Georges Jenselme et Dorothée de Monplanet, décryptent pour le Monde du Droit les difficultés probatoires liées à l'utilisation des SMS.
Avec plus de 200 milliards de SMS envoyés par an en France , le SMS est devenu un outil quotidien utilisé de façon impulsive et instantanée, au même titre que la parole. Pourtant, l’utilisation de cet outil ne s’apparente en rien à la parole, les répercussions de son emploi étant sans commune mesure, d’un point de vue juridique. Le SMS reste en effet un écrit, susceptible comme tel de laisser des traces utilisables au détriment de son auteur. De plus, à la différence de l’écrit « classique », qui peut être aisément détruit, un SMS laisse une empreinte quasi indélébile sur la plupart des téléphones portables tant de l’émetteur que du destinataire du message, ce qui permet à une poignée d’experts équipés de logiciels spécifiques (et/ou aux opérateurs téléphoniques fournissant le réseau télécom) d’en récupérer le contenu, y compris si celui-ci a été effacé.
L’utilisation de ce moyen de communication doit donc appeler à la plus grande vigilance. Le SMS est en effet admis par la justice à titre de preuve (1), raison pour laquelle on constate désormais la généralisation de certaines pratiques, parmi lesquelles l’expertise judiciaire informatique sur téléphone portable (2). Pour autant, la fiabilité d’un tel mode de preuve reste encore fragile, au regard des nombreuses possibilités de détournement et de piratage (3).
1. Le SMS, support et preuve de l’infraction
Depuis quelques années maintenant, le SMS est accepté par le droit à titre probatoire. La chambre criminelle de la Cour de cassation fut la première à admettre le SMS en tant que moyen de preuve, en précisant qu’en condamnant le prévenu, une Cour d'appel avait suffisamment "caractérisé [en particulier au moyen de SMS] en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable".
Peu de temps après, la chambre sociale confirme cette position résolument moderne de la Cour de cassation, allant jusqu’à ériger le SMS au rang des moyens de preuve intrinsèquement loyaux, en précisant que : "si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectuée à l’insu de l’auteur (…), est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur".
Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris est venu étendre le principe de recevabilité du SMS à titre de preuve en lui conférant, position inédite, une présomption de caractère professionnel (4). Cela pourrait donc signifier que l’employeur pourrait, à l’avenir, librement consulter les SMS contenus sur les téléphones portables qu’il met à la disposition de ses salariés, quel que soit le caractère (privé ou professionnel) des communications…
2. L’exploitation des SMS dans le cadre de procédures judiciaires (5)
Si le constat d’huissier sur téléphone portable visant à établir par procès-verbal l’existence de SMS n’est pas encore aussi répandu que pour le courriel ou l’Internet, l’intervention de ce dernier est toutefois de plus en plus fréquente. L’absence de procédure homologuée par les chambres régionales d’huissiers de justice ne permet cependant pas d’avoir la certitude de disposer d’un moyen de preuve indiscutable d’un point de vue formel, la jurisprudence fluctuant au gré des décisions de justice. Il est ainsi recommandé de renforcer l’intervention de l’huissier par la présence d’un technicien, expert compétent en la matière. Quelques experts informatiques se sont spécialisés dans l’exploitation de données transitant via les Smartphones. De fait, les magistrats désignent de plus en plus régulièrement ces experts, afin de les aider à exploiter le contenu des téléphones portables saisis dans le cadre de procédures judiciaires. A noter qu’aujourd’hui, des logiciels spécialisés permettent d’extraire de la plupart des téléphones portables tant les SMS gardés en mémoire dans le téléphone que les SMS supprimés dudit téléphone !
3. Les interrogations liées à la fiabilité des SMS produits en justice
L’identification de l’auteur du message n’est tout d’abord pas nécessairement évidente et peut être soumise à discussions. En effet, en partant du cas le plus simple, il est parfaitement envisageable qu’un tiers ait "subtilisé", "emprunté" voire simplement "utilisé" le téléphone portable de celui à qui l’on souhaite opposer le SMS.
Par ailleurs, il est de plus en plus fréquent de rencontrer des cas d’usurpations d’identité, sans même utiliser le support physique que constitue le téléphone portable. C’est ainsi que de nombreux sites Internet offrent la possibilité de transmettre des SMS en choisissant le numéro qui s’affichera sur le téléphone portable du destinataire, sans compter l’usurpation de comptes d’abonnés ou la prise en main à distance de téléphones portables.
Il est de plus parfaitement envisageable de modifier les paramètres d’utilisation d’un téléphone portable (heure / date), voire de programmer l’envoi de SMS, ce qui pose d’évidents problèmes de fiabilité de ce nouveau moyen de preuve.
Enfin, les partages de connexions entre différents appareils électroniques sont désormais monnaie courante. En pareil cas, les messages envoyés vers le Smartphone apparaissent également et automatiquement (6) sur la tablette partagée. En conséquence, l’identité de l’auteur de la réponse est incertaine : tout dépend de la personne qui détient le téléphone et la tablette au moment de l’émission de cette réponse et des paramètres de sécurité et de confidentialités enregistrés par le propriétaire de ces appareils.
Les "téléphones intelligents" (ou "smartphone") assurent, malgré nous, la traçabilité quotidienne de nos activités. Faut-il le déplorer ? Sans doute, pour l’ensemble des flux d’information dont l’utilisateur n’a pas la maîtrise de la conservation : le cas du SMS est à cet égard symptomatique dès lors que la procédure d’effacement proposée par la plupart des terminaux n’est qu’une procédure imparfaite. Au sein de l’entreprise, cette situation peut s’avérer dévastatrice pour les salariés utilisant des smartphones professionnels.
Georges Jenselme, Dorothée de Monplanet, Avocats à la Cour, Derriennic Associés
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1 Source : www.sudouest.fr
2 Cour de cassation – Chambre criminelle – 07/02/2007, n°06-84.285
3 Cour de cassation – Chambre sociale – 23/05/2007, n°06-43.209
4 Cour de cassation – Pôle 1 - Chambre 2 - 10/01/2013, n°12/04782 : 'Considérant que les documents, dossiers et fichiers créés ou détenus par un salarié mis à sa disposition dans le bureau de l'entreprise sont, sauf lorsqu'il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence'; qu'il en est ainsi des messages électroniques envoyés par courriels ('emails') ou SMS ('short message service')"
5 Sources : M. Philippe Jacquemin, consultant en gestion et informatique, expert près la Cour d'Appel de Lyon agréé par la Cour de Cassation
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