Une illustration de la montée en puissance du lobbying chinois : la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'aviation

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Naïma Zitouni et Paul-Emmanuel Benachi, Avocats associés, Lefèvre Pelletier & associés, Avocats

Naïma Zitouni et Paul-Emmanuel Benachi, Avocats associés, Lefèvre Pelletier & associés, proposent un éclairage llustrant la montée en puissance du lobbying chinois avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'aviation.

De façon ambitieuse et relativement inédite par son application internationale, l'Union Européenne a intégré l'aviation civile dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de CO2. Depuis le 1er janvier 2012, les compagnies aériennes, quelle que soit leur nationalité, sont assujetties au système de contrôle et d'échange de l’Union (Directive CE n° 2008/101 du 19 novembre 2008, (la "Directive")). En pratique, ces dernières doivent désormais détenir des certificats d’émission correspondant aux émissions de CO2 générées par leur trafic aérien communautaire (vols à l'entrée et au départ du territoire communautaire). La majorité des Etats contractants de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) non ressortissants communautaires, notamment les Etats-Unis, la Russie, l'Inde et la Chine ont manifesté leur hostilité à l’égard de ces nouvelles dispositions et la Directive instaurant le contrôle des émissions de CO2 a fait l'objet d'un recours en validité.

1) La Directive validée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)

L’association Air Transport Association of America et les sociétés American Airlines Inc., Continental Airlines Inc. ainsi que United Airlines Inc., ont contesté en juillet dernier la validité de la Directive. L’International Air Transport Association (IATA) ainsi que le National Airlines Council of Canada sont intervenus pour soutenir les requérantes. 

Ces compagnies invoquaient l’illégalité de la Directive au regard du principe de droit international coutumier de souveraineté des Etats sur leur espace aérien ainsi que la violation de la convention de Chicago, du Protocole de Kyoto et de l’accord dit de « ciel ouvert », notamment en ce que la Directive conduirait à l'instauration d'une taxation sur la consommation de carburant.

Saisie par la « High Court of Justice of England and Wales », la CJUE, dans une décision en date du 21 décembre 2011 (aff. C366/10), a affirmé la validité de la Directive.

La Cour a relevé que les parties au Protocole de Kyoto peuvent s’acquitter de leurs obligations selon les modalités et la célérité dont elles conviennent. A ce titre, elle précise que l’obligation de chercher à limiter ou à réduire les émissions de certains gaz à effet de serre provenant des combustibles de soute n’est ni inconditionnelle, ni suffisamment précise pour pouvoir être invoquée.

S'agissant du principe de souveraineté et de l’accord "ciel ouvert", la Cour estime que le système d'échange des quotas n'est applicable que si les aéronefs font le choix d’exploiter une ligne commerciale aérienne à l’arrivée ou au départ d’un aérodrome situé sur le territoire communautaire.

Enfin, la Cour précise qu'il n'existe pas en l’espèce de lien direct entre la quantité de carburant détenue ou consommée par un avion et la charge pécuniaire liée a son exploitation, de sorte que l’obligation d’exonérer le carburant de droits, de taxes et de redevances prévue par l’accord "ciel ouvert" n'est pas violée.

Malgré cette décision d'une particulière fermeté, le débat ne semble pas clos.

2) Quel avenir pour la Directive ?

En novembre dernier, l'OACI a adopté une résolution recommandant d'exempter les compagnies non européennes de la taxe carbone. 26 de ses 36 membres dont la Chine, les États-Unis et la Russie, étaient signataires, ces derniers marquant ainsi leur détermination quant à une renégociation de la Directive.

L’Union Européenne avait donné jusqu’au 31 mars aux compagnies aériennes pour soumettre des données sur leurs émissions historiques de CO2, délai qui fut repoussé mais qui est arrivé à échéance au 15 juin 2012. Selon les dernières informations disponibles, environ 1 200 compagnies aériennes auraient accepté de soumettre leurs données relatives aux émissions carbones, mais huit compagnies chinoises et deux compagnies indiennes s'y seraient refusées, s'exposant ce faisant à des sanctions.

L’Association du Transport Aérien Chinois (ATAC) qui regroupe Air China, China Eastern et China Southern Airlines a indiqué que le gouvernement chinois "prendra au minimum les mêmes mesures de rétorsion que celles prévues par l’UE", à savoir des amendes et dans certains cas l’immobilisation des avions.

Des rumeurs d’annulation d’achats d’Airbus par Air China ont également circulé malgré le démenti de son président qui a précisé qu'il entendait bien réceptionner cette année les commandes de nouveaux avions.

Parallèlement, un groupe de travail instauré au sein de l'OACI devrait soumettre avant la fin du mois de juin une solution au litige opposant les compagnies aériennes et l'UE. Ses propositions ne devraient être rendues publiques qu'en novembre 2012.

Pour mémoire, le dispositif communautaire prévoit des dérogations au système de contrôle des quotas aux Etats appliquant sur le plan domestique des mesures équivalentes au système communautaire. La commissaire européenne à l’action pour le climat, a déclaré quant à elle qu’une réforme de la Directive pourrait avoir lieu.

Il reste que l’Association internationale du transport aérien (IATA) a choisi Pékin pour sa 68e assemblée générale annuelle qui a eu lieu les 11 et 12 juin 2012, présidée par Monsieur Wang Changshun, PDG d’Air China. Lors de cette assemblée, le directeur général de l’IATA, a ainsi critiqué le système communautaire : "La taxe carbone européenne est un obstacle polarisant qui empêche le progrès. Le développement durable devrait unir tous les acteurs autour d’un but commun, pas les diviser avec des entraves à la souveraineté [1]. "

Affaire à suivre…

 

 

Naïma Zitouni et Paul-Emmanuel Benachi, Avocats associés, Lefèvre Pelletier & associés, Avocats

 

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Note

 

[1] L’Usine Nouvelle, 11 juin 2012.

 


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