Hannes Scheibitz, avocat associé et Lionel Yemal, avocat, chez PwC Société d'Avocats reviennent sur les audits de responsabilités pénales dans le cadre des opérations de fusions et acquisitions.
Le 25 novembre 2020, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a rendu un arrêt (n° 18-86.955 -n° 2333 FP-P+B+I), particulièrement remarqué, concernant le sort de la responsabilité pénale de la personne morale dans le cadre d’une opération de fusion par voie d’absorption
Dorénavant et à compter de cet arrêt, la personne morale absorbée étant continuée par celle qui l’absorbe, l’absorbante pourra être pénalement condamnée pour des faits caractérisés à l’encontre de celle qui a été absorbée.
Cette extension de la responsabilité pénale de la personne morale doit aussi s’apprécier dans un contexte de pénalisation croissante du droit des affaires.
Notamment, la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », et la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ont récemment imposé aux entreprises des obligations en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale et corrélativement accrues les risques de poursuite et de sanctions dans ces domaines.
De même, la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée permet à la France de participer avec 22 États membres de l’Union européenne (UE) à la création d’un Parquet européen, nouvelle autorité judiciaire mise en place en 2021. Son rôle sera d'enquêter et de poursuivre les fraudes au budget de l’UE et d’autres infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (escroqueries à la TVA, corruption, détournement de fonds publics...).
Autant de raisons pour que les acteurs du secteur des fusions et acquisitions soient toujours plus vigilants dans l’appréhension du risque pénal dans le cadre des prochaines opérations.
Déjà les établissements de crédits et fond d’investissement anglo-saxon ont largement intégré dans leur due diligence d’acquisition des analyses de plus en plus détaillées des risques liés aux atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence), le blanchiment, les embargos et sanctions internationales etc… On soulignera qu’en janvier 2020, l’Agence Française Anti-corruption avait d’ailleurs publié un guide pratique sur les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions acquisitions.
Ces due diligences communément dénommés due diligence ABAC (anti-bribery/anti-corruption) n’ont pas seulement pour objet d’identifier un risque avéré de fraude ou d’infraction mais aussi, voire surtout, de déterminer le niveau de maturité des programmes visant à prévenir et gérer ses risques de corruption.
Il s’agit ainsi de vérifier l’existence de procédures internes (cartographie des risques, procédures de sélection, alerte professionnel, procédure d’actualisation…) et d’une organisation expérimentée disposant de suffisamment de moyen pour s’assurer de l’utilisation effective de ces procédures. Si l’analyse documentaire est un préalable nécessaire, il s’avère essentiel de réaliser aussi des entretiens directement avec les personnels les plus exposés (directeur financier, directeur des achats, etc…) pour apprécier concrètement l’exposition au risque de la cible, l’effectivité du programme de conformité existant et enfin les éventuels axes d’amélioration.
Cet état des lieux du niveau de conformité permettra ainsi de prévoir les budgets de remédiation qui pourraient s’avérer nécessaires et les éventuels ajustements corrélatifs du prix et des garanties.
Cette nouvelle jurisprudence doit aussi à notre sens faire porter l’attention des opérateurs sur le système de délégation de pouvoirs mis en place au sein de la société cible. Une revue du schéma des délégations de pouvoirs est un outil efficace pour apprécier le niveau de maturité de gestion du risque pénal de la cible.
Pour rappel, ces délégations de pouvoirs permettent à un chef d’entreprise de déléguer une partie de ses activités à un délégataire et si ce dernier dispose de l’autorité, des moyens et de la compétence pour exercer ces pouvoirs, cette délégation opère aussi un transfert de la responsabilité pénale sur la personne du délégataire.
Il s’agira ainsi de vérifier, notamment, si les délégations sont actualisées et que les domaines délégués ont été attribués en cohérence avec les attributions opérationnelles des délégataires. A cette occasion, il est d’ailleurs intéressant d’effectuer une revue des polices d’assurance dite Responsabilité Civile Mandataires Sociaux pour s’assurer qu’elles couvrent bien les délégataires ainsi que leurs frais d’assistance et de représentation en justice.
Enfin, les formations sur le risque pénal, plus particulièrement, à l’attention des dirigeants restent un moyen efficace de prévenir la réalisation d’infractions propres au domaine d’activité, mais aussi de les sensibiliser sur les difficultés et le poids d’une procédure pénale. Ces formations sont d’ailleurs une des exigences fixées par la loi Sapin 2 pour la conformité des programmes de prévention de la corruption.
Hannes Scheibitz, avocat associé et Lionel Yemal, avocat, chez PwC Société d'Avocats