Yasmine Tarasewicz, Associé et Geoffrey Roche, Elève-avocat au sein du cabinet Proskauer reviennent sur les dispositions relatives au licenciement économique contenues dans le projet de loi Croissance et Activité dit "Loi Macron".
Destiné à "déverrouiller l’économie française", le projet de loi Croissance et Activité se veut ambitieux. La version actuelle du texte aborde de multiples domaines du droit du travail. Il se conclut par les dispositions relatives aux licenciements économiques. Les six articles du projet de loi afférents à ce sujet ont davantage pour objet de préciser le dispositif législatif actuellement en vigueur que de le réformer en profondeur.
Yasmine Tarasewicz, Associé et Geoffrey Roche, Elève-avocat au sein du cabinet Proskauer reviennent sur les dispositions relatives au licenciement économique contenues dans le projet de loi Croissance et Activité dit "Loi Macron".
Destiné à "déverrouiller l’économie française", le projet de loi Croissance et Activité se veut ambitieux. La version actuelle du texte aborde de multiples domaines du droit du travail. Il se conclut par les dispositions relatives aux licenciements économiques. Les six articles du projet de loi afférents à ce sujet ont davantage pour objet de préciser le dispositif législatif actuellement en vigueur que de le réformer en profondeur.
1- Périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements (article 98 du projet de loi)
Comment fixer un périmètre restreint pour l’application des critères d’ordre des licenciements ? A cette question, la jurisprudence apportait, jusqu’à peu, une réponse claire : "sauf accord collectif conclu au niveau de l'entreprise ou à un niveau plus élevé, les critères déterminant l'ordre des licenciements doivent être mis en œuvre à l'égard de l'ensemble du personnel de l'entreprise" (Cass. Soc., 15 mai 2013, n° 11-27.458). Depuis l’intervention de la loi de Sécurisation de l’Emploi du 14 juin 2013, cette solution ne semble plus aussi évidente.
A première vue, cette loi paraît conforme à la jurisprudence antérieure. En effet, l’article L. 1233-24-2 du Contrat de travail prévoit expressément la possibilité pour un accord majoritaire de déterminer le périmètre de mise en œuvre des critères d’ordre des licenciements. Mais, par un subtil jeu de renvoi, l’article L. 1233-24-2 semble calquer le contenu des documents unilatéraux sur celui des accords majoritaires en matière de Plan de Sauvegarde de l’Emploi. Certains ont pu en déduire que le document unilatéral pouvait, comme l’accord collectif, limiter le champ d’application des critères à un périmètre plus restreint que celui de l’entreprise, par exemple l’établissement.
Cette interprétation des textes a fait l’objet de décisions contrastées (TA Cergy-Pontoise, 11 juill. 2014, n° 1404370 ; TA Paris, 14 oct. 2014, n° 1411810, dans un sens contraire : CAA Versailles, 22 oct. 2014, n° 14VE02408).
En amont de l’intervention du Conseil d’Etat, le gouvernement s’est saisi de cette problématique. Le projet de loi prévoit ainsi que "le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé (…) par le document unilatéral mentionné à l’article L. 1233-24-4 à un niveau inférieur à celui de l’entreprise" (article 98 du projet de loi). L’article L. 1233-5 ainsi complété présenterait l’avantage de mettre fin à l’insécurité juridique régnant sur ce point. Intéressante, cette solution permet de prévenir certaines situations paradoxales engendrées par l’application des critères d’ordre des licenciements au plan de l’entreprise : par exemple en cas de fermeture d’un seul site dans une entreprise à établissements multiples, elle évite le licenciement de salariés d’autres sites que celui dans lequel le poste est effectivement supprimé.
2- Petits licenciements économiques (article 99 du projet de loi)
Si la loi de Sécurisation de l’Emploi du 14 juin 2013 n’avait pour ambition que de réformer les "grands licenciements économiques", l’article L. 1233-53 du Code du travail, inséré à cette occasion dans la section du Code du travail relative aux licenciements de dix salariés ou plus sur une période de trente jours, détonait. Celui-ci prévoit en effet "pour les entreprises de moins de cinquante salariés et les entreprises de cinquante salariés et plus lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix salariés dans une même période de trente jours" une procédure de contrôle de l’administration.
Cette "erreur matérielle" (Etude d’impact du projet de loi pour la croissance et l’activité, 10 déc. 2014) se voit supprimée par le projet de loi. En pratique, l’article L. 1233-53 n’a aujourd’hui que peu de portée. Aucune obligation de notification du projet de licenciement économique n’existant dans ces hypothèses, l’administration n’est informée qu’a posteriori de tels licenciements, par écrit dans les 8 jours suivant l’envoi des lettres de licenciement (C. trav., art. L. 1233-19).
3- Reclassement à l’étranger (article 100 du projet de loi)
Le Code du travail impose aux employeurs souhaitant procéder à des licenciements économiques de demander aux salariés, en amont de leur licenciement, s’ils souhaitent recevoir des offres de reclassement à l’extérieur du territoire français dans l’hypothèse où l’entreprise ou le groupe auquel ils appartiennent dispose d’implantations à l’étranger (C. trav., art. L. 1233-4-1). Cette obligation marque la prise en compte de l’internationalisation des sociétés dans la démarche de reclassement. Son efficacité demeure toutefois relative. De nombreuses contraintes viennent limiter la possibilité pour les salariés d’effectuer une mobilité internationale : apprentissage d’une langue étrangère, situation familiale. Le faible intérêt manifesté pour de telles offres, en dépit des récents efforts du législateur pour assurer une rémunération décente (C. trav., art. L. 1233-4), n’est donc pas surprenant.
Prenant acte de cette réalité, le projet de loi modifie le périmètre de mise en œuvre de l’obligation de reclassement en prévoyant que celui-ci s’opère "sur les emplois disponibles situés sur le territoire national, dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie". Il incomberait alors aux salariés de demander à l’employeur "la liste précise des offres d’emploi situées hors du territoire national". Modifié en 2010 (loi n° 2010-499, 18 mai 2010), le régime du reclassement interne à l’étranger ne semble pas avoir pris ses marques dans un pays comme la France où la mobilité internationale n’est pas encore la règle. L’objet du projet de loi paraît ainsi en adéquation avec la réalité sociale.
Motivation des décisions administratives (article 102 du projet de loi)
La motivation constitue un élément essentiel de régularité des décisions de validation d’un accord majoritaire ou d’homologation du document unilatéral. Plusieurs jugements d’annulation rendus par les juridictions administratives sont aujourd’hui fondés sur une insuffisance de motivation. Or, les entreprises, pourtant extérieures à cet acte, subissent directement les conséquences de l’insuffisance de motivation : si la décision est annulée pour ce motif, l’employeur s’expose au versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (C. trav., art. L. 1235-16). Comme palliatif, le projet de loi prévoit une modification importante : en cas d’annulation de la décision pour insuffisance de motivation, l’autorité administrative sera tenue de prendre "une nouvelle décision suffisamment motivée".
L’impact sur les licenciements prononcés en cas de décision annulée pour insuffisance de motivation sera aussi neutralisé : cette annulation "est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur". L’entreprise ne sera donc plus pécuniairement responsable du défaut de motivation imputable à l’administration. Il est difficile, en effet, de justifier qu’une entreprise ayant respecté l’ensemble des règles relatives aux licenciements économiques (procédure d’information/consultation des représentants du personnel, élaboration d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi proportionné aux moyens de l’entreprise et comportant l’ensemble des mesures sociales d’accompagnement des salariés) doivent supporter les conséquences financières d’une insuffisance de l’administration. Cette modification s’imposait pour que les entreprises victimes de telles situations ne se retournent pas contre l’Etat pour obtenir une indemnisation du préjudice causé par la carence de l’administration.
5- Contrats de sécurisation professionnelle (article 103 du projet de loi)
Dans les entreprises non soumises à l’obligation de proposer un congé de reclassement (C. trav., art. L. 1233-71), l’employeur doit proposer aux salariés concernés par une procédure de licenciement collectif pour motif économique le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle (C. trav., art. L. 1233-66). Ce dernier vise à accompagner le retour à l’emploi notamment en organisant une reconversion, une création ou une reprise d’une entreprise. Le projet de loi vient préciser que "cette proposition est faite après la notification par l’autorité administrative de sa décision de validation ou d’homologation". Cette modification permet d’adapter la mise en œuvre du contrat de sécurisation professionnelle au nouveau dispositif relatif aux licenciements collectifs pour motifs économiques tel qu’issu de la loi du 14 juin 2013. L’acceptation d’un tel contrat doit, en effet, s’articuler avec la procédure d’homologation ou de validation au terme de laquelle l’employeur peut notifier les licenciements (C. trav., art. L. 1233-39). La version actuelle de l’article L. 1233-66, en prévoyant que la proposition doit intervenir lors de l'entretien préalable ou à l'issue de la dernière réunion des représentants du personnel, n’apparaît plus adaptée aux nouvelles dispositions.
De manière complémentaire, le projet de loi prévoit certains aménagements pour les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire (article 101 du projet de loi) : le Plan de Sauvegarde de l’Emploi devra être proportionné "au regard des moyens dont dispose l’entreprise" et non plus à ceux du groupe auquel elle appartient.
Les articles relatifs au licenciement économique sont au final davantage une mise en cohérence de la loi avec la volonté du législateur qu’une véritable refonte de celle-ci. Néanmoins, les quelques réactions que cette partie du projet de loi commencent à susciter rappellent à quel point le licenciement pour motif économique demeure un sujet sensible, certains prêtant au texte des "vertus libérales" qu’ils condamnent.
Yasmine Tarasewicz, Associé et Geoffrey Roche, Elève-avocat au sein du cabinet Proskauer
A propos des auteurs
Yasmine Tarasewicz, Associée, Proskauer
Yasmine Tarasewicz est associée du cabinet Proskauer au bureau de Paris. Egalement co-responsable du groupe Travail International & Emploi au niveau mondial, elle dispose de plus de vingt années d’expérience en droit du travail français et européen. Yasmine Tarasewicz intervient aussi bien en conseil qu’en contentieux sur un bon nombre de dossiers français de droit social des plus prestigieux ainsi qu’à l’international.
Geoffrey Roche, Elève-avocat, Proskauer
Diplômé du Master II Droit Social de Paris II, Geoffrey Roche intervient en qualité de Juriste au sein du département Droit Social du cabinet Proskauer de Paris, sur des problématiques liées aux relations collectives de travail et en matière de protection sociale complémentaire.