Rémunération : partage de la valeur et transparence salariale

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Cet article propose un état des lieux de la mise en œuvre de la loi sur le partage de la valeur 1 an après son adoption et évoque les enjeux à venir dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la transparence salariale.

La réforme du partage de la valeur dans l'entreprise a pris près de dix-sept mois pour être mise en  place. Elle a été entérinée par les partenaires sociaux dans l’ANI du 10 février 2023 et par une loi du  29 novembre 2023, complétée par plusieurs décrets d’application dont le dernier est paru en juillet 2024. 

Si cette loi représente une avancée significative pour les entreprises, notamment celles de tailles  moyennes, en permettant à de nombreux salariés de bénéficier de mécanismes de répartition de la  valeur, Luc Mathieu, secrétaire National de la CFDT, dresse un premier bilan mitigé des premiers mois  d’applications de ce texte.  

Selon lui, une minorité de branche a négocié sur les classifications et la mixité des emplois, ce qui aurait  pu favoriser une plus grande égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. De même, la  possibilité pour les branches de mettre en place des régimes de participations dérogatoires dans les petites entreprises avant le 30 juin 2024 n’a pas été largement exploitée.  

Les entreprises de moins de 50 salariés n’ont également pas saisi la nouvelle possibilité de mettre en  place un régime dérogatoire de participation et très peu d’entreprises (entreprises de plus de 50 salariés  disposant d’au moins un délégué syndical) ont conclu sur la notion d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal avant le 30 juin 2024, comme la loi l’exigeait. 

Ce frein au recours de la loi sur le partage de la valeur pourrait notamment s’expliquer par :  

▪ l’absence de sanctions en cas de manquement aux obligations, 

▪ un contexte politique français fragile au cours des derniers mois, 

▪ un dispositif législatif déjà existant en matière d’épargne salariale. 

À noter, qu’à compter du 1ᵉʳ janvier 2025, les entreprises dont l'effectif est d'au moins 11 salariés et de  moins de 50 salariés, ayant réalisé sur les exercices 2022, 2023 et 2024 un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d'affaires, seront tenues de mettre en place un dispositif de partage de la valeur. En pratique, cette nouvelle mesure pourrait concerner de nombreuses sociétés dans la  mesure où le niveau de bénéfice exigé est peu ambitieux. Il conviendra donc d’être attentif sur la manière dont les entreprises vont s’emparer de cette nouvelle obligation dont le non-respect  n’entrainerait à ce jour aucune sanction. 

Par ailleurs, il convient de souligner que la loi sur le partage de la valeur n’invite pas les entreprises à  augmenter les rémunérations des salariés, ce qui reste, dans un contexte d’inflation importante, un axe majeur de revendications des salariés et des syndicats et qui permet de garantir le versement des cotisations de sécurité sociale.  

Ainsi, le premier instrument de partage de la valeur reste la rémunération et elle devrait, certainement,  avec la transposition au plus tard le 7 juin 2026 en France de la Directive Européenne 2023/970 du 10  mai 2023 sur la transparence des rémunérations, connaitre des évolutions.  

Cette directive vise à améliorer substantiellement et effectivement l’égalité salariale entre les hommes  et les femmes. En effet, l’objet de la Directive rappelé dans l’article 1 est « d’établir des exigences minimales en vue de renforcer l’application du principe d’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes pour un même travail ou un travail de même valeur […] notamment par la transparence  des rémunérations et le renforcement des mécanismes d’application du droit ». 

Si le droit à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un même travail ou un travail  de même valeur est affirmé depuis longtemps notamment dans la directive 2006/54/CE sur l’égalité de  rémunération et par l’article L 3221-2 du Code du travail, sa mise en œuvre s’avère complexe et non effective, notamment en raison du manque de transparence en matière de rémunération. 

Cette transparence des rémunérations souhaitée par la Directive permettra non seulement aux salariés de détecter et de prouver une éventuelle discrimination fondée sur le sexe et donc de lutter contre les  écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, mais également de contribuer à éliminer les partis pris sexistes qui entachent la pratique des rémunérations.  

La Commission estime que la transparence a également le potentiel de déclencher une révision des politiques d’égalité entre les hommes et les femmes de manière plus générale au niveau de l’entreprise.

Les principales dispositions de la Directive sont :  

1° Une transparence des rémunérations et un droit à l’information 

Chaque annonce d’emploi devra mentionner le montant de la rémunération initiale ou la fourchette de salaire proposée. Cette transparence devrait permettre de garantir une négociation davantage éclairée et transparente, d’autant que le recruteur n’aura plus le droit de demander aux candidats leur  rémunération. Les offres d’embauche avec la mention « salaire selon profil » devrait pour le futur être proscrite. 

Les discriminations ne se limitant pas à l’embauche, les employeurs auront également l’obligation de mettre à la disposition des travailleurs les critères utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunérations et la progression de la rémunération.  

Par ailleurs, les travailleurs auront le droit de demander et de recevoir dans un délai de 2 mois des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux moyens de rémunération, ventilés par sexe pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur. À ce titre, les employeurs devront informer tous les travailleurs, une fois par an, de leur droit de recevoir ses informations.  

Cette émergence du droit à l’information ne devrait donc pas manquer d’alimenter les revendications et les contentieux en matière d’égalité de traitement voire de discrimination fondée sur le sexe. Il  appartiendra donc aux employeurs d’établir des systèmes de rémunérations structurés et transparents ainsi qu’une procédure interne de traitement des demandes afférentes aux rémunérations afin d’empêcher toutes actions contentieuses.  

2° Établissement d’un rapport sur les données relatives à l’écart de rémunération entre travailleurs féminins et masculins

ecart remuneration femme homme

L’index de l’égalité professionnelle applicable en France devrait certainement être le cadre légal pour la transposition de la Directive et devrait évoluer. En effet, à ce jour c’est la rémunération totale brute qui est comparée entre les femmes et les hommes lors du calcul de l’index, alors que la Directive prévoit que l’écart de rémunération devra être calculé également au niveau des composants variables ou complémentaires, ce qui nécessitera de pouvoir les identifier.L’index de l’égalité professionnelle applicable en France devrait certainement être le cadre légal pour la transposition de la Directive et devrait évoluer. En effet, à ce jour c’est la rémunération totale brute qui est comparée entre les femmes et les hommes lors du calcul de l’index, alors que la Directive prévoit que l’écart de rémunération devra être calculé également au niveau des composants variables ou complémentaires, ce qui nécessitera de pouvoir les identifier.

Par ailleurs, l’index de l’égalité hommes / femmes ne prévoit qu’un seul indicateur de mesure des écarts de rémunérations alors que la Directive en prévoit sept1.

De plus, la Directive ne prévoit pas expressément une restitution impliquant de segmenter les salariés par tranches d’âges, catégories socioprofessionnelles ou encore coefficients ou classifications de branche, contrairement à ce qui existe actuellement en France au titre de l’index. Seule est évoquée, dans la Directive la notion de catégories de travailleurs. Compte tenu de la méthode existante, les entreprises Françaises devront se préparer à fournir des données telles qu’exigées par la Directive mais en y ajoutant la segmentation déjà existante dans l’index.

La communication des données sur les rémunérations devrait permettre aux employeurs d’évaluer et de suivre leurs politiques et structures de rémunérations et ainsi de respecter le principe de l’égalité des rémunérations.

3°Renforcement des droits individuels

Tous les travailleurs ayant subi un dommage du fait d’une violation des droits ou obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations auront le droit d’obtenir une indemnisation ou une réparation intégrale de ce dommage qui devra être dissuasive et proportionnée, y compris par le recouvrement intégral des arriérés de salaires et des primes ou paiements en nature qui y sont liés.

En cas de contentieux, le renversement de la charge de la preuve fixé par la Directive n’impliquera pas de modification en France puisque le Droit français prévoit déjà qu’il appartient au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination dès lors que le travailleur établit des faits laissant présumer l’existence d’une discrimination. Il convient de noter cependant que la Directive prévoit une exception à ce principe dès lors que l’employeur contrevient à son devoir d’information. Dans ce cas, la charge de la preuve incombera exclusivement à l’employeur et il lui appartiendra de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination

La Directive européenne va donc bouleverser la politique de rémunération au sein des entreprises.La Directive européenne va donc bouleverser la politique de rémunération au sein des entreprises.

Les services des ressources humaines devront s’y préparer notamment en auditant la politique de rémunération afin de pouvoir identifier les éventuels écarts de rémunérations, leurs origines et d’évaluer l’impact financier si les écarts ne pouvaient pas être justifiés par des critères objectifs et non sexistes.
A ce titre, il conviendra certainement de réévaluer les grilles salariales.

Bernard Borrely, Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats ; Fanny Marchiset, Avocate, Directrice, PwC Société d'Avocats ; Chloé Dumotier, Avocate, Manager, PwC Société d'Avocats.

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1. Article 9 de la Directive 2023/9701Article 9 de la Directive 2023/970
a) l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes ; b) l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ; c) l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes; d) l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ; e) la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires ; f) la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins dans chaque quartile ; g) l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégories de travailleurs, ventilé par salaire ou traitement ordinaire de base et par composantes variables ou complémentaires.


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