L'Institut Montaigne publie une nouvelle note de sa série Rebondir face au Covid-19 qui formule neuf propositions pouvant toutes avoir un impact réel et positif sur l’emploi. Ce travail déploie un arsenal de solutions concrètes et faciles d’accès, accordant une importance croissante au dialogue social.
Avec le nombre de procédures de licenciements collectifs qui a plus que doublé en un an, la crise sanitaire et économique du Covid-19 a plongé la France dans une situation inédite en matière d’emploi.
« De nombreuses mesures ont été prises depuis le début du quinquennat, puis durant la crise du Covid-19, pour permettre aux entreprises de faire face à des aléas d’activité. Les outils déployés ont été ambitieux et coûteux, comme l’activité partielle sous toutes ses formes et le plan en faveur de l’emploi des jeunes. Il est toutefois encore temps d’innover pour sauver des pans entiers de notre économie ! C’est tout l’objet de cette note qui propose de créer un nouveau cadre juridique qui permette de sauvegarder l’emploi en France » explique Franck Morel, nouveau Senior Fellow de l’Institut Montaigne sur les questions de travail, d’emploi et de dialogue social, ancien conseiller du Premier ministre Edouard Philippe sur les questions de relations sociales, de travail et d’emploi de 2017 à l’été 2020.
Les 9 propositions de l’Institut Montaigne en faveur de l’emploi :
Faciliter l’embauche et adapter les règles relatives aux contrats de travail
1. Assouplir les conditions de mise en œuvre du prêt de main d’œuvre et supprimer l’exigence légale de motif de recours pour une mission effectuée dans le cadre d’un CDI intérimaire.
Les formes de relations triangulaires d’emplois offrent une innovation en termes de gestion des aléas de l’activité, d’accès à une compétence spécifique ou de souplesse de l’organisation des ressources humaines.
Le prêt de main d’œuvre à but non lucratif permet de maintenir l’emploi de salariés auprès d’autres entreprises de façon temporaire. Parallèlement, le CDI intérimaire allie souplesse de l’intérim aux caractéristiques afférentes à la signature d’un CDI.
L’utilisation de ces deux dispositifs doit être encouragée et les souplesses mentionnées dans la loi d’urgence pourraient être pérennisées.
2. Permettre à un accord de branche étendu d’autoriser pour certains métiers, certaines formations - notamment par le biais de contrats de travail en alternance -, voire pour certaines tailles d’entreprise, la mise en œuvre par voie contractuelle d’une clause de dédit-formation lorsque l’entreprise met des moyens supplémentaires en œuvre à ses obligations légales, limitée dans le temps et à l’exercice par le salarié d’activités concurrentes.
La réforme de l’apprentissage de septembre 2018 a contribué à doper le recours à l’alternance. La crise sanitaire risque de briser cette dynamique et a conduit les pouvoirs publics à instaurer un mécanisme de prime à l’embauche pour enrayer une telle chute.
Ce système de dédit-formation constituerait un appui à l’embauche en alternance dans les TPE et PME confrontées à des tensions de recrutements. Le fait de subordonner son usage à la négociation de branche permet de cibler les métiers et formations les plus concernées dans le cadre du dialogue social.
3. Permettre à un accord d’entreprise d’autoriser, dans les cas qu’il vise, le recours aux contrats de chantier. Permettre à titre expérimental, pendant un an, de déroger au délai de carence applicable entre deux CDD ou CTT lorsque la durée des deux contrats courts excède à chaque fois un mois.
Développer l’usage de ce type de contrat allierait l’accès au CDI à une souplesse liée au projet même. Lever la règle du délai de carence pour les CDD plus longs favorisera l’allongement de la durée de ces contrats.
4. Favoriser le passage à temps partiel d’un senior en fin de carrière et/ou l’aménagement de ses conditions conventionnelles d’emploi en termes de rémunération, de contenu de l’emploi via un cadre juridique sécurisé notamment des versements financiers opérés au profit des salariés.
La question de la gestion des fins de carrières est essentielle. Si l’emploi des seniors a connu ces dix dernières années une nette amélioration, les chômeurs âgés doivent encore faire face à des difficultés pour revenir à l’emploi.
Les échecs du CDD senior ou du contrat de génération imposent un maximum de souplesse pour qu’un tel dispositif puisse fonctionner et permettre tout à la fois de conserver des seniors en emploi et d’en recruter certains.
Mieux sécuriser et former les actifs
5. Favoriser le financement par des collectivités locales, via un abondement par l’État, voire par des acteurs privés, de garanties de protection sociale (mutuelle, formation, prévoyance, assurance-chômage facultative) en direction de travailleurs indépendants, soit pour répondre à des problématiques de redynamisation d’une zone ou d’une région, soit pour favoriser l’implantation d’activités indépendantes dans certains endroits.
L’essor du travail indépendant s’accompagne de questions et revendications croissantes autour de la sécurisation du cadre juridique dans lequel ces activités sont organisées d’une part, et concernant les garanties accessibles aux travailleurs indépendants, d’autre part. Poursuivre le processus de sécurisation et de garanties de manière assurée et maîtrisée doit reposer sur l’ensemble du corps social pour in fine développer l’emploi.
6. Simplifier le cadre et élargir l’accès collectif aux mécanismes de formation des demandeurs d’emplois à des salariés en poste dans des entreprises dont l’évolution de l’emploi est menacée et pour se former à de nouveaux métiers sur des besoins identifiés dans d’autres entreprises.
Les mutations de l’économie comme le fait que la moitié des métiers vont être transformés en dix ans imposent d’offrir tous les outils aux acteurs pour anticiper et se former. De nombreuses initiatives ont été lancées dans ce but, tels que la Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE) - individuelle ou collective - ou l’Action de Formation Préalable au Recrutement, afin de permettre d’acquérir les compétences nécessaires pour des professions pour lesquelles des projets de recrutements existent.
La réduction des possibilités de mobilisation des fonds de la formation par les entreprises pour orienter ceux-ci vers les priorités nationales suite à la réforme de 2018 doit être revue à la lumière de la crise, qui impose d’utiliser encore plus et à plein ces mécanismes. Il est inconcevable que certaines entreprises ne puissent y avoir pas accès faute de moyens.
Renforcer les souplesses possibles en matière de temps de travail
7. Permettre, par accord collectif d’entreprise, de reporter ou d’avancer sur trois ans la 5e semaine de congés payés et trois jours fériés chômés, avec une majoration financière.Le recours massif à l’activité partielle durant la crise, avec la moitié des salariés du privé en activité partielle en avril et encore le quart en juin 2020, ainsi que la possibilité de prévoir par accord collectif l’obligation de prendre une semaine de congés payés ont démontré le besoin d’une souplesse à la baisse du temps de travail pour préserver l’emploi.
En même temps, les exigences d’une reprise rapide nécessitent aussi un ajustement possible à la hausse du temps de travail pour satisfaire une demande en rapide augmentation, dans un contexte où le temps de travail annuel des salariés français à temps plein est parmi les plus faibles d’Europe.
Cette proposition permettrait de réduire ou d’augmenter le temps de travail jusqu’à un mois entier sur une année, sans que les droits des salariés ne soient amputés. Au début du XXe siècle, le module de référence du temps de travail était la journée. Dès les années trente, c’était la semaine. À partir des années quatre-vingt, cela commença à être l’année. La gestion du temps de travail s'opérera de plus en plus sur des périodes qui excèdent l’année et tout au long de la vie.
Renforcer la démocratie sociale
8. Élargir le recours au référendum dans l’entreprise en le rendant possible à la demande conjointe de l’employeur et d’un syndicat représentatif. Le permettre pour un accord de branche.
Le recours à la négociation collective s’est largement accru depuis les ordonnances de septembre 2017. Près de 80 000 accords d’entreprises ont été déposés en 2018, dont près des deux tiers signés avec des représentants des salariés, une augmentation régulière depuis près de quarante ans. Pour autant, le recours au référendum, facilité par les ordonnances de 2017, n’a été utilisé que dans moins de 2 % des cas.
Si la pratique référendaire est peu développée, un usage encore plus souple et simple de ses possibilités de recours renforcera potentiellement le nombre d’accords signés.
9. De manière expérimentale pour trois ans, permettre aux signataires d’accords collectifs, qui le décident, de réserver des avantages conventionnels institués par l’accord aux seuls adhérents des organisations signataires.
Dans un contexte de faiblesse du taux de syndicalisation en France, le plus bas d’Europe, le développement d’un dialogue social de qualité, propice à favoriser des solutions aux enjeux auxquels sont confrontées les entreprises, est souhaitable. Permettre dans certains cas de réserver des avantages négociés aux membres des organisations qui se sont engagées par leur signature en faveur de la mise en place de tels avantages tels que, par exemple, de l’intéressement ou de la prévoyance peut y contribuer.
Des garanties de mise en œuvre permettant de respecter le secret de l’adhésion ou non à une organisation syndicale pourraient être mises en place, par exemple en ayant recours à un tiers de confiance.