Cédric Antoine, Juriste au sein du cabinet d'avocats luxembourgeois Godfrey-Higuet, revient sur certains aspects de la fiscalité luxembourgeoise, européenne et internationale en 2013.
Nous y sommes. 2014 est là.
Assez traditionnellement, les premiers jours de la nouvelle année sont propices aux rétrospectives sur l’année écoulée, comme si sa synthèse était un exercice nécessaire pour mieux aborder celle à venir.
Nous aussi avons décidé de nous arrêter un instant sur l’année qui vient de se terminer. Nous n’évoquerons pas l’élection du pape François, ni la guerre en Syrie ou la mort de Nelson Mandela.
D’autres sujets retiendront notre attention – et très certainement celle de nos lecteurs.
Deux citations introduiront l’un d’eux idéalement :
"Le Luxembourg continuera à s’opposer à l’échange automatique d’informations", Luc Frieden, ministre luxembourgeois du Trésor et du Budget, mars 2009.
"Nous n’y sommes plus strictement opposés", Luc Frieden, ministre luxembourgeois des Finances, avril 2013.
Oui, la question de l’échange automatique d’informations, que l’on a pu abusivement qualifier "d’abandon du secret bancaire", aura occupé une place prépondérante dans l’agenda politique luxembourgeois et européen en 2013 et mérite que l’on y revienne.
2013 aura aussi été l’année des services compliance des banques grand-ducales, l’année des banques (re)devenues convenables. En effet, si l’échange automatique d’informations ne devient une réalité que dans les mois à venir, nombreuses sont les banques luxembourgeoises qui ont anticipé ces évolutions législatives et ont, notamment pour cette raison, exigé de leurs clients qu’ils soient tax compliant, sous peine de fermeture de compte.
Ces nouvelles politiques bancaires auront été la chose concrète vécue par la plupart des épargnants (N.D.A.: nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article), traduction de ce fait abstrait que sont ces bouleversements légaux conduisant à l’échange automatique d’informations.
Échange d’informations et secret bancaire
Parce qu’ "échange d’informations" et "abandon du secret bancaire" ont trop souvent été amalgamés, une clarification s’impose.
Le secret bancaire luxembourgeois n’a pas été abandonné.
Pour le comprendre, il est nécessaire de définir le secret bancaire. L’exercice n’est pas aussi simple qu’il y paraît, car le secret bancaire a plusieurs facettes. Retenons pour les besoins de notre article la définition fiscale[1] suivante : le secret bancaire désigne l’interdiction faite au fisc d’exiger des banques des renseignements individuels sur leurs clients aux fins de leur imposition.
Cette définition du secret bancaire a le mérite de ne pas l’aborder sous l’angle d’une obligation faite aux banques de respecter leur secret professionnel, mais bien sous l’angle d’une limitation légale des prérogatives du pouvoir étatique.
Or, cette limitation légale n’a, à aucun moment depuis sa promulgation, fait l’objet d’une quelconque modification ou abrogation.
Autrement dit, le secret bancaire existe toujours.
Cependant, la chose ne s’arrête pas là et la suite est certainement la cause d’une générale confusion.
Si le droit national sur lequel est assis le secret bancaire n’a souffert d’aucune attaque directe, son application est simplement et systématiquement[2] écartée par les instruments juridiques internationaux organisant l’échange interétatique d’informations à des fins fiscales[3].
Le secret bancaire est donc écarté et non abandonné.
Vaine subtilité juridique ? Nous ne le pensons pas. Il y a là une nuance qui a son importance ; nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article.
Il appert donc que le vrai sujet est l’échange d’informations bien plus que ne l’est le secret bancaire.
Échange d’informations et automaticité
En matière d’échange d’informations, l’année 2013 aura été marquée par un changement de paradigme : l’échange sur demande ne fait plus recette, l’échange automatique doit donc devenir la norme.
"Les temps ont changé !" dira Jean-Claude Juncker, alors Premier Ministre, en introduction de son discours sur l’état de la nation en avril 2013.
Ce système où l’échange d’informations reposait sur une demande jugée « vraisemblablement pertinente » visant une personne clairement définie, c’est-à-dire contre laquelle pèse déjà de forts soupçons, doit être remplacé par un système où les informations fiscalement utiles sont systématiquement et automatiquement adressées aux autorités de l’état de résidence de la personne concernée par ces informations. D’aucuns parleront de" transparence fiscale".
C’est bien cette automaticité, synonyme d’une apparente impossibilité de passer entre les mailles du filet, qui nourrit aujourd’hui les inquiétudes de bon nombre d’apporteurs de capitaux au Grand-Duché et corrélativement de bon nombre de professionnels de la Place qui craignent leur départ.
Il faut admettre que le gouvernement luxembourgeois n’a pas fait les choses à moitié.
Vers l’automaticité à bride abattue
Transposition de la directive européenne relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, accord sur le mandat de négociation de la Commission dans le cadre de la refonte de la directive « Épargne », adoption du modèle I dans la cadre des négociations FATCA, signature de la convention sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signature d’une déclaration en faveur du développement au sein de l’OCDE de l’échange automatique comme standard global unique, introduction, avec effet au 1er janvier 2015, sur la base de la directive "Épargne" de l’échange automatique d’informations sur les paiements d’intérêts effectués par les banques (ou plus exactement les agents payeurs) luxembourgeoises en faveur de personnes physiques qui ont leur résidence dans un autre État membre de l’Union Européenne : les digues ont cédé !
2013 aura été une année faste pour l’échange automatique d’informations.
Cédric Antoine, Juriste au sein du cabinet d'avocats Godfrey-Higuet,
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Notes :
[1] Définition largement inspirée du Règlement grand-ducal du 24 mars 1989 précisant le secret bancaire en matière fiscale et délimitant le droit d’investigations des administrations fiscales.
[2] Ceci depuis le 13 mars 2009, date à laquelle le Luxembourg s’est engagé à satisfaire aux
normes de l’OCDE en matière d’échange d’informations et de coopération fiscale et à ne plus opposé son secret bancaire en matière fiscale.
[3] Tel est aussi le cas en matière de coopération judiciaire.