La contrefaçon est le terme spécifique, en propriété intellectuelle, qui réfère à toute violation et usage non-autorisé d’un actif de propriété intellectuelle appartenant à un tiers.
Le visage de la contrefaçon a profondément changé durant ces dernières années. L’époque de la contrefaçon artisanale est révolue, alors que produire et vendre des faux est devenu une industrie bien huilée, souvent financée par les fonds provenant du trafic de la drogue, du terrorisme et d’autres organisations criminelles.
Pendant longtemps, la contrefaçon a été considérée comme un mal inéluctable, tout particulièrement dans la sphère du luxe et de la mode, mais sa croissance exponentielle est devenue une telle menace que plusieurs parties prenantes du milieu des affaires réagissent maintenant plus rapidement et plus fortement, afin de contenir cette épidemie.
1. Quelles règles et lois sont applicables à la lutte contre la contrefaçon ?
La France, un des pays les plus touchés par la contrefaçon puisque les enterprises françaises avaient une part de marché particulièrement large dans les secteurs du luxe et de la mode, et un pays qui bénéficie d’institutions de lobbying puissantes telles que le Comité Colbert et l’Union des Fabricants, a été la première à réagir contre la contrefaçon, en promulgant la loi Longuet en février 1994.
Grâce à ces nouvelles règles, la France a fait de la contrefaçon un délit pénal plus grave, élargissant le champs d’action des douaniers postés aux frontières françaises et étendant les cas dans lesquels la confiscation des produits contrefaits est devenue possible. Grâce à une nouvelle loi française entrée en vigueur en mars 2004, la peine de prison pour le délit de contrefaçon a été augmentée de 2 à 3 ans et l’amende de 150.000 euros à 300.000 euros, avec des sanctions pénales plus graves de 5 ans de prison et 500.000 euros d’amende dans les cas où la contrefaçon est exercée en bande organisée.
Au niveau européen, les institutions européennes sont devenues si préoccupées par la contrefaçon, en particulier parce que celle-ci peut impacter la santé et la sécurité des consommateurs, qu’elles ont adopté deux corps de règles afin de favoriser l’harmonisation dans la lutte contre la contrefaçon parmi les états-membres européens, ainsi que la coopération internationale, en particulier avec les propriétaires de droits de propriété intellectuelle.
Ainsi, le règlement 1383/2003/CE est entré en vigueur le 1 juillet 2004, et a été remplacé par le règlement 608/2013/CE en janvier 2014. Ce nouveau règlement européen relatif à l’intervention des autorités douanières sur les produits suspectés d’être contrefaits, étend substantiellement les pouvoirs des services de douane, offrant une meilleure protection contre la contrefaçon. En particulier, le règlement élargie le champs des droits de propriété intellectuelle protégés, ainsi que le droit d’information des sociétés et individus requérant la confiscation de ces produits contrefaisants. Ce règlement simplifie, en outre, le processus de destruction des faux.
En outre, la directive 2004/48/CE, relative aux mesures et procédés ayants pour but une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle, a été adoptée en avril 2004. Cette directive a été transposée dans chaque état-membre de l’Union Européenne et a créé de nouveaux outils pour que les détenteurs de droits luttent contre la contrefaçon.
2. Outils tangibles pour les entreprises de mode et de luxe, contre la contrefaçon
Quels sont les outils dont les maisons de luxe et de mode disposent, afin de lutter efficacement contre la contrefaçon ?
Des mesures préventives sont nécessaires, ainsi que des actions réactives et de protection, lorsque les produits contrefaits ont été identifiés et/ou sont suspectés de circulation.
La plupart des conglomérats de luxe adoptent une approche systématique afin d’éradiquer le fléau de la contrefaçon de leurs marques et produits divers. LVMH, par exemple, est connu pour sa « politique 0 tolérance” contre les contrefacteurs et emploie de larges équipes de juristes internes et d’avocats pour surveiller, contrôler et réguler les marchés de gros et de détail, en ligne et offline. Les juristes internes de ces groupes de luxe définissent une sratégie anti-contrefaçon sur-mesure pour chaque marque de leur portefeuille, sont en contact étroit avec leurs conseillers juridiques extérieurs, les huissiers de justice et les officiers des douanes, avec qui ils travaillent directement afin d’organiser des “raids” pour saisir et confisquer les produits contrefaisants, et afin d’évaluer les progrés de la lutte contre la contrefaçon.
Les experts estiment que 80 à 90% de la contrefaçon mondiale provient de Chine et se plaignent que le gouvernement chinois joue la politique de l’autruche vis-à-vis de cette industrie lucrative. Du fait du manque d’engagement sérieux de la part des autorités chinoises pour éradiquer la production des produits contrefaits sur leur sol, les marques de luxe et de mode ne peuvent envisager de demander, et d’obtenir, la clôture des usines et ateliers de produits contrefaisants en Chine.
Ainsi, les maisons de luxe et de mode légitimes doivent tout mettre en oeuvre afin d’empêcher que ces produits contrefaisants entrent sur les marchés où ces marques de luxe et de mode vendent, ou souhaitent vendre, leurs produits.
Il existe un autre problème auquel les marques de luxe et de mode sont confrontées, celui du « marché gris ». Les importations parallèles, comme elles sont aussi appelées, sont relatives à la vente de produits authentiques, dans un territoire défini, par une entité qui est différente de celle de l’entité ou de la personne physique qui a le droit de distribuer ces produits, ainsi que d’exploiter cette marque, sur ce territoire. Les importations parallèles éludent les différences de prix qui pourraient exister, pour un produit similaire, entre deux territoires. Dans ce “marché gris”, il y a, en effet, une violation des droits du propriétaire de la marque puisque ces produits ne sont pas distribués comme ce propriétaire le désire. Les ventes sur le « marché gris » sont en violation avec les exigences de la distribution sélective de produits de luxe, puisqu’ils sont vendus comme des produits communs, dans des points de vente non approuvés, sans conseil, sans service particulier et approprié et, parfois, même s’ils sont défectueux.
Pour se protéger contre les importations de contrefaçons et les importations parallèles, les marques de luxe et de mode doivent enregistrer les informations relatives à leurs marques et produits sur la base de données d’exécution de l’Observatoire européen (European Observatory Enforcement Database), ainsi que sur les bases de données gérées au niveau national.
L’Office d’Harmonisation du Marché Interne (OHMI) basé en Espagne gère l’Observatoire Européen relatif à la violation des droits de propriété intellectuelle. L’Observatoire Européen a maintenant lancé la base de données d’exécution (Enforcement Database). La base de données permet aux propriétaires de droits de télécharger des informations relatives à leurs marques, qui sont ensuite sauvegardées dans la base de données et peuvent être accedées par les propriétaires de droits, les officiers des douanes ainsi que la police. Le but est que les parties en cause pourront échanger et partager de l’information et communiquer plus aisément par l’intermédiaire de la base de données.
En France, les sociétés peuvent demander une requête d’intervention auprés des douanes françaises, afin que les services de douane puissent augmenter leur efficacité pour détecter les produits contrefaits de ces marques françaises. Ce procédé, aisé et gratuit à mettre en place, est valide pour une durée d’un an et renouvelable sur demande, permet aux douanes de retenir pendant 10 jours tous produits suspectés d’être contrefaisants. Ce délai de 10 jours permet aux sociétés enregistrées de confirmer aux douanes si les produits détenus sont, en effet, contrefaisants de leurs propres produits.
Une autre mesure préventive est de protéger les produits de luxe et de mode par l’utilisation de techniques d’authentication. La protection des produits peut être réenforcée par des solutions techniques permettant l’authentification des produits, telles que la spectroscopie terahertz développée par le Laboratoire Physique National du Royaume Uni, qui pourrait prochainement être utilisée par les douanes, ou le fingerprinting taggant (des matériaux miscroscopiques codés de manière unique, qui sont vérifiés sur une base de données), les micro-particules encryptées (des marques placées de manière imprévisibles, telles que des nombres, des strates et des couleurs, non visibles à l’oeil nu), des codes barres en série, des systèmes de trackage et de pistage (qui utilisent des codes pour lier les produits aux systèmes de trackage des bases de données), etc.
Quand les produits contrefaisants ont, malheureusement, surgi sur le territoire sur lequel les maisons de luxe et de mode vendent, ou ont l’intention de vendre, leurs produits, alors une action plus musclée est de rigueur.
La France fournit le meilleur exemple d’efficacité exceptionnelle pour obliger un commerce de vente de contrefaçon à cesser ses activités. Par le biais de référés, les tribunaux français peuvent interdire la continuation de toute action contrefaisante, ordonner la confiscation des contrefaçons, requérir que les produits contrefaisants soient transferés à une partie tierce, afin de mettre fin à l’introduction ou à la circulation de ces produits dans les circuits commerciaux français. Ces référés sont très adaptés au délit fuyant de la contrefaçon et permettent l’interruption rapide de tout commerce et activité contrefaisants. Les référés sont souvent utilisés par les marques de luxe car il n’est pas nécessaire d’avoir des preuves incontestables de la contrefaçon, afin de faire exécuter de tels référés, étant donné qu’il est seulement nécessaire de fournir assez d’éléments relatifs au délit de contrefaçon et de donner assez de preuve du sérieux de la demande.
Le système français fournit aussi un moyen rapide et efficace d’obtenir des preuves, la saisie-contrefacon. Cette mesure d’enquête judiciaire permet à la victime de contrefaçon d’obtenir, devant les tribunaux, le support de la police et d’huissiers de justice, afin de mettre à la disposition des magistrats tout le materiel, les produits et les revenus relatifs aux actes et aux commerces contrefaisants. Afin d’être valide, une assignation en justice doit être déposée dans les 15 jours qui suivent la confiscation résultant de la saisie-contrefaçon. Cette obligation semble raisonnable au vue du fait que la saisie-contrefacon est une mesure qui permet à un individu ou à une société l’ayant requise, d’entrer, si besoin avec le support de la police, à l’intérieur du domicile ou des locaux d’autrui, afin de vérifier, chercher, contrôler, enquêter, copier, créer un inventaire des archives, dossiers commerciaux, relevés de comptes bancaires, livres comptables, ainsi que de confisquer tous les produits suspectés d’être contrefaisants, sans que le sujet de ces intrusions n’ait le droit de s’y opposer.
Il est pratique courante, pour les juridictions françaises, d’octroyer des mesures forçant les fournisseurs d’accés Internet à bloquer l’accés aux sites internet des contrefacteurs sur le sol français ou de forcer Google et d’autres moteurs de recherche à dé-référencer et à délister les sites internet appartenant aux contrefacteurs.
Les dommages et intérêts que les victimes des contrefacteurs peuvent obtenir en France sont extrèmement substantiels, étant donné qu’ils comprennent un élément punitif et sont corrélés aux revenus engrangés par les contrefacteurs.
D’autres pays, tels que les Etats-Unis, ont mis en place des procédures solides pour contraindre les contrefacteurs d’arrȇter de vendre leurs produits sur le territoire national. Toutefois, il convient de noter que la lutte contre la contrefaçon est beaucoup moins une priorité dans des pays tels que l’Italie (qui est aussi un centre de production des vêtements contrefaits, qui représentaient 20% de tous les vêtements produits dans ce pays en 2003) et le Royaume Uni (qui, comme l’a admis l’Office de la Propriété Intellectuelle du Royaume Uni, manque des ressources et budgets nécessaires pour s’attaquer au « délit PI » (“IP crime”) d’une manière systématique et à grande échelle).
Un autre aspect trés important de la lutte contre la contrefaçon sont les campagnes de prise de conscience, que les maisons de luxe et de mode, ainsi que les groupes de lobbying, les auxiliaires de justice et les organismes publics organisent, afin de mieux informer les membres du public des dangers de la contrefaçon. Par exemple, une des campagnes de reconnaissance à message trés fort fut l’écrasement filmé de milliers de fausses montres Cartier par un tank de l’armée, sur la Place Vendôme, à Paris.
Quelques sociétés technologiques s’attaquent maintenant au problème de la cyber-contrefaçon avec passion. Asly, une solution pour combattre la contrefaçon au Moyen Orient, ainsi que Envisional et Netnames, deux entreprises spécialisées dans la détection, la prévention et la lutte contre les dangers de la contrefaçon en ligne et le piratage, semblent être à la pointe de cette industrie de services dédiés à la lutte contre la cyber-contrefaçon, en pleine essor et indispensable.
En tant que propriétaire de droits de propriété intellectuelle, vous devez mettre en oeuvre toutes solutions, de manière créative, correspondant à votre budget, qui existent afin de protéger efficacement votre marque et produits contre la dilution de votre marque, la perte de revenus et de réputation que la contrefaçon engendre invariablement.
Annabelle Gauberti, Associée fondatrice du cabinet d’avocats à Paris et à Londres Crefovi et Présidente de l’association internationale des avocats pour les industries créatives (ialci)