Le contrat de travail, l'entraîneur et la glorieuse incertitude du sport

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Gauthier Moreuil et Romain Aupoix, avocats Péchenard & associésLe 19 novembre 2013, après la victoire de l'équipe de France de football, Didier Deschamps était immédiatement confirmé dans son poste pour trois ans. Qu'en aurait-il été si l'équipe de France ne s'était pas qualifiée pour le Mondial ? L'échec sportif d'une équipe justifie-t-il le limogeage de son entraîneur ? L'étude de la jurisprudence récente appelle à une réponse mesurée…

Dans un arrêt du 27 septembre 2013, la Cour d'appel de Douai a jugé que le licenciement d'un entraineur de hockey, qui n'avait pas atteint les objectifs impartis en début de saison, n'était pas fondé (Cour d'appel de Douai, 27 septembre 2013, n°12/02656).

Dans cette affaire, l'entraîneur s'était vu fixer comme objectif de terminer la saison à la 1ère ou la 2ème place du championnat. Or, le club a été éliminé dès le stade des 8ème de finale.

L'entraîneur a alors été licencié pour insuffisance professionnelle, le club faisant valoir que les mauvaises performances enregistrées résultaient de carences dans ses fonctions : aucune décision ou choix stratégique partagé avec les leaders de l'équipe, aucune analyse préalable dans la préparation des matchs, entraînements répétitifs…

La Cour, confirmant la décision des premiers juges, a jugé le licenciement non fondé.

Elle relève en premier lieu que le contrat de travail, comme ses avenants ultérieurs, ne faisaient pas mention d'objectifs ou de résultats à atteindre.

Elle souligne en outre que les insuffisances invoquées n'étaient pas établies par les pièces versées aux débats, notamment les attestations des joueurs.

Enfin, elle précise que le fait que l'équipe ait obtenu de meilleurs résultats après le licenciement de l'entraîneur était indifférent, dès lors que c'est à la date de celui-ci qu'il convient de se placer pour en apprécier le bien-fondé (au demeurant, des moyens supplémentaires avaient été alloués au club après son départ).

De la même manière, dans un arrêt du 18 juin 2013, la Cour d'appel de Nîmes a jugé non fondé le licenciement de l'entraîneur d'une équipe de football qui n'avait pas atteint l'objectif assigné en début de saison, lequel consistait en la simple progression de l'équipe au classement (Cour d'appel de Nîmes, 18 juin 2013, n°11/04455).

Là encore, la Cour relève que l'objectif invoqué ne figurait pas dans le contrat de travail du salarié et que les insuffisances alléguées par le club n'étaient pas établies.

Les juges attachent donc une grande importance à la contractualisation des objectifs et, bien entendu, aux éléments produits par l'employeur afin d'établir les insuffisances reprochées au salarié.

Si la contractualisation des objectifs est jugée essentielle dans ces deux affaires et qu'il apparaît effectivement prudent de formaliser ceux-ci de façon claire, il faut rappeler que la Cour de cassation admet pourtant que les objectifs puissent procéder d'une décision unilatérale de l'employeur (Soc. 22 mai 2001, n°99-41838).

Reste que pour fonder une mesure de licenciement, les objectifs fixés doivent être réalisables et leur non atteinte imputable au salarié en raison d'une faute de ce dernier ou de son insuffisance professionnelle, la clause de résiliation automatique du contrat pour non atteinte des objectifs étant nulle selon une jurisprudence bien établie (Soc. 14 novembre 2000, n°98-42371).

Lorsque ces conditions sont réunies, le licenciement de l'entraîneur est en théorie fondé.

En pratique, le club se garde généralement de se placer sur ce terrain glissant, la glorieuse incertitude du sport rendant particulièrement délicate l'appréciation du caractère réaliste des objectifs et, plus encore, l'imputabilité de leur non atteinte.

Il est naturellement plus simple pour le club de se placer sur le seul terrain de la faute lorsque le comportement de l'entraîneur le lui permet.

La Cour d'appel de Colmar a ainsi été amenée à connaître des faits reprochés à l'entraîneur professionnel de football du Racing Club de Strasbourg, engagé pour trois saisons et qui s'était vu notifier la rupture anticipée de son CDD un an avant le terme du contrat.

Les juges ont estimé que les absences répétées de l'entraîneur à des réunions importantes pour la préparation des joueurs ainsi qu'à des moments clés au cours de la saison, auxquelles s'ajoutaient des critiques à l'égard des dirigeants du club et de la cellule de recrutement, relayées par voie de presse, étaient constitutives d'une faute grave justifiant la rupture anticipée de son CDD (Cour d'appel de Colmar, 7 novembre 2013, n°12/03014).

De même, la Cour de cassation a tout récemment jugé que l'inexécution par l'entraîneur de ses tâches de participation au recrutement des joueurs et de préparation de la saison sportive à venir rendait impossible son maintien dans le club et constituait une faute grave (Soc. 4 décembre 2013, n°12-27942).

En définitive, s'il est probablement justifié sur un plan sportif de lier le sort de l'entraîneur aux résultats de l'équipe, la validité juridique de son licenciement dépend essentiellement de son comportement.

 

Gauthier Moreuil et Romain Aupoix, avocats Péchenard & associés


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