Nicolas Moreau et Alain Berthet du Cabinet Promark reviennent sur les apports et incertitudes de la Loi Hamon sur la protection des noms géographiques en droit des marques.
Elaborée dans l’objectif de rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels, la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite "loi Hamon") a mis en place de nouveaux outils touchant des secteurs économiques aussi divers que variés, tels que la distribution, l’assurance, ou encore l’optique.
En matière de propriété intellectuelle, la loi Hamon a entendu régler le sort des noms géographiques, en leur apportant une meilleure protection et un cadre juridique nettement plus précis (Cf. Article 73 de la loi).
A cet égard, l’apport de cette loi est triple : si les collectivités territoriales ont désormais le droit de faire opposition à l’encontre d’un dépôt de marque portant atteinte à leur nom, leur image ou leur renommée, de nombreuses entités publiques pourront également, sur simple demande à l’INPI, être alertées en cas de dépôt d’une marque contenant leur dénomination (I).
Mais l’apport principal de la loi Hamon reste assurément la création d’un nouveau signe, en marge des Appellations d’origine, appelé "indication géographique protégeant les produits industriels et artisanaux". Cette nouvelle protection, accordée par l’INPI selon des critères spécifiques, permettra de mieux encadrer l’usage de la dénomination d’une zone géographique pour désigner des produits manufacturés (II).
I – Amélioration de la protection des noms géographiques : droit d’opposition et procédure d’alerte
A – Ouverture de la procédure d’opposition aux Collectivités Territoriales
L’article 73 de la loi Hamon a modifié les dispositions de l’article L712-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, afin de permettre aux Collectivités Territoriales de s’opposer à une demande d’enregistrement de marque, "au titre du h de l’article L711-4 du CPI", c’est-à-dire en cas d’atteinte à leur nom, leur image ou leur renommée.
Cette nouveauté est intéressante dans la mesure où, auparavant, seule la voie judiciaire, celle de l’action en nullité ou en contrefaçon leur était ouverte, ce qui les contraignait à devoir attendre l’enregistrement de la marque pour pouvoir agir. Désormais, en leur ouvrant la procédure d’opposition devant l’INPI, les Collectivités Territoriales se voient dotées d’une arme supplémentaire de taille, à l’instar des titulaires d’une marque antérieure.
Toutefois, en pratique, il est à craindre que l’INPI rencontre des difficultés dans l’application de cette disposition, en ce qu’elle ne précise aucunement les modalités d’examen de cette opposition. Comment l’INPI va par exemple apprécier l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de la Collectivité Territoriale ? Procédera-t-il à une comparaison des signes et des produits/services en cause (encore faudra-t-il préciser dans quelle activité économique la collectivité territoriale intervient-elle…) ? Un risque de confusion sera-t-il requis, ou bien l’existence dans l’esprit du public d’un simple lien entre la marque demandée et la collectivité territoriale suffira-t-il ?
Tant de questions face auxquelles la présente loi reste hélas muette, et qui pourraient pourtant à terme remettre en cause l’efficacité de cette nouvelle opposition. Espérons donc que le décret d’application, attendu pour l’été 2014, apporte les précisions nécessaires sur ce point.
B – Création d’une procédure d’alerte pour certaines entités publiques en cas de dépôt de leur nom (ou du nom d’un pays)
Le second apport de la loi Hamon réside dans la possibilité offerte aux Collectivités Territoriales et à tout établissement public de coopération intercommunale, d’être alertés par l’INPI en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant leur dénomination.
La loi a également étendu cette procédure d’alerte au profit des conseils régionaux, conseils généraux et à la collectivité territoriale de Corse, en cas de demande d’enregistrement d’une marque contenant un nom de "pays" se situant sur leur territoire géographique. Le terme "pays" vise ici la catégorie administrative française désignant un territoire local, et instituée par la Loi d’orientation pour l’Aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995).
Institué par l’article L712-2-1 du Code de la Propriété Intellectuelle – nouvellement créé, ce droit d’alerte pourra être mis en place sur simple demande auprès de l’INPI. Pour l’heure, ses modalités pratiques doivent encore être fixées par décret, mais il y a déjà fort à parier que cette veille offerte aux Collectivités Territoriales emportera une large adhésion.
II – Création d’un nouveau signe : l’indication géographique protégeant les produits industriels et artisanaux
Cette catégorie, nouvellement créée, ne doit pas être confondue avec les "indications géographiques protégées" (IGP) telles qu’instituées par le Règlement CE n°2081/92 du 17 juillet 1992, pour les seuls produits agricoles et denrées alimentaires.
A – Définition et procédure d’obtention de la protection
La principale nouveauté apportée par la loi Hamon reste à n’en pas douter l’instauration d’un nouveau régime de protection ayant pour but d’encadrer l’usage d’une indication géographique pour les produits industriels et artisanaux. Comme le souligne l’INPI, ces indications géographiques ont été "conçues pour mieux informer les consommateurs sur la provenance de produits qu’ils achètent" tout en permettant de "valoriser les produits manufacturés et les savoir-faire français". De nombreuses productions locales pourraient être intéressées par ce nouveau dispositif, telles que la dentelle de Calais, les couteaux de Laguiole, de Thiers, ou encore la porcelaine de Limoges.
C’est ainsi qu’une section entière a été insérée au Code de Propriété Intellectuelle, pour préciser les contours et modalités d’obtention de la protection. Ces dispositions n’entreront cependant en vigueur qu’à partir de la publication du décret d’application de la loi Hamon, prévue à l’été 2014.
Substantiellement, une indication géographique se définit par des éléments de fond et de forme. S’agissant tout d’abord des éléments de fond, l’article L721-2 du Code de la Propriété Intellectuelle en révèle quatre : Il doit en effet s’agir d’une dénomination d’une zone géographique ou d’un lieu déterminé (1), servant à désigner un produit, autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer (2), qui en est originaire (3), et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique (4).
S’agissant par ailleurs de l’élément formel, le Code de la Propriété Intellectuelle entend soumettre la protection et l’usage des indications géographiques à l’homologation préalable d’un cahier des charges établissant les conditions de production ou de transformation du produit concerné.
La demande d’homologation du cahier des charges doit être déposée auprès de l’INPI par un organisme de défense et de gestion, c’est-à-dire un organisme privé doté de la personnalité morale qui pourrait être en charge d’un ou plusieurs produits. La demande est ensuite examinée selon un processus défini à l’article L721-3 du CPI.
Par ailleurs, dès lors qu’il respecte le cahier des charges homologué, tout opérateur (fabricant, artisan, concepteur) qui le souhaite devient membre de droit de l’organisme de défense et de gestion, et peut à ce titre, se prévaloir de l’indication géographique pour ses produits.
Les contours de la protection accordée à de tels signes ont été établis par l’article L721-8 du CPI, aux termes duquel les indications géographiques sont notamment protégées contre leur utilisation commerciale pour des produits non couverts par l’enregistrement, contre toute indication susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine d’un produit.
Enfin, autre point intéressant de la loi Hamon, ces indications géographiques ne pourront jamais tomber dans le domaine public, ni présenter un caractère générique.
B – Effets et difficultés pratiques
Les effets accordés aux indications géographiques sont multiples. En premier lieu, il faut noter que l’indication géographique constitue une antériorité au sens de l’article L711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, dont l’atteinte est assimilée à une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur (Cf. Article L722-1 CPI).
En second lieu, l’indication géographique constitue un nouveau fondement, permettant à une collectivité territoriale ou à un organisme de défense et de gestion de s’opposer à l’enregistrement d’une marque, portant atteinte à ce signe. Précisons que l’opposition ne sera ouverte aux Collectivités Territoriales, sur le fondement d’une indication géographique, que dans l’hypothèse où cette indication comporte sa dénomination.
La loi Hamon a ainsi entendu verrouiller l’accès à la protection des marques constituées d’un nom géographique, en empêchant les particuliers de déposer eux-mêmes des indications géographiques pour des produits manufacturés.
Quant aux marques déjà enregistrées, le Législateur a précisé que celles-ci n’empêcheraient pas l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme indication géographique, sauf si cette marque est justement à l’origine exclusive de la réputation ou connaissance par le consommateur du produit pour lequel l’indication géographique est demandée (Cf. L713-6 CPI).
Or, sous cette apparente clarté, la loi Hamon a laissé subsister de nombreuses incertitudes : Si une marque antérieure n’empêchera pas l’utilisation d’une indication géographique identique ou similaire, comment s’articulera en pratique la coexistence de ces deux signes ? La marque antérieure devra-t-elle succomber au profit de "l’intérêt général de préservation et de mise en valeur des territoires, des traditions locales et des savoir-faire" (Cf. Article L 721-6 CPI) que sous-tend l’indication géographique ? Pourra t-elle au contraire s’opposer à l’enregistrement d’une indication géographique ? Rien dans les nouvelles dispositions ne permet hélas d’envisager une telle possibilité.
Une chose est néanmoins certaine : la coexistence des deux régimes est impossible, dans la mesure où cela anéantirait l’efficacité des indications géographiques. Un produit pourrait en effet être marqué d’un signe identique à une indication géographique, alors même qu’il ne respecte pas le cahier des charges homologué.
Reste alors une solution extrême : l’expropriation pure et simple des titulaires des marques antérieures, à l’instar de ce qui a été mis en place pour les Appellations d’origine. On se souvient à cet égard de l’arrêt Romanée-Conti, qui avait confirmé la nullité de la marque antérieure éponyme, au motif qu’elle était devenue trompeuse, compte tenu du caractère d’ordre public de la protection dont bénéficient les appellations d’origine contrôlée (Cf. Cassation, commerciale, 1er décembre 1987, n°86-11328).
Plus que souhaitable, la publication du décret d’application de la loi s’avère donc indispensable.
Nicolas Moreau et Alain Berthet, Avocats, Promark
Les auteurs tiennent à remercier Clotilde Biron pour son aide dans la rédaction de cet article.