Stéphanie Corbière, Responsable juridique Groupe de NextradioTV commente les conclusions de l’avocat général de la CJUE, sur l’affaire GS Media BV / Sanoma Media Netherlands BV dans lesquelles il défend la liberté de communication d’œuvres susceptibles d’être partagées sur différents sites par des moyens techniques utilisant notamment des hyperliens.
L’avocat général de la Cour de Justice, dans ses conclusions d’avril 2016 sur l’affaire GS Media BV / Sanoma Media Netherlands BV 1 témoigne d’une certaine audace à défendre la liberté de communication d’œuvres susceptibles d’être partagées sur différents sites par des moyens techniques utilisant notamment des hyperliens 2 .
Si l’article 3 de la directive du 22 mai 2001 3 sur les droits d’auteur exige une autorisation de principe des titulaires des droits pour chaque acte de communication d’une œuvre au public, cette notion est toutefois définie par la jurisprudence. Par une interprétation restrictive, la Cour de Justice cherche à faire de ce concept une notion autonome au droit de l’Union de nature à pouvoir être interprétée uniformément par les juridictions nationales des Etats membres.
La Cour de Justice a affiné progressivement sa jurisprudence afférente aux liens hypertextes en posant de la sorte les critères permettant d’accéder aux œuvres sur Internet.
Dans l’affaire BestWater 4 , la question préjudicielle soumise à la Cour de justice portait sur le point de savoir si des liens utilisant la technique du framing 5 permettait à un tiers de pouvoir pointer vers une œuvre disponible sur YouTube sans autorisation des ayants-droits. Dans une ordonnance de 2014, la CJUE répond toutefois négativement à cette question et estime que le framing associé à l’hyperlien "ne peut être qualifié de communication au public […] dans la mesure où l’œuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine". La Cour fédérale allemande devra donc analyser si les ayants droits avaient préalablement autorisé la diffusion initiale de la vidéo sur Internet. Si tel n’était pas le cas, les liens embed pourront être constitutifs d’une communication de l’œuvre à un public nouveau.
Si la Cour se prononçait dans cet arrêt pour la première fois sur la question du framing, le "public nouveau" a été déjà défini dans l’arrêt Svensson 6 de février 2014, la CJUE ayant estimé qu’il s’agissait du "public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public". Les conditions requises restent néanmoins que l’œuvre originale doit être librement accessible (sans restriction ni abonnement sur le site source) et reproduite originellement avec l’autorisation des ayants-droits à l’origine.
Cette interprétation particulièrement large du "public nouveau" s’avère particulièrement favorable au partage d’informations disponibles sur la toile. Pour un exemple, nombreuses sont les agences de presse qui fixent les prix des contenus qu’elles fournissent aux éditeurs en fonction de l’audience du site client. Ces tarifs ne comprennent pas les rediffusions qui pourraient être effectuées par des liens intégrant la technique du framing.
L’interprétation de l’avocat général Melchior Wathelet dans l’affaire GS Media BV va même encore plus loin que celle de la CJUE dans l’affaire BestWater ce dernier estimant que le placement d’un hyperlien renvoyant vers un site qui a publié des photos même sans autorisation ne constitue pas en soi une contrefaçon. En l’espèce, Sanoma, un éditeur de revue commanditaire de photographies avait exigé que GS Media, exploitant du site internet GeenStij, procède au retrait d’annonces et de liens hypertextes renvoyant les internautes vers des sites tiers où ces photographies étaient rendues disponibles sans autorisation préalable de l’éditeur. GS Media ayant refusé la suppression, Sanoma agit en contrefaçon de droit d’auteur. Saisi en cassation, le Hoge Raad der Nederlander 7 soumet à la Cour de Justice le point de savoir si le fait de publier un hyperlien qui renverrait vers un contenu illicite est lui aussi illicite.
L’avocat général reconnaît tout d’abord que les liens disponibles sur le site GeenStij facilitent l’accès à d’autres sites et par voie de conséquences à des contenus de nature à être protégés par des droits de propriété intellectuelle. L’hyperlien n’a qu’un rôle de conducteur, l’acte de mise à disposition de l’œuvre résulte du fait de la personne qui a procédé à la communication initiale, à savoir ici le site qui avait repris les photographies initiales. De simples liens de nature à renvoyer vers des œuvres ne sont donc pas susceptibles d’être qualifiés d’"actes de communication". Le Hoge Raad devra quant à lui se prononcer sur le point de savoir si l’intervention de l’exploitation du site internet était indispensable pour que les photographies litigieuses soient mises à disposition des visiteurs du site GeenStij.
Bien que les conclusions de l’avocat général soient limitées ici aux simples hyperliens et ne lient pas la Cour de justice, elles pourraient entériner les pratiques actuelles des internautes sur les réseaux sociaux ouverts. Ces derniers n’hésitent pas à partager des contenus dont ils n’ont pas forcément les droits par des liens hypertextes, et ce en dépit des conditions générales d’utilisation des plateformes qui requièrent de leurs utilisateurs qu’ils garantissent détenir tous les droits sur les contenus qu’ils publient. L’avocat général dans l’affaire GS Media BV estime à ce titre qu’une interprétation plus stricte de la notion de communication au public "entraverait considérablement le fonctionnement d’internet et porterait atteinte à l’un des objectifs principaux de la directive, à savoir le développement de la société de l’Information en Europe". Cette interprétation pourrait d’ailleurs venir anticiper le futur texte de la directive sur les droits d’auteur.
Si en droit français, les juridictions peuvent sanctionner des reproductions de sites sous l’angle de la contrefaçon 8 ou du parasitisme 9 , il convient de noter un amendement 10 au projet de loi pour une République numérique qui cherchaient à contourner l’arrêt Svensson de la CJUE a quant à lui été retiré. Les députés à l’origine de cet amendement souhaitaient modifier la loi pour la confiance dans l’économie numérique 11 en instaurant une responsabilité pénale des prestataires (FAI et hébergeurs) lorsque ces derniers donnaient accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le Code de la propriété intellectuelle. Axelle Lemaire, la Secrétaire d’Etat au numérique a quant à elle estimé qu’il était "prématuré d’apporter à cette question une réponse juridique au niveau national […] C’est au niveau européen, lors de la révision de la directive au droit d’auteur […] que la question devra être posée".
Le commissaire européen chargé de la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies 12 a annoncé début avril 2016 que la présentation du projet de révision de la directive de 2001 sur le droit d’auteur sera toutefois reportée à l’automne. Pour rappel, l’eurodéputée Julia Reda avait présenté courant 2015 son rapport 13 sur l’adaptation de la directive sur le droit d’auteur devant la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Le considérant 35 du rapport invite "instamment la Commission […] à prendre en compte l’utilisation de plus en plus courant d’œuvres créatives dans les contenus générés par les utilisateurs et les plateformes de médias sociaux sur l’Internet, et à améliorer l’information des utilisateurs quant aux obligations incombant à ceux qui proposent sciemment des hyperliens vers un contenu protégé ou des liens visant à contourner les systèmes de paiement". Ce rapport plaide d’une manière générale en faveur d’un rééquilibrage de la législation européenne en faveur des droits du public et de l’accès aux œuvres, tant pour le présent que pour l’avenir.
Stéphanie Corbière, Responsable juridique Groupe de NextradioTV
______________________
NOTES
1 CJUE, Communiqué de presse n°27/16, 7 avril 2016.
2 Hyperlien défini par la Commission générale de terminologie et de néologie comme "un système de renvois permettant de passer directement d’une partie d’un document à un autre, ou d’un document à d’autres documents choisis comme pertinents par l’auteur". Vocabulaire de l’informatique et de l’internet, JO, 16 mars 1999.
3 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10). Directive dûment transposée.
4 CJUE, ord. 21 oct. 2014 BestWater International GmbH c. Michael Mebes & Stefan Potsch, aff. C-348/13
5 Ces liens permettent d’intégrer dans un cadre dédié d’une page web un contenu issu d’un site tiers et hébergé par ce dernier.
6 CJUE, 13 fév. 2014, Nils Svensson c. Retriever Sverige, aff. C-466/12.
7 Equivalent de la Cour de Cassation aux Pays-Bas.
8 Trib. Gr. Inst. Marseille, 1 ère Civ., 4 juin 2015.
9 CA Paris, ch. 2, 15 avr. 2016 : "[…] qu’il y a lieu de considérer qu’en adoptant comme elle l’a fait une présentation de son site que rien n’imposait, la société Quincaillerie Angles, faussant le jeu d’une saine concurrence, a employé une stratégie commerciale tendant à rechercher une proximité avec le commerce en ligne de son concurrent agissant dans le même domaine de l’outillage, en s’épargnant, ce faisant, toute perte de temps et coûteuses recherches potentiellement répercutables sur ses prix de vente ou rognant ses bénéfices, et l’a privée, de plus, de l’entier profit qu’elle pouvait légitimement attendre, à terme, de ses investissements, peu important, au stade de l’appréciation de la faute, que le nombre de visiteurs ou le chiffre d’affaires de la société Debonix n’aient pas été sensiblement affectés […]".
10 Amendement n°843 retiré au Projet de loi pour une république numérique (n°3399). L’exposé sommaire indiquait que l’amendement appelait à "redonner une protection à ces liens, en faveur des auteurs des contenus auxquels ils renvoient et les ayants droits, tout en sécurisant la position des non-professionnels".
11 Art. 6 de la loi n°204-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
13 Rapport sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, 24 juin 2015.