Consacré au développement des véhicules autonomes en France, le rapport Idrac1 a été rendu public le 14 mai. Son but est notamment d’identifier les actuelles lacunes réglementaires relatives aux véhicules autonomes et d’envisager des pistes pour développer un cadre mieux adapté à son déploiement commercial et son acceptabilité par les utilisateurs.
Le gouvernement en a fait un enjeu stratégique : la France doit devenir le fer-de-lance de l’intelligence artificielle en Europe, voire du monde. Naturellement, le véhicule autonome constitue l’une des briques essentielles de cet édifice, mais si la route est droite, la pente est raide.
Le cadre juridique actuel : un stationnement gênant
Le rapport Idrac souligne en premier lieu que la France pâtit à l’heure actuelle d’un manque de visibilité juridique autour de la question des véhicules autonomes, qu’il s’agisse de transports individuels (voitures) ou en commun (bus, navette).
Un premier problème se pose au niveau des responsabilités, pénale et civile, en cas d’accident. À qui incomberont-t-elles : au conducteur, présumé aujourd’hui pouvoir reprendre le volant en cas de danger ; au constructeur ; ou aux éditeurs de logiciels ou autres composants intégrés ? Le rapport souligne l’importance de clarifier cette question en organisant la tenue de groupes de travail. Le fait de pénaliser le constructeur pourrait être un frein majeur au développement de ces technologies, mais la pénalisation par défaut du conducteur s’oppose à l’inévitable affaiblissement de son attention en situation de conduite déléguée, partiellement ou totalement, à la machine.
Du fait de cette lacune, aucun texte ne permet actuellement d’encadrer les expérimentations de véhicules autonomes en France. C’est finalement la loi Pacte qui devrait permettre de donner à ces expérimentations un véritable cadre réglementaire complet en France à partir de 2019. À noter que des tests de véhicules autonomes sont déjà effectués en Île-de-France grâce à des dérogations mentionnant que le responsable un cas d’accident est le détenteur de la dérogation.
Enfin, la législation actuelle pose un problème concernant l’encadrement des mises à jour logicielles des véhicules autonomes. Pour pouvoir être mis sur le marché, les véhicules doivent passer une batterie de tests pour s’assurer de la conformité de leurs fonctions de conduite.
Or, les mises à jour des véhicules autonomes toucheront potentiellement à ces fonctionnalités. Pour éviter d’éventuels blocages de ces mises à jour, le cadre légal actuellement applicable devra également être repensé.
Les données personnelles : suivez le sens giratoire de la CNIL
La généralisation des véhicules autonomes pose également des questions relatives au traitement des données personnelles de chaque utilisateur. À l’heure de l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) au sein de l’UE, cette question n’est
plus anodine.
La CNIL a d’ores et déjà publié un pack de conformité, relatif aux seuls véhicules connectés2 qui devra être revu pour des véhicules qui seront à terme connectés, autonomes, partagés et électriques. Cette notion s’oppose à la vision défendue à l’origine par les constructeurs de "véhicules étendus", qui leur aurait potentiellement permis d’être les dépositaires quasi-exclusifs des données des utilisateurs. Selon le rapport Idrac, le développement ne pourra se faire qu’au travers des échanges de données entre véhicules et avec l’infrastructure environnante. La notion des "conditions d’accès aux données du véhicules" pose cependant des inquiétudes pour les acteurs de l’écosystème, qui se reposent sur ces mêmes données pour perfectionner leur algorithme de conduite autonome. La proposition du rapport Idrac risque donc de ne pas être consensuelle et les débats sur tant sur la question des données d’utilisateurs que sur l’articulation entre aspects sociétaux de la "smart city" et intérêts privés sont loin d’être clos.
Coopération internationale : un échangeur à plusieurs niveaux
Enfin, comme les routes elles-mêmes, la question des véhicules autonomes ne s’arrête pas aux frontières françaises. La coordination européenne est donc essentielle dans ce domaine pour bénéficier d’un cadre harmonisé et efficace. Heureusement, des initiatives ont déjà été lancées grâce aux financements de la Commission européenne, avec notamment des projets de coopération avec la France, l’Autriche, l’Espagne et le Portugal3.
Cette coopération est d’autant plus essentielle qu’un pays seul ne peut prendre des dispositions sans tenir compte du cadre international. Or, au niveau international, une convention de Vienne de 19684 impose à la plupart des Etats européens continentaux qu’un conducteur soit toujours derrière le volant de son véhicule. Cette convention, qui ne s’applique pas aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, donne à ces pays une flexibilité réglementaire certaine pour le développement des véhicules autonomes. Pour éviter aux autres pays de prendre du retard dans ce domaine, il est donc essentiel de refondre collectivement la convention de Vienne. Espérons que le rapport Idrac permettra de donner un "coup de starter" pour créer une mobilisation internationale autour de cette question.
Claude-Étienne Armingaud, avocat associé au sein du bureau de K&L Gates à Paris
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NOTES
[1] https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.05.14_rapport_vehicules_autonomes.PDF
[2] https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/pack_vehicules_connectes_web.pdf
[3] Pour plus d’informations : http://www.scoop.developpement-durable.gouv.fr/presentation-du-projet-scoop-a29.html
[4] https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19680244/