John Galliano, créateur de la maison de couture Dior, vient d’être licencié suite à la diffusion d’une video amateur sur Internet. Même si à ce jour il n’a pas encore saisi le conseil des prud’hommes, on peut légitimement douter du fait que cette video puisse justifier un licenciement. Kim Campion, associé, responsable du département droit social et Camille Jarosik, juriste au sein du département droit social du Cabinet Courtois Lebel, expliquent pourquoi.
Initialement limités à la sphère privée, les réseaux sociaux et les sites internet de partage de vidéo s'immiscent jusque dans les relations entre employeurs et salariés. John Galliano, maintenant ex-employé de la maison de couture Dior, vient de l'apprendre à ses dépens.Le 28 février dernier, la diffusion sur Internet d'une vidéo amateur, tournée dans un bistro parisien, puis vendue au tabloïd The Sun, met en scène ce créateur de la grande maison de couture tenant des propos antisémites. Ayant eu connaissance de ces propos, la maison Dior a engagé une procédure de licenciement.
Ne pas licencier sans précautions préalables
Cette affaire survient alors que de récents arrêts du Conseil de prud'hommes consacrent Facebook comme quasi-outil de surveillance des salariés. Au-delà de la polémique médiatique qu'elle engendre, cette affaire appelle quelques précisions quant aux principes gouvernant l'admission de la preuve en droit du travail. Tous les employeurs ne pourront pas, sans précautions préalables, licencier leurs salariés pour des faits diffusés sur la toile.
Avant tout, le principe reste celui du droit de chacun au respect de sa vie privée. Il en résulte qu'il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière (Soc 22 janvier 1992). Ainsi, par exemple, la publication sur sa page Facebook d'une photo de la dernière soirée du week-end ne saurait, systématiquement et sans conditions, être sanctionnée, le lundi matin, par un licenciement.
S'agissant spécifiquement de « l'affaire Galliano », le créateur a tenu les propos sanctionnés en dehors de son temps et de son lieu de travail, dans le cadre de sa vie privée. En conséquence, ils ne peuvent être sanctionnés qu'à la condition qu'ils créent un trouble caractérisé au sein de l'entreprise. Malgré la teneur des propos dont on pourrait considérer qu'ils nuisent au rayonnement international de Dior, la cause réelle et sérieuse de ce licenciement ne va pas de soi d'un point de vue strictement juridique.
Ainsi, alors que tous s'accordent à condamner Galliano pour ses propos (niés par l'intéressé au demeurant), une question reste en suspens : une vidéo postée sur YouTube constitue-t-elle un moyen de preuve loyal pouvant motiver un licenciement ?
Le mode d'obtention des preuves doit être loyal
L'un des principes du droit du travail, et plus généralement de la procédure civile, est la loyauté. La loyauté s'applique dans les rapports de travail mais également, et ici principalement, dans le mode d'obtention des preuves.
Le Code du travail consacre ce principe en érigeant en règle qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance (article L 1222-4 Code du travail).
Ainsi, le caractère clandestin des procédés utilisés rend illicite l'emploi des preuves obtenues. Il est de jurisprudence constante que « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insue de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Civ.2, 7 octobre 2004 ; RJDA 2/05 n°22).
Par ailleurs, il n'est sans doute pas inutile de rappeler que l'article 226-1 du Code pénal sanctionne « le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter atteinte volontairement à l'intimité de la vie privée d'autrui : en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel (...) ».
En l'espèce, on pourrait penser que la force obligatoire de tels principes a été battue en brèche par les décisions « Facebook », mais le juge a pris le soin de préciser que le salarié ne pouvait ignorer que sa page Facebook était susceptible d'être portée à la connaissance de tiers.
Mais cette jurisprudence peut-elle être transposée à une vidéo clandestine, vendue à un média, puis diffusée sur Internet ?
S'il peut être contesté que le respect de la vie privée doive l'emporter, compte tenu du trouble susceptible d'être causé à la maison Dior, on peut en revanche légitimement douter du fait que cette vidéo puisse, devant les Prud'hommes, justifier le licenciement.
Il ne peut être garanti que John Galliano portera cette affaire devant le Conseil de Prud'hommes. Mais, compte tenu de l'explosion attendue des contentieux liés au développement des réseaux sociaux et des sites de partage de vidéos, on peut s'attendre à ce que soient remises en cause les frontières jusqu'ici tracées entre vie privée et vie professionnelle telles qu'elles sont traditionnellement retenues par la jurisprudence. Quoi qu'il en soit et à n'en pas douter, la tâche du juge va s'avérer difficile.