La Commission européenne veut-elle vraiment interdire les expressions "Fêtes de Noël" ou "Mesdames et Messieurs " ?

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La Commission européenne a récemment provoqué une véritable tempête médiatique chez un certain nombre de responsables politiques ou religieux européens. En cause le "Guide pratique sur la façon de communiquer de manière inclusive avec la jeunesse internationale" de 33 pages (six chapitres) rédigé par l'Erasmus Student Network[1] et rendu public, le 26 octobre 2021, par la Commissaire chargée de l’Égalité, la maltaise Helena Dalli, qui a même cru bon d’ajouter en être « très fière »[2] ! Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en droit public, propose la découverte des faits à l’origine d’une telle polémique.

I. Les faits

Ce document, destiné aux seuls membres de la Commission européenne, leur demandait « d’éviter » l’usage de certains mots, pris à travers quelques exemples "spécifiques". Selon ses rédacteurs, il « visait à atteindre un objectif important : illustrer la diversité de la culture européenne et mettre en valeur la nature inclusive de la Commission européenne envers tous les milieux et toutes les convictions des citoyens européens ». Il était donc censé « refléter la diversité » et s’efforçait de lutter contre « les stéréotypes profondément ancrés dans les comportements individuels et collectifs ».

Ainsi préconisait-il par exemple de ne plus dire "Joyeux Noël", mais plutôt "Joyeuses Fêtes", formule plus générale et moins connotée religieusement, qui doit être considérée comme une salutation "plus ouverte et plus inclusive pour les personnes qui ne célèbrent pas Noël" (page 12) ; il les invitait également à ne pas choisir « de prénoms typiques d’une religion », comme ceux de « Maria et John » qui pourraient alors être remplacés par « Malika et Julio ». La Commission entendait ainsi rappeler de ne pas « présupposer que tout le monde est chrétien ».

Il entendait aussi, dans un tout autre domaine, éviter d’utiliser les noms de métier exclusivement au masculin, comme « Policeman » (policier) ou « Workman » (ouvrier), de même que « Mesdames et Messieurs » au profit de « Chers collègues », ou encore de parler des « deux sexes » (afin de ne pas blesser les personnes bisexuelles) ou des « citoyens » (à cause des migrants et apatrides), afin de ne risquer froisser personne.

Ce texte, auquel jusque-là personne n’avait pourtant jusque-là accordé la moindre attention, n’a en effet été porté à la connaissance du grand public que le 28 novembre (un mois après sa publication) par le quotidien conservateur italien Il Giornale, proche du mouvement Forza Italia de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini, qui n’a pas hésité à écrire : "En Europe, il est interdit de dire Noël et même de s'appeler Maria".

Face à l’émotion légitime qui en a suivi, mais qui a sciemment été entretenue par les populistes et anti-européens de tous bords, particulièrement à l’extrême droite[3], ainsi que par certains pays comme la Pologne, allant même jusqu’à atteindre le Vatican[4], ce guide a été retiré le 30 novembre. La commissaire Helena Dalli a même fini par reconnaître que « certains exemples fournis dans les recommandations sur la communication inclusive ont suscité des préoccupations », avant d’annoncer, le 7 décembre, que ses services allaient en préparer une « version actualisée ».

II. La polémique

Il n’en reste pas moins qu’une telle polémique, qui par certains aspects pourrait peut-être se justifier, nous semble en réalité particulièrement excessive.

Il convient en effet de rappeler que toutes les « recommandations »[5] contenues dans cette brochure étaient uniquement destinées aux fonctionnaires de la Commission européenne, lesquels se voyaient seulement « invités » (et non pas « obligés ») à s’y référer dans l’ensemble de leurs communications, qu’elles aient un caractère interne ou externe, et qui n’étaient d’ailleurs présentées que comme des "lignes directrices".

Il n'a jamais non plus été question de "bannir" l'usage de tous ces termes, parmi lesquels « Noël » ne constitue qu’un exemple parmi bien d’autres. Il était seulement conseillé d’en éviter l’usage.

Comme l'a d’ailleurs judicieusement fait remarquer à ce propos le porte-parole de la Commission, Eric Mamer, il ne s’agissait "pas du tout un document qui aurait eu une quelconque valeur obligatoire (mais) des recommandations en matière de communication" ; pour lui, ce manuel "n'a pas vocation à passer outre les préférences individuelles" de chaque fonctionnaire avant de rajouter que "Tout le monde s'exprime de la manière qu'il préfère"

Il ne faudrait pas non plus oublier que la Commission ne dispose pas d’un pouvoir de décision, mais seulement d’un droit d’initiative (art.293§1TFUE) et d’exécution (art.17§1 TUE et 291TFUE). Elle est en effet seulement habilitée à présenter des propositions de règlements ou de directives et encore dans le cadre des grandes orientations définies par le Conseil européen, lesquelles ne pourront en tout état de cause être adoptés que par le Conseil et par le Parlement européen, dans des termes identiques, conformément à la procédure législative ordinaire (art. 289§1 et 294 TFUE).

La publication de ce guide constitue donc très certainement une maladresse pour ne pas dire une erreur, qui aurait pu être évitée, mais ne justifie en aucun cas la campagne de désinformation et de dénigrement qui l’a accompagnée et qui n’avait d’autre but que de « diaboliser » encore un peu plus l’Union européenne, en profitant de la méconnaissance de ses institutions et de ces mécanismes par une très grande partie de l’opinion publique…

Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en droit public

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[1] Organisation étudiante européenne, fondée à Gand le 16 octobre 1989, pour l'accueil et l'intégration des étudiants internationaux à l’occasion d'échanges comme Erasmus, et pour la promotion de la mobilité internationale. Il s’agit d’une association internationale sans but lucratif présente dans les 27 pays de l’UE et dans une dizaine d’autres pays, et dont le siège est à Bruxelles.

[2] Cette ancienne députée travailliste s’était déjà vu reprocher d’avoir reçu au Parlement européen l’association Femyso, rassemblant de jeunes Européens proches des « Frères musulmans », à l'origine d’une série de vidéos « la Liberté est dans le hijab » présentant des femmes voilées comme un exemple de liberté.

[3] Dans un tweet Marine le Pen n’hésite d’ailleurs pas à écrire : « La Commission européenne veut bannir les mots "fêtes de Noël" ou même "Mesdames et Messieurs" car elle les juge "discriminatoires". Ces technocrates montrent leur vrai visage : celui de l’ennemi de nos identités, de nos racines, de nos traditions ».

[4] « Annuler la dimension chrétienne de notre Europe » ? pour le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège. Le Pape François, lors d’une conférence de presse le 6 décembre, a pour sa part qualifié d’« acte dictatorial" le guide interne de la Commission européenne, estimant que l’UE « doit veiller à ne pas ouvrir la voie à une colonisation idéologique » et que cela pourrait finalement « diviser les pays et faire échouer l’Union européenne ».

[5] Les recommandations sont des actes émis par la Commission européenne ou le Conseil, qui constituent une incitation pour leurs destinataires qui peuvent les États membres ou les institutions.


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