Les leçons de la présidentielle

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Il est sans doute encore un peu tôt pour tirer toutes les leçons de la présidentielle des 10 et 24 avril, il n’est toutefois pas interdit de s’interroger dès maintenant sur la pertinence du mode de scrutin, qui permet aux 48,7 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales de choisir tous les cinq ans le futur Chef de l’Etat.

Cette élection, au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, introduite dans la Constitution du 4 octobre 19581 par la révision du 6 novembre 1962, consécutive au référendum du 25 octobre 1962 (82% de oui)2, est certes parfaitement bien acceptée par l’opinion publique et par la quasi-totalité des responsables politiques, en raison même de son caractère apparemment démocratique, mais il n’est pas du tout certain que ses avantages, qui sont incontestables3, soient toujours en mesure de l’emporter sur ses inconvénients…

Il nous a donc semblé utile de jeter un regard critique sur les modalités d’élection du Président de la République, tout particulièrement depuis que la durée de son mandat est passée de sept à cinq ans4. Ce système, dans lequel un Chef d’Etat issu du suffrage universel cumule l’essentiel des pouvoirs, n’a d’ailleurs pas d’équivalent en Europe, sinon peut-être en Russie5 !

On peut en effet tout d’abord regretter que l’ensemble de la vie politique soit en permanence dominée par la perspective du prochain scrutin présidentiel, qui constitue la principale raison d’être des partis politiques. Dès qu’un nouveau Chef d’Etat est entré en fonction, tous ses opposants se mettent à penser à la prochaine échéance, à commencer par les législatives qui suivent automatiquement et que certains n’ont d’ailleurs pas hésité, les résultats du second tour à peine connus, à qualifier de « troisième tour » ! Il n’est donc pas exagéré de dire que les Français vivent en permanence en campagne électorale !

Il convient ensuite de se demander pour qui nous votons :

Est-ce pour le représentant d’une formation politique, dont, s’il est élu, il devra forcément s’émanciper pour tenter de rassembler le plus grand nombre de soutiens, ou est-ce pour un programme, dont chacun sait qu’il ne pourra que trop rarement être respecté par le candidat devenu président ?

Non, nous élisons le plus souvent celui ou celle des deux finalistes, qui nous semble représenter le moindre danger… Il s’agit donc plutôt d’un choix, non par adhésion, mais bien par défaut. L’exemple le plus frappant restera celui « triomphe » de Jacques Chirac, qui avait rassemblé au second tour de la présidentielle le 5 mai 2002, 82% des voix, alors qu’il n’avait recueilli, le 21 avril, que 13,75% des inscrits ! Ce n’est que très partiellement vrai pour Emmanuel Macron, qui a bénéficié du report des voix de certains électeurs hostiles à Marine Le Pen, qui lui ont permis d’atteindre 58,54% des suffrages le 24 avril 2022, contre 27,85% le 10 avril.

Sur quels critères sélectionnons-nous le futur président ?

Il est clair que nous nous déterminons en grande partie, non en fonction de motifs rationnels, mais bien pour des raisons subjectives, sinon affectives, pour lesquelles la personnalité, voire la vie privée a tendance à prendre de plus en plus de place, ce qui permet également d’expliquer les excès de passion ou de haine suscités par certains présidents. Les candidat(e)s, qui n’hésitent plus à s’afficher avec leur conjoint ou leurs enfants, à laisser entrer les caméras dans leur intimité familiale, ou même à participer à « pousser la chansonnette » à la télévision6, l’ont d’ailleurs parfaitement bien compris, comme la représentante de l’extrême droite allant jusqu’à poser avec ses chats… Nous votons donc d’abord et avant tout pour une image.7

Le Chef de l’Etat, qui la plupart du temps, n’est élu que d’une courte majorité, ne dispose en réalité que de quelques mois pour mettre en place les réformes contenues dans son programme, le reste de son quinquennat étant presque exclusivement consacré à la préparation de sa réélection ! Seul le Président Hollande, faute de pouvoir espérer rassembler suffisamment autour de sa candidature, après avoir longtemps hésité, n’a pas souhaité se représenter8. Il est même assez fréquent que, pour tenter de rallier à lui des électeurs qui n’auraient pas voté pour lui, il reprenne certaines propositions de son adversaire, qui lui fait d’ailleurs perdre une partie de ceux qui l’avaient soutenu, sans d’ailleurs pour autant lui permettre de séduire ses opposants ! Ainsi le Général de Gaulle, qui disposait pourtant d’une majorité confortable, a-t-il, contrairement à ses engagements, finalement accordé l’indépendance à l’Algérie, comme le souhaitait l’opposition de gauche ; Giscard d’Estaing soutenu par une majorité conservatrice a-t-il imposé la majorité à 18 ans, le divorce par consentement mutuel et surtout la dépénalisation de l’avortement avec le soutien des socialistes et des communistes ; François Mitterrand, après avoir voulu « changer la vie » par des mesures radicales (nationalisations, retour de la planification, contrôle des prix…) a par la suite bel et bien changé d’avis, en grand partie pour se mettre en conformité avec les exigences européennes, en adoptant des positions de plus en plus libérales (réhabilitation de l’entreprise) ; François Hollande autoproclamé durant sa campagne électorale « adversaire de la finance » a-t-il mené une politique de soutien aux entreprises et de renforcement de la concurrence (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi, loi Macron…) que ne renierait pas le MEDEF…Emmanuel Macron a réussi à conserver jusqu’à la fin de son premier mandat une certaine popularité, même si sa volonté de réformes s’est heurtée à une succession de crises sans précédent…

Il s’agit donc en réalité d’un système qui n’est peut-être démocratique qu’en apparence9, tant il aboutit à concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme (ou d’une seule femme), reléguant ainsi au second plan le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement et condamnant, à l’exception des périodes de « cohabitation », le Parlement à n’être qu’une simple chambre d’enregistrement. 

Faudrait-il alors pour autant revenir au système initial des « grands électeurs » ou préférer, comme en Allemagne, en Grèce ou en Italie, laisser ce choix au Parlement plus ou moins élargi aux représentants des régions ? Cela semble difficile tant l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel direct est désormais entrée dans les mœurs. Sans doute serait-il plus facile de revenir au septennat, qui contrairement au quinquennat donnerait au Président un plus de temps pour engager des réformes et permettrait de renforcer le Parlement dont le renouvellement ne serait plus dépendant de la présidentielle.

Jean-Louis Clergerie, Professeur des Universités en Droit public 

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1. Ainsi, 81 764 « grands électeurs » (membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des TOM, représentants élus des conseils municipaux) avaient-ils été appelés à élire, le 21 décembre 1958, le premier président de la Vème République, le général de Gaulle.

2. En profitant de l’émotion suscitée par l’attentat manqué du Petit-Clamart, le 22 août 1962, visant le Général de Gaulle.

3Il s’agissait pour le Général de Gaulle de renforcer « l’équation personnelle » de ses successeurs (conférence de presse du 11 avril 1961), et de leur permettre d’échapper à l’emprise des partis.

4. Depuis le référendum du 24 septembre 2000 sur la réduction du mandat présidentiel à cinq ans (loi constitutionnelle no 2000-964 du 2 octobre 2000).

5. « Le Président de la Fédération de Russie est élu pour quatre ans par les citoyens de la Fédération de Russie sur la base du suffrage universel, égal et direct, au scrutin secret » (art.81§1 de la Constitution du 12 décembre 1993, modifié lors de la révision du 30 décembre 2008). Dans tous les autres pays européens où il est directement élu par le peuple (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Chypre, Croatie, Finlande, Irlande, Islande, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Slovénie et République tchèque), il n’a en effet pratiquement aucun pouvoir.

6. Qu’il s’agisse de Lionel Jospin chantant Les Feuilles mortes d’Yves Montand en 1984, dans l'émission de Patrick Sébastien, « Carnaval », de Nicolas Sarkozy entonnant quelques paroles de la chanson Gabrielle, de Johnny Hallyday, son chanteur préféré, sur Antenne2 en 2001, de Marine Le Pen chantonnant du Dalida, sur iTélé en 2012, de Valérie Pécresse fredonnant Chanson populaire de Claude François, sur France2 en 2013 ou encore d’Emmanuel Macron interprétant sur Canal Plus l’été indien de Joe Dassin en 2015…

7. Sur tout ces points, v. Jean-Louis Clergerie, Chroniques d’hier et de demain, L’Harmattan, 2017, p.41 à 51.

8. Emmanuel Macron aura été le seul président de la Vème république à être réélu hors période de cohabitation.

9. Qualifié de « démonarchie », par le constitutionnaliste Jacques Georgel (« La cinquième république : Une démonarchie », LDDJ, 1990).


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