pas d'une législation imposant la mise en place de programme anticorruption dans les entreprises, à l'instar de la loi Sapin 2. Il y a donc un vrai retard sur ce terrain malgré un fort besoin.
Et dernier point, aucun des États que nous avons étudiés, à l'exception notable du Kenya qui s'inspire beaucoup du système anglais de l'UK Bribery Act, n'envisage la possibilité d'un règlement ou d'une négociation en cas de corruption, ce qui, d'après notre expérience de la CJIP, s'avère être un dispositif vertueux pour favoriser la lutte contre la corruption.
Dans ce guide, vous dressez un état des lieux de la lutte anticorruption dans ces 10 pays africains. Tirez-vous parti des perspectives futures, des tendances et des domaines d’amélioration de ces politiques ? Vous avez évoqué le fait qu'il y a encore très peu de lanceurs d'alerte, malgré le fait qu'il existe des politiques incitant à lancer des alertes. Y a-t-il des domaines d’amélioration par rapport à ces politiques de lutte anticorruption en Afrique ?
Il me semble qu’il y a un sujet sur l’efficacité des poursuites, qui le plus souvent, dans ce que l’on peut observer, sans trop entrer dans la granularité, sont encore liées aux mouvements politiques. Il y a donc des poursuites, mais elles sont souvent liées à des changements de gouvernement. C'est le cas par exemple de l'Algérie à la suite du départ d'Abdelaziz Bouteflika en 2021. Même si les statistiques sont lacunaires et il est difficile d'être conclusif, on ne voit pas encore une activité de poursuites concernant le monde des affaires en dehors de toute dimension politique.
De fait, la perception de la corruption résultant des études d'opinion reste assez négative avec un sentiment d'aggravation assez présent. Il est intéressant de noter que lorsque dans certains pays, tels que le Bénin, les habitants perçoivent une amélioration des facteurs démocratiques, ils jugent également, car les deux sont liés, une amélioration du phénomène de la corruption.
Concernant les axes d'amélioration, outre l'indépendance des autorités de poursuite et la question de leurs ressources, figure naturellement les mesures de prévention. La mise en place, au sein des entreprises, de programmes de conformité pour résister à des situations de corruption endémique serait un vecteur de progrès. La protection effective des lanceurs d'alerte est aussi un point majeur, à la fois pour les entreprises elles-mêmes, mais aussi dans le cadre de la relation avec les administrations.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier