L’exploitation d’un téléphone portable d’une personne gardée a vue et le secret professionnel d’un avocat

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L’exploitation d’un téléphone portable d’une personne soumise à une garde à vue est assimilable à une perquisition et le procès-verbal de cette exploitation n’ a pas le caractère d’une audition, mais, lorsqu’il s’agit d’un avocat, l'omission de placer cet objet sous scellés dès sa saisie ne préserve pas le secret professionnel de l'avocat et fait nécessairement grief aux intérêts de celui-ci.

Deux arrêts importants de la Chambre criminelle rendus, respectivement, le12 Janvier 2021 (n° 20-84.045) et le 18 Janvier 2022 (n° 21-83.728) sont riches d’enseignements et méritent, à ce titre , d’être commentés, puisque statuant sur une question nouvelle, à savoir l’exploitation d’un téléphone portable d’une personne soumise à une garde à vue. La position de la haute juridiction déploie des conséquences importantes qui dépassent largement la question posée.

Sommairement brossés, les faits des deux arrêts sont similaires : deux personnes gardées à vue consentent à la remise de leurs téléphones portables à l’officier de police judicaire en lui livrant le mot de passe permettant ainsi l’exploitation des données que contiennent les deux appareils. Une particularité apparait dans la seconde affaire, à savoir, que la personne gardée à vue est une avocate.

La question posée à la chambre criminelle, dans les deux affaires, est de savoir quelle est la nature juridique de l’acte d’ exploitation du portable, et, par voie de conséquences, dans la seconde affaire s’agissant d’une avocate, si les règles protectrices du secret professionnel et des droits de la défense doivent s’appliquer.

Le raisonnement de la haute juridiction dans les deux arrêts se fonde, en effet, sur une triple argumentation. Positivement d’abord, l’exploitation d’un téléphone portable est assimilable à une perquisition (I.). Négativement ensuite, le procès-verbal d'exploitation du téléphone de l’intéressé n'a pas le caractère d'une audition (II.), Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un avocat mis en cause, l'omission de placer ces objets sous scellés dès leur saisie ne préserve pas le secret professionnel de l'avocat et fait nécessairement grief aux intérêts de celui-ci (III ).

I.- La solution retenue par la chambre criminelle, selon laquelle l’exploitation d’un téléphone portable est assimilable à une perquisition, fait appel à un raisonnement analogique, permettant de trouver une similitude entre la perquisition et l’exploitation d’un téléphone portable. Le recours à l’analogie a été imposé par l’absence de texte réglementant ce procédé (A.), permettant ainsi à la haute juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent (B.).

A.- L’assimilation de l’exploitation d’un téléphone portable à une perquisition, qui se fait en l’absence de tout énoncé textuel sur la nature juridique de cet acte, peut être fondée sur l’article 57-1 du code de procédure pénale, relatif à la perquisition.

En effet, selon ce texte « les officiers de police judiciaire peuvent accéder, par un système informatique implanté sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données intéressant l'enquête en cours et stockées dans ledit système ou dans un autre système informatique, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial… ».

Certes, la formulation de ce texte pourrait permettre d’attribuer le caractère d’une perquisition à l’acte d’exploitation d’un bien informatique dans le cadre d’une enquête de flagrance, mais étendre ce raisonnement aux biens informatiques se trouvant dans la possession de la personne gardée à vue est de nature à faire échec aux droits et garanties encadrant la garde à vue, d’autant plus que la capacité de stockage dont dispose le portable, aujourd’hui, s’est considérablement accrue.

B.- L’ assimilation de l’exploitation d’un téléphone portable à une perquisition engendre des conséquences importantes, dont certaines sont sujets d’interrogations. Etant donné que la présence de l’avocat n’est prévue par aucun texte, lors de l’exploitation d’un téléphone portable, cette exploitation peut donc être régulièrement réalisée sans la présence de l’avocat, ce qui peut paraitre contraire aux droits de la défense notamment, en violation du droit au silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination. En effet, la haute juridiction a affirmé que ce droit ne s'étend pas à l'usage de données que l'on peut obtenir de la personne en recourant à des pouvoirs coercitifs, mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect.

Or, justement, l’exploitation n’est pas totalement indépendante de la volonté de la personne gardée à vue. Certes, l’article 434-15-2 du code pénal, qui érige en délit le fait de faire obstacle à une telle exploitation, peut fonder une telle analyse. Selon ce texte « toute personne ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, est tenue de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale ».

La chambre criminelle a considéré que le code de déverrouillage d'un téléphone portable peut constituer une telle convention lorsque ledit téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie (13 octobre 2020, 20-80.150). Or, cette jurisprudence s’accorde mal avec le droit que la loi reconnait à la personne suspecte de refuser une perquisition dans le cadre d’une enquête préliminaire.

II.- L’insuffisance de la première affirmation, selon laquelle l’exploitation est assimilée à une perquisition, à justifier la solution retenue a obligé la chambre criminelle à poursuivre son raisonnement afin de corroborer les assises juridiques de cette décision, en ôtant au procès-verbal d'exploitation du téléphone le caractère d'une audition (A.). Cette affirmation étant, toutefois, subordonnée sur certaines conditions (B.).

A.- Le procès-verbal d'exploitation du téléphone n’a pas le caractère d'une audition. En ôtant à la remise du code de déverrouillage d'un téléphone portable et au procès-verbal d'exploitation du téléphone, le caractère d'une audition, la chambre criminelle repousse les règles protectrices des droits de la défense qui entoure et accompagnent l’audition, notamment l’assistance de l’avocat. Certes, comme l’a affirmé la haute juridiction, aucune disposition légale ne prévoit la présence de l’avocat lors de l’exploitation d’un téléphone portable mais, on peut légitimement se demander si le fait demander à une personne sous garde à vue, avant l’arrivée de son avocat, la remise de son téléphone, ne constitue pas un stratagème destiné à porter atteinte au droit au silence, de nature à vicier la procédure, si l’on applique la jurisprudence, concenant la loyauté de la preuve, de l’assemblée plénière de la cour de cassation.

B.- Conscient du risque causé aux droits de la défense, la haute juridiction a pris soin de préciser, négativement, une condition essentielle pour ôter à ces actes le caractère d’audition, à savoir, la personne gardée à vue ne doit faire aucune déclaration et aucune question sur les faits pour lesquels elle est placée en garde à vue ne doit lui être posée.

III.- La particularité de la seconde affaire concerne la personne mise en cause, qui est une avocate. D’où la question de savoir si les règles de formes et de fonds des perquisitions concernant le domicile et le cabinet d’un avocat, qui sont prévues par l'article 56-1 du code de procédure pénale doivent s’appliquer.

La réponse de la chambre criminelle est nuancée. Si elle affirme que la fouille des effets personnels d'un avocat ne répond pas au régime protecteur des perquisitions (A.) elle retient, en revanche, que la saisie de ces objets doit impérativement faire l'objet d'un scellé et que son omission porte atteinte au secret professionnel de l'avocat sans démonstration nécessaire d'un grief (B.).

A.- Selon la haute juridiction en effet, la fouille des effets personnels d'un avocat ne répond pas au régime protecteur des perquisitions. Nous savons que le législateur a entouré les perquisitions du domicile et du cabinet d’un avocat des garantie destinées à protéger l’exercice de la profession et les droits de la défense. Ainsi, selon l’article 56-1, ce texte prévoit, à peine de nullité, des conditions de forme et de fond à la validité de ces perquisitions, qui « ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention saisi par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits ».

Paradoxalement, tout en assimilant la fouille des effets personnels d’un avocat effectuée par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, à une perquisition, la chambre criminelle affirme cependant, que les formes prévues pour les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent recevoir application. Toutefois, cette solution est complétée par une garantie destinée à assuré le respect du secret professionnel.

B.- Pour la haute juridiction « l'omission de placer les biens sous scellés dès leur saisie ne préserve pas le secret professionnel de l'avocat et fait nécessairement grief aux intérêts de celui-ci ».

Consciente du caractère attentatoire des investigations portant sur les documents ou données informatiques, au secret professionnel d’un avocat, la chambre criminelle a pris soin de préciser qu’il incombe à l’officier de placer les biens sous scellés dès leur saisie, il en est ainsi des « objets, documents ou données informatiques, afin que soit assuré le respect du secret professionnel, en garantir la connaissance et la consultation exclusives par le magistrat instructeur et le bâtonnier ou son délégué ». Cette protection partielle ne permet cependant pas la sauvegarde du secret professionnel de l’avocat.

Il résulte de l’analyse de ces deux arrêts que la nature juridique de l’exploitation d’un téléphone portable est loin d’être clarifiée – l’assimilation de cet acte à une perquisition ne permet pas, en définitive, de résoudre les problèmes soulevés par cet acte.

Cela s’explique naturellement par la limite de cette analogie, car si l’exploitation du matériel informatique peut être assimilé à une perquisition elle constitue, en dernière analyse, une sorte d’interception de correspondances.

Espérons que le législateur interviendra afin de déterminer la nature juridique de l’exploitation d’un matériel informatique afin qu’il soit assuré le respect du secret professionnel de l’avocat, et au-delà, la protection des droits de la défense.

Magdy Habchy, Maitre de Conférences HDR, Faculté de Droit et de Science Politique de Reims


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