Démarchage bancaire et financier par une personne non habilitée : nullité du mandat confié

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Silvestre Tandeau de Marsac - Avocat - Fisher, Tandeau de Marsac, Sur & AssociésDans un jugement du 24 mai 2011, le tribunal de grande instance de Montbéliard annule un mandat donné à un conseil en fusion-acquisition/rapprochement d’entreprises qui ne s’était pas enregistré comme conseiller en investissements financiers (CIF).

Une décision particulièrement intéressante tant sur la question de la qualification de l’activité de conseil en fusion-acquisition/rapprochement d’entreprise que sur les conséquences du non-respect de la réglementation relative au démarchage bancaire et financier.

Un décryptage de Silvestre Tandeau de Marsac, Fisher, Tandeau de Marsac, Sur & Associés.

Le dirigeant et actionnaire unique d’une SAS a reçu le 14 juin 2006 un courrier d’une personne se présentant comme " conseil en fusions-acquisitions, rapprochement d’entreprises spécialisé dans la réalisation d’alliances industrielles et commerciales ainsi que dans l’ingénierie d’opérations de haut de bilan, essentiellement des cessions d’entreprises ".

Dans ce courrier, le conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises indiquait au dirigeant qu’il prenait contact avec lui afin de lui proposer un projet d’alliance avec un groupe industriel européen par voie de cession de contrôle d’une majorité voire de la totalité des parts formant le capital de sa société.

Un mandat de cession était signé entre le conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises et le dirigeant pris en sa qualité de propriétaire de l’intégralité des parts de cette société.

En vertu de ce mandat, le conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises devait présenter au dirigeant des acquéreurs candidats à la reprise de la totalité des parts sociales de sa société.

Aucune suite n’était donnée aux propositions reçues.

S’interrogeant sur les compétences réelles de son conseil, le dirigeant d’entreprise s’est alors aperçu, après vérifications, que ce dernier n’était inscrit ni en tant que démarcheur bancaire et financier, ni en tant que CIF.

Prenant acte du défaut d’habilitation de son conseil, le mandant a donc estimé que le mandat de cession était nul.

Après avoir appris que le dirigeant avait finalement cédé son entreprise, le conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises a réclamé le règlement des honoraires de diligences en application du mandat de cession, estimant avoir été à l’origine de ladite cession.

Le cédant s’étant fermement opposé à sa demande, le conseil a assigné ce dernier devant le tribunal de grande instance de Montbéliard aux fins de le voir condamner à lui verser les honoraires de diligences ainsi que des honoraires de bonnes fins.

Le cédant demanda alors au tribunal de constater le caractère nul et non avenu du mandat de cession aux motifs que le démarchage du conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises était illicite et que le mandat ainsi signé avait pour objet l’exercice illégal du conseil en investissements financiers.

Enjeux

A l’instar du conseil en gestion de patrimoine, le conseil en fusions-acquisition/rapprochement d’entreprises, appelé encore "conseil en haut de bilan", apparait comme une activité transversale pratiquée par des professionnels d’horizons différents soumis ou non à des réglementations spécifiques.

L’activité elle-même du conseil en haut de bilan n’est pas définie par la loi.

Afin d’encadrer le développement de cette activité, la loi n°2003-706 du 1er août 2003 a soumis le conseil en haut de bilan au régime des conseillers en investissements financiers (CIF)(1).

Le dirigeant d’entreprise soutenait donc que le conseil en haut de bilan ne se limitait nullement à la réalisation de placement financier.

Bien au contraire.

Il faisait valoir que même celui qui se contentait d’apporter son expertise sur la cession d’actions ou d’actifs d’une entreprise ou sur le rapprochement avec des acteurs du même domaine d’activité exerçait incontestablement une activité de conseil en haut de bilan.

Il soutenait encore que le fait de prendre contact avec une personne déterminée afin d’obtenir d’elle un accord sur une prestation de conseil en investissement (2) (en ce compris le conseil en haut de bilan) sans avoir la qualité d’établissement de crédit, ni de prestataire de services d’investissement ou de CIF (3), constituait un démarchage bancaire et financier illicite.

Il rappelait qu’aux termes des articles L.541-4 et L.541-5 du CoMoFi, tout CIF doit, pour exercer ses activités en France, être enregistré auprès d’une association agréée par l’AMF.

Et que le fait d’exercer une activité de conseil en transmission d’entreprises sans être enregistré en tant que conseiller en investissements financiers auprès d’une association agréée par l’AMF était, tout comme le démarchage bancaire et financier non autorisé (4), prohibé et pénalement sanctionné(5).

Faisant application de ces dispositions, le défendeur faisait valoir que les conventions conclues à la suite d’un démarchage interdit étaient nulles  et qu’un contrat ayant pour objet l’exercice d’une activité agréée était également nul (6) en raison du caractère illicite de son objet (7).

Pour autant, l’ensemble des décisions en ce domaine avaient été rendues sur le fondement des anciens articles L.341-1 et suivants du CoMoFi relatifs au démarchage concernant les prêts d’argent et certains placements de fonds et non sur le fondement du démarchage bancaire et financier.

Le dirigeant d’entreprise invitait donc le tribunal à transposer cette solution au démarchage bancaire et financier, et ce, en visant aussi bien les produits que les services parmi lesquels figure le conseil en haut de bilan.

Solution du tribunal

Le tribunal de grande instance de Montbéliard suit en tout point l’argumentation développée par le dirigeant d’entreprise.

Il rappelle en premier lieu que l’activité de conseil en haut de bilan est effectivement incluse dans l’activité de conseil en investissements financiers :

"Par renvois successifs aux dispositions des articles L.541-1 et L.321-2, la prestation de conseil en investissement est définie comme la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle ainsi que de services concernant les fusions et le rachat d’entreprises."

Il précise que même si, en l’espèce, la mission du conseil en fusion-acquisition consistait à organiser une réunion de présentation et à assurer le suivi et le compte-rendu des réunions de contact ainsi que des visites, il n’en reste pas moins que la prestation fournie visait à la cession des valeurs mobilières représentatives des droits sur le capital de l’entreprise et qu’elle "entrait donc dans le champ d’application de l’article L.341-1 du code monétaire et financier qui ne saurait être restreint aux opérations impliquant un flux bancaire ou financier."

Le tribunal poursuit : "Or, en application de l’article L.341-3, seuls peuvent se livrer à ces opérations de démarchage les conseillers en investissement financier remplissant les conditions fixées par les articles L.151-2 à L.541-5 …"

Il affirme enfin que les dispositions des articles L.341-1 et L.341-3 sont d’ordre public, dès lors qu’elles sont pénalement sanctionnées, et que leur non-respect doit donc entraîner la nullité du contrat signé.

Portée

Même s’il ne s’agit que d’un jugement de première instance, sa portée n’est pas négligeable.

Pour la première fois, une juridiction civile tranche la question controversée de savoir si le conseil en haut de bilan relève ou non de la règlementation relative au conseil en haut de bilan.

La réponse est affirmative.

La qualité de la motivation permet de penser que cette décision fera jurisprudence.

Au demeurant, la cour d'appel de Paris statuant dans le même litige, mais en matière pénale, a retenu la même qualification.

Il apparait donc de plus en plus certain aujourd’hui que le conseil en investissement englobe le conseil en transmission d’entreprise dès lors en tout cas qu’il débouche sur une recommandation personnalisée d’effectuer une opération de cession ou d’acquisition d’instruments financiers.

Notes :

(1) Articles L.541-1, I, 3° et L. 321-2, 4°du Code monétaire et financier dans leur version antérieure au 1er novembre 2007
(2)Articles L.341-1 et L.541-1 du CoMoFi
(3) Article L.341-3 du CoMoFi
(4) Article L.353-2 du CoMoFi
(5) Article L.573-9 du CoMofi
(6) Cass.1ère civ, 20 juill. 1994, n°92-12431 ; Cass. 1ère civ., 4 févr. 1997, n°94-19059, cass 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-12498
(7) Cass. com, 4 nov. 2008, n°07-19805, Cass. Com., 19 nov. 1991, n°90-10270


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