Depuis quinze ans, peu de domaines du droit ont connu une expansion comme le domaine du droit de la propriété intellectuelle. Au coeur des nouvelles technologies mais également au coeur d’une nouvelle vision de la valeur des actifs de l’entreprise, le droit de la propriété intellectuelle accompagne le développement mondial des échanges et l’expansion internationale des entreprises. Parallèlement à ces facteurs économiques, les règles ont également changé. Elles se sont internationalisées comme les méthodes de travail de ceux qui pratiquent cette spécialité.
Depuis quinze ans, peu de domaines du droit ont connu une expansion comme le domaine du droit de la propriété intellectuelle. Au coeur des
nouvelles technologies mais également au coeur d’une nouvelle vision de la valeur des actifs de l’entreprise, le droit de la propriété intellectuelle accompagne
le développement mondial des échanges et l’expansion internationale des entreprises. Parallèlement à ces facteurs économiques, les règles ont également changé. Elles se sont internationalisées comme les méthodes de travail de ceux qui pratiquent cette spécialité.
En France, la coexistence des avocats et des Conseils en Propriété Industrielle va changer avec le principe de la fusion votée par le CNCPI et le CNB.
Ce changement est analysé par certains comme un non évènement, d’autre le voient comme un danger. Ceux qui pensent que c’est une bonne nouvelle ont peut-être des priorités plus politiques que la qualité du service rendu au client.
Le Monde du Droit a voulu faire un point sur la pratique d’un droit aussi passionnant que dynamique. Comment s’adaptent les professionnels ? Comment
s’organisent les cabinets ? Quels sont les chantiers de demain ? Tant de questions auxquelles nous tenterons de répondre.
L’ESSOR FULGURANT DU DROIT DE LA PROPRIÉTE INTELLECTUELLE
Un droit de la mondialisation
Pour Dominique Ménard, avocat associé de Lovell’s à Paris et spécialiste du droit de la propriété intellectuelle depuis plus de trente ans, c’est à l’informatique et ses conséquences en matière de globalisation qu’il faut commencer par attribuer la croissance spectaculaire de ce droit. « Nous vivons la troisième révolution de l’humanité.
Après les révolutions agricoles et industrielles, nous vivons la révolution des signes : le 0 et le 1. Sans langage binaire et donc sans informatique, il n’y aurait pas de globalisation, pas de multinationales, pas de web, pas de téléphones
cellulaires. Ces systèmes sont source d’activité humaine. Il faut les créer, es développer et les accompagner », dit-il.
En effet, qu’il s’agisse du domaine industriel, de la conception d’une automobile au montage d’un airbus, du domaine des services ou encore du commerce en
igne, un droit de l’immatériel s’est développé dont les enjeux économiques sont majeurs et pour lesquels des juristes de plus en plus spécialisés sont indispensables.
Le droit de la propriété intellectuelle s’inscrit donc dans la globalisation technologique mais également dans la globalisation des normes, notamment les IFRS qui régissent maintenant la valorisation comptable des biens incorporels des sociétés cotées. C’est également un droit qui accompagne les mutations de la
mondialisation. « Quand IBM faisait du hardware, celui-ci était cher. Maintenant que le hardware est bon marché, IBM s’est recentré sur le software et le conseil. Il
faut des juristes pour gérer tout ceci », poursuit Dominique Ménard. « Mon métier est très différent de ce que je faisais il y a trente ans. Avant, chacun
était sur son territoire et oeuvrait dans le cadre de son économie locale.
Tout a changé. Un exemple frappant est celui de la publicité. La musique a remplacé les paroles et la musique est la même dans le monde entier. Les campagnes de publicité sont globales et les produits sont mondiaux », dit-il pour illustrer son propos.
Les enjeux sont donc devenus gigantesques et la pratique du droit autour de ces enjeux a logiquement suivi le mouvement. Droit, comptabilité et technologie
Isabelle Renard, avocat associée du cabinet Vaughan, ne se destinait pas à la profession d’avocat. Avant de changer de métier, elle a été ingénieur pendant
près de quinze ans chez Thalès. Elle passait beaucoup de temps aux Etats-Unis, notamment pour mettre sur pied des filiales qui avaient accès à certaines technologies
présentes, à l’époque, en Californie. Cette expérience lui a permis de faire le constat que les Français étaient souvent bien moins préparés et adaptés
aux négociations que ne l’étaient leurs homologues américains. Alors que dans les entreprises américaines les juristes avaient un véritable pouvoir ainsi qu’une
relation de travail efficace avec les ingénieurs, dans les entreprises françaises, c’était le contraire. Les juristes et les ingénieurs ne se comprenaient pas et mettaient plus de temps à s’accorder entre eux qu’à négocier avec les autres. Isabelle Renard s’est alors lancée dans des études de droit pour contribuer à réduire cette fracture qui existe entre les ingénieurs et les avocats. Elle a aimé le droit et a
changé de métier.
AVOCATS – CPI, LA FUSION DU NON SENS ?
« Il y a des différences fondamentales entre les avocats et les CPI ainsi que des différences fondamentales entre les CPI marques et les CPI brevets. Les matières
sont très spécialisées et très différentes », dit Isabelle Renard pour introduire le propos. « Dans le système actuel, ces professionnels travaillent très bien ensemble.
Le rapprochement des professions ne va pas modifier la façon de travailler » dit-elle.
Pour Isabelle Renard, si la fusion des avocats et des CPI telle que votée par le CNB et le CNCPI, devenait définitive, il n’y aurait pas de bouleversements majeurs du mode d’exercice de ces métiers. Sans voir de grande utilité dans cette fusion, elle y voit néanmoins l’avantage pour certains cabinets de pouvoir présenter une offre plus proche des attentes des grands clients internationaux qui ne comprennent pas bien qu’une prestation globale en matière de marques ou de brevets ne puisse pas leur être fournie au sein d’une même structure.
Dominique Ménard s’est penché sur les circonstances qui ont abouti aux votes des représentants des deux professions et son analyse est sévère. En effet, il faut
rappeler que sous l’appellation CPI, il y a déjà deux métiers bien distincts : les conseils en brevets qui sont des ingénieurs et les conseils en marques, dessins et modèles qui sont des juristes. Traditionnellement, les cabinets de conseils étaient de très anciennes maisons familiales dont l’activité dominante était le conseil en
brevets à côté de laquelle s’est accessoirement développée une activité en matière de marques, le plus souvent confiées à des juristes salariés au sein de ces structures.
Celles-ci vivaient très confortablement notamment grâce aux traductions dans le cadre des extensions de brevets.
C’est dans ce contexte que s’est produite l’internationalisation de l’exploitation des marques, notamment d’origine américaine, en France et en Europe. Or le travail nécessaire à l’accompagnement de ces marques n’intéressait pas fondamentalement les ingénieurs. Deux cursus différents ont ainsi été mis en place au sein du CEPI de Strasbourg, l’un délivre le titre de CPI avec la qualification brevets, alors que l’autre délivre le même titre mais avec la qualification marques dessins et modèles. L’extraordinaire expansion du domaine des marques a fait que cette activité est passée d’un service accessoire et modeste à une activité importante.
De nombreux juristes marques ont alors créé leurs propres structures dédiées à cette activité.
Ce double marché est cependant devenu difficile. Du côté des marques, l’apparition de la marque communautaire dont la gestion est centralisée à Alicante a en grande partie supplanté le recours aux marques nationales et pour les spécialistes des brevets, le Protocole de Londres venu limiter les traductions aux seules revendications, a en très grande partie asséché la manne financière des traductions. C’est donc dans cette conjoncture sensiblement durcie que les CPI ont voulu réagir en ouvrant la porte à une fusion avec les avocats. Or, pour les CPI juristes spécialistes des marques, cette démarche ne pose pas de problèmes particuliers. Une passerelle existe déjà entre les deux professions depuis de nombreuses années.
Les CPI marques peuvent ainsi au bout de cinq ans de pratique devenir avocats sans aucun examen et cela ne pose aucun problème. Pour les ingénieurs, le problème est tout autre. La majorité d’entre eux non seulement ne souhaitent pas devenir des avocats mais surtout le droit ne les intéresse pas.
Dominique Ménard, qui est aussi le président de l’APEB (Association des praticiens européens de brevets), est d’autant plus réservé sur la fusion des professions qu’il voit dans l’interprofessionnalité la réponse aux souhaits et aux préoccupations de tous les intéressés. « Il y a environ un an, la majorité des CPI était favorable à l’interprofessionnalité. Les partisans de l’unification ont alors proclamé haut et fort qu’il n’y avait pas d’autre choix possible et ils ont fini par arracher une courte majorité à la CNCPI en faveur de la fusion, principalement du fait du vote pro fusion des juristes marques. Ceci s’est fait avec le soutien du CNB très favorable au concept d’une grande profession du droit, l’arrivée de cotisations ordinales supplémentaires en même temps que la possibilité de trouver de nouveaux marchés ayant sans doute été l’élement décisif. Cette fusion est présentée comme un consensus alors que la majorité des spécialistes des brevets est contre », précise Dominique Ménard. En effet, outre l’APEB qu’il préside, Dominique Ménard rappelle que l’AAPI, le MEDEF, l’AFEP et la CGPME soutiennent ensemble un avant projet de décret en faveur de l’interprofessionnalité mais n’ont pas été entendus.
Les enjeux de ce débat dépassent largement celui des modalités du rapprochement de deux professions. Dominique Ménard sait que de nombreux ingénieurs qui ont fait huit ans d’études supérieures scientifiques ne voudront pas suivre des centaines d’heures de formation juridique pour devenir avocats – CPI et que ceci conduira inéluctablement à un tarissement de la filière et que c’est le métier d’ingénieur brevet qui risque purement et simplement de disparaître du paysage français. Ce sont les anglais et les allemands qui se frottent les mains. « Je suis consterné quand je lis les modestes lignes que le rapport Darrois consacre à ce sujet. Il adoube la fusion tout en soulignant le danger qu’elle représente pour le maintien du métier d’ingénieur brevet en France ! Or c’est précisemment ce point qui est à l’origine de notre position commune contre la fusion. Quant au consensus des professionnels, il s’agit d’un mythe », conclut Dominique Ménard.
LES CABINETS D’AVOCATS S’ADAPTENT
Entre la demande toujours croissante des clients en matière de droit de la propriété intellectuelle et le rapprochement avec les CPI, les avocats s’organisent.
Les spécialistes historiques de la matière comme le cabinet Bird & Bird renforcent leurs équipes en corporate ou en fiscalité pour pouvoir élargir leurs prestations
à partir du coeur de leur offre PI et refléter dans leurs services l’imbrication toujours grandissante de la propriété intellectuelle dans tous les aspects de la vie économique.
Les cabinets d’avocats qui n’étaient pas des spécialistes renforcent leurs équipes de propriété intellectuelle pour faire face à la demande de leurs clients. « Nous
avons été sollicités à plusieurs reprises par des cabinets d’avocats qui cherchent à se rapprocher de cabinets de conseil en Propriété industrielle ou à développer
leurs équipes et leurs offres en PI », explique Jérôme Rusak, associé de Day One, cabinet de conseil spécialisé en stratégie et développement des cabinets de services
professionnels.
En octobre 2008, Day One est intervenu en sa qualité de conseil dans la création d’un réseau interprofessionnel entre le cabinet de CPI Lavoix et le cabinet d’avocats Binn & Associés. « Ce rapprochement permet au réseau Lavoix de proposer à ses clients toute la chaîne des prestations souhaitées en PI du conseil au
contentieux. C’est aussi la mise en commun d’une image et de moyens en termes de ressources, de relations clients et de knowledge », ajoute Jérôme Rusak.
Comme Isabelle Renard et Dominique Ménard, il est sceptique sur ce que peut apporter la fusion des avocats et des CPI en plus de l’interprofessionnalité. Il estime en effet que quelque soient les positions du CNB et du CNCPI, le modèle interprofessionnel répond parfaitement aux besoins des clients, notamment en matière de contentieux qui est la question au centre des débats.
Une étude réalisée par Day One en 2007 auprès des 100 principaux cabinets d’avocats d’affaires en France révelait que 80 % d’entre eux considèrent que les meilleurs partenaires en cas d’ouverture du capital de leurs structures ou en cas de rapprochement seraient, derrière les professionnels du Droit (juristes et notaires),
les consultants et en particulier les CPI. Cette étude confirme bien que la propriété intellectuelle a pris sa place dans la réflexion stratégique des avocats.
AVENIR : BREVETS ET TRADE SECRETS
Sur la question de l’avenir de la pratique du droit de la propriété intellectuelle, Isabelle Renard soulève d’abord l’urgence des améliorations à apporter en matière
de formation aux notions économiques. « J’aimerais que les avocats intègrent mieux les éléments de droit économique et financier. Quand on travaille au contentieux, il faut comprendre ce qui se passe dans l’entreprise et où sont les chefs de préjudice. Les approches et les conséquences financières ne sont pas les mêmes pour la contrefaçon de marques, de brevets ou de logiciels », ajoute-t-elle.
Sur ce point, Isabelle Renard considère que les avocats français ont encore à apprendre de leurs confrères américains. Elle soulève là un problème qui dépasse
d’ailleurs le champ de la pratique de la propriété intellectuelle. Les carences de la formation des avocats français en matière comptable, économique et financière
sont manifestes.
Concernant les domaines en développement dans sa spécialité, elle pense que des évolutions importantes auront lieu dans le domaine des brevets. « Il y a encore en France une grande réticence sur les brevets. Beaucoup de sociétés qui devraient déposer des brevets ne le font pas. Les freins sont autant économiques, que politiques ou encore culturels. Or il est sain pour une entreprise de déposer des brevets tant pour se protéger que pour ne pas se faire freiner dans son développement.
Il manque souvent une vraie réflexion stratégique sur ces sujets. Cela doit changer », conclut Isabelle Renard. Pour Dominique Ménard, l’avenir sera riche dans les secteurs des noms de domaines et dans le traitement et la protection de données personnelles. Mais il estime que c’est l’activité liée aux trade secrets qui connaîtra des développements particulièrement intéressants. « Peu de gens en parlent mais ce sera un grand sujet dans les années qui viennent, accéléré par la mobilité des gens ainsi que par la généralisation de la diffusion des informations au sein des entreprises.
Les employés savent de plus en plus de choses et ceci n’intéresse pas que des honnêtes gens », explique-t-il. Dominique Ménard constate déjà, à ce propos, un phénomène de recloisonnement des informations dans l’entreprise et que de plus en plus d’entreprises réalisent qu’il faut communiquer mais avec prudence. « Dans certaines des entreprises les plus technologiquement avancées, on recommence à communiquer avec du papier » s’amuse-t-il. Quoiqu’il en soit, même si les feuilles et les cahiers sont de retour, les spécialistes de la propriété intellectuelle ont encore beaucoup de travail.