Olivier Dorgans et Nicolas Burnichon, Avocats, Hughes Hubbard & Reed reviennent sur les sanctions économiques européennes et américaines contre la Chine dans le cadre des tensions avec Hong Kong.
Après des mois de contestation du peuple hongkongais pour tenter de sauvegarder la relative autonomie de sa région administrative au sein de la république populaire de Chine, la promulgation, le 30 juin 2020, de la nouvelle loi de sécurité nationale édictée par l’assemblée nationale populaire à Pékin semble mettre fin à l’espoir d’indépendance de Hong Kong.
Cette nouvelle loi est en effet jugée par la communauté internationale comme contraire à la déclaration commune sino-britannique de 1984[1] instaurant le principe « un pays, deux systèmes ». En outre, en interférant dans les affaires de Hong Kong, la Chine viole de facto ses engagements pris au titre de l’article 22 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong[2].
Les États-Unis puis l’Europe se sont ainsi rapidement opposés à cette nouvelle provocation chinoise notamment via l’adoption de sanctions économiques et de restrictions aux exportions visant la région.
Une réponse américaine forte
Les États-Unis ont depuis le début des manifestations vivement exprimé leur soutien au peuple hongkongais. Ce soutien s’est récemment matérialisé, d’une part, par l’adoption par le Congrès d’une nouvelle loi intitulée « Hong Kong Autonomy Act »[3], signée par le Président Trump le 14 juillet 2020, et par la publication d’un décret présidentiel[4] adopté le même jour.
La loi pour l’autonomie de Hong Kong
La loi pour l’autonomie de Hong Kong n’impose pas de sanctions immédiates. Elle enjoint en effet le Département d’État et le Trésor américain à publier, dans des délais impartis, deux rapports identifiant les individus et les entités non-américains ayant contribué aux violations par la Chine de ses obligations vis-à-vis de Hong Kong.
Le Secrétaire d’État doit ainsi, dans les 90 jours suivant l’entrée en vigueur de la loi pour l’autonomie de Hong Kong (soit avant le 12 octobre 2020), rédiger un rapport identifiant les « personnes [morales et/ou physiques] étrangères ayant matériellement contribué ou tenté de contribuer à l’échec du gouvernement chinois de respecter ses obligations en vertu de la déclaration commune sino-britannique et de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong »[5]. La loi prévoit que le Président a, dans l’année suivant sa publication, la possibilité d’imposer des sanctions (notamment des mesures de gel des avoirs) contre les personnes listées dans ce rapport. L’imposition de telles sanctions contre ces personnes devient toutefois obligatoire passé le délai d’un an.
Le Secrétaire du Trésor américain dispose quant-à-lui de 30 à 60 jours après la publication du premier rapport pour en soumettre un second identifiant, cette fois-ci, les institutions financières étrangères ayant « intentionnellement réalisé des transactions significatives[6] avec les personnes identifiées »[7] dans le premier rapport. La loi prévoit une liste de 10 sanctions pouvant être imposées à l’encontre des institutions financières identifiées. Le Président devra, dans l’année qui suit la publication de ce second rapport, imposer au moins 5 de ces 10 sanctions à l’encontre de l’institution visée, puis l’intégralité dans un délai maximal de 2 ans. Le Président peut, par exemple, interdire à une banque américaine de consentir des prêts ou des crédits à une institution financière étrangère désignée[8].
Le décret présidentiel 13936
Le décret présidentiel prévoit quant-à-lui des sanctions plus larges à l’encontre de la Chine. Il enjoint tout d’abord les autorités compétentes à abandonner tout traitement de faveur existant (en matière d’immigration, de contrôles aux exportations[9], de contrôles des investissements étrangers, etc.) accordés à Hong Kong[10]. Il donne également autorité au Trésor et au Département d’État américain pour imposer des sanctions immédiates contre toute personne étrangère ayant contribué à la perte d’autonomie de Hong Kong. Ses dispositions sont plus larges que celles prévues dans la loi pour l’autonomie de Hong Kong en ce qu’elles ne visent pas distinctement les institutions financières mais toute personnes ayant « matériellement assisté » des individus ou entités désignés par les autorités américaines[11].
Ces textes, complémentaires, sont riches d’enseignement sur le fonctionnement des institutions américaines eu égard au domaine des sanctions économiques tiraillé entre le pouvoir législatif et l’exécutif. Via l’adoption du décret présidentiel prévoyant des sanctions plus larges, le Président Trump a en effet souhaité réaffirmer son autorité en la matière et se départir des dispositions de la loi adoptée par le Congrès.
Une réponse européenne modérée
L’Union européenne n’a, quant-à-elle et à ce jour, pas encore adopté de mesures autant contraignantes que celles imposées par les Etats-Unis à l’encontre de la Chine. À ce jour, le Conseil européen s’est en effet contenté d’adopter des conclusions dans lesquelles il exprime la vive préoccupation que lui inspire la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong.
L’Union européenne s’est à ce titre ainsi engagée à arrêter un ensemble coordonné de mesures concernant notamment le contrôle des exportations de certains équipements et de certaines technologies sensibles destinés à une utilisation finale à Hong Kong[12].
Les conclusions du Conseil européen n’ont toutefois pas vocation à produire d’effets juridiques contraignants à ce stade. Le Conseil ne prend ici qu’un engagement à adopter, avant la fin de l’année, des mesures contraignantes qui devraient prendre la forme d’une décision du Conseil suivie d’un règlement européen.
Tout comme leurs équivalents américains, les réglementations sanctions économiques et contrôle des exportations européennes sont des restrictions en devenir. La Chine reste un partenaire commercial de premier plan pour ces deux espaces économiques et l’utilisation de ces mesures restrictives n’est pas sans conséquence pour les acteurs économiques des deux continents.
Les enjeux de politique interne américaine (et notamment le calendrier électoral de fin 2020) auront par ailleurs une influence considérable sur le devenir et la portée de telles sanctions. Et il est fort à parier que si les États-Unis décidaient de sanctionner des entités et individus chinois de premier plan, l’Union européenne leur emboîterait probablement le pas, comme cela a été déjà le cas en 2014 dans le cadre des sanctions économiques à l’encontre de la Russie. Dans ce contexte incertain, il paraît légitime de s’interroger sur la manière dont les acteurs économiques européens et américains peuvent se préparer à de telles sanctions.
Les établissements financiers et assureurs sont, en ce début de mois d’août 2020, dans une posture attentiste : il leur est aujourd’hui difficile d’anticiper qui sera désigné au titre des sanctions économiques américaines et potentiellement européennes. Une fois rendue publique, les personnes figurant dans le rapport publié par le Secrétaire d’État américain verront très probablement leur accès aux banques et assureurs à minima fortement restreint.
Les fonds d’investissement, quant à eux, tentent déjà d’anticiper les contours de cette liste, en s’intéressant notamment aux structures capitalistiques de leurs partenaires chinois pour y détecter l’éventuelle présence de personnes chinoises publiquement exposées. Il ne reste donc plus maintenant qu’à espérer des précisions de la part des autorités américaines et européennes dans les jours et semaines à venir.
Olivier Dorgans et Nicolas Burnichon, Avocats, Hughes Hubbard & Reed
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NOTES
[1] Intitulée : “Joint Declaration of the government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the government of the People's Republic of China on the question of Hong Kong” du 19 décembre 1984.
[2] Article 22 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong : “No department of the Central People’s Government and no province, autonomous region, or municipality directly under the Central Government may interfere in the affairs which the Hong Kong Special Administrative Region administers on its own in accordance with this Law”.
[3] Hong Kong Autonomy Act, H.R. 7440 (Public Law No. 116-149) (HKAA).
[4] Executive Order 13936 – The President’s Executive Order on Hong Kong Normalization.
[5] Traduction libre de la section 5(a) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.
[6] Le caractère significatif d’une transaction financière est déterminé en prenant compte de l’ensemble des faits et circonstances entourant la transaction et est évalué de manière casuistique selon les divers facteurs en présence (la nature, la taille, le nombre et la fréquence des transactions, un lien entre la transaction et une personne sanctionnée, l’impact de la transaction sur les objectifs de la loi, etc).
[7] Traduction libre de la section 5(b) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.
[8] Traduction libre de la section 7(b) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.
[9] L’autorité régulant les exportations américaines, le Bureau of Industry and Security (« BIS ») a ainsi suspendu les exceptions prévues en matière de licences d’exportations vers Hong Kong le 30 juin 2020.
[10] Section 1 du décret présentiel 13936.
[11] Section 4 (a)(iv) du décret présentiel 13936.
[12] Reflex 563 : « Draft Council conclusions on Hong Kong », 24 juillet 2020.