Les Débats du Cercle, organisés par le Cercle Montesquieu avec le Monde du Droit, ont eu lieu mercredi 8 septembre à Paris. Lors de ce rendez-vous annuel consacré aux directions juridiques, une conférence plénière a évoqué le sujet du nouvel équilibre économique en Europe, entre ouverture, concurrence et protection.
« Nous sommes dans un moment de bascule »
Faut-il repenser le droit antitrust en Europe pour intégrer la nouvelle donne économique internationale, bousculée par la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, la montée en puissance du numérique et plus récemment la crise du coronavirus ?
Sur ce point, le Président du pôle Europe et international du Medef Bernard Spitz estime que si bien entendu on ne saurait remettre en cause le principe même de la concurrence, il importe d’adapter les règles au nouveau contexte. « Nous sommes dans un moment de bascule » observe-t-il ainsi. La notion de souveraineté revient sur le devant de la scène et avec elle la tentation du protectionnisme. Selon Bernard Spitz, la Commission de Bruxelles prend conscience de l’importance d’intégrer davantage la réciprocité au niveau international et de retenir des critères différents, moins rigides, en matière de droit antitrust.
Pascal Belmin, Directeur des affaires réglementaires européennes d’Airbus, observe également un « changement de mentalité » dans la politique de concurrence. « Certains concepts qui ne voulaient rien dire il y a cinq ans sont maintenant centraux » explique-t-il. C’est le cas notamment de l’autonomie stratégique, de l’Europe géopolitique qui se doit de peser face à la Chine et aux Etats-Unis ou encore, du level playing field. « La question qui se pose alors est jusqu’où nous pouvons pousser le curseur pour obtenir un dispositif qui soit protecteur sans être protectionniste » précise Pascal Belmin.
D’une politique de concurrence à une politique industrielle
Le Vice-Président d’Atos Alexandre Menais constate aussi « un vrai basculement » de la Commission de Bruxelles désormais plus soucieuse de la protection des entreprises. « Le seul problème, c’est que nous n’avons pas les entreprises » nuance-t-il toutefois. Notamment « le monde digital est ultra dominé par les organisations américaines ». Mais selon Alexandre Menais et paradoxalement : « le salut va venir des Etats-Unis » car « nous savons que Joe Biden va démonter les Gafa ». Cette dernière information est sans doute à prendre avec prudence mais elle constitue une belle occasion d’après le Vice-Président d’Atos : « Ça va être une petite fenêtre. (…) C’est là où le droit de la concurrence devra permettre aux acteurs européens de se marier pour véritablement construire des leaders économiques. »
Plus généralement, Jacques-Philippe Gunther, Avocat Associé chez Latham & Watkins, estime qu’il faudrait « utiliser la politique de concurrence comme une politique industrielle ». « Aux Etats-Unis, des pans entiers de l’économie ne sont pas soumis au droit de la concurrence » observe-t-il ainsi. De même, la Chine exerce sur ses entreprises un contrôle des concentrations qui est bien moindre qu’en Europe. Pour Jacques-Philippe Gunther, il serait opportun par exemple de soustraire certains secteurs aux règles de concurrence – ou du moins de prévoir des assouplissements – comme c’est le cas pour la politique agricole commune.
Hugues Robert (@HuguesRob)