Dominique Barthès et Pierre-Damien Venton, Avocats, SCP Degroux & Associés commentent une jurisprudence récente de mars 2014 relative à des nouvelles conditions de recevabilité de la prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur.
Une jurisprudence constante de la Cour de Cassation requalifie la prise d’acte de rupture par le salarié en un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque celui-ci est en mesure de démontrer l’existence de "manquements graves" de l’employeur. A défaut, la rupture s’analyse en une démission.
Les "manquements graves" de l’employeur peuvent aussi bien justifier une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
Encore fallait-il donner à cette notion une définition plus précise, l’appréciation de la gravité étant sujette à contestation par la subjectivité qui, selon les circonstances, peut l’inspirer.
Consciente de cette difficulté, la Cour de cassation a énoncé en mars 2010 le principe selon lequel les manquements graves de l’employeur sont ceux qui font obstacle à la poursuite des relations contractuelles.
Ce critère, pour autant novateur qu’il fût, se devait encore d’être complété, ce que la Cour de cassation a fait, aux termes de deux arrêts du 26 mars 2014.
Tirant les conséquences de sa précédente jurisprudence , la Cour de cassation dans la première espèce (n° 12-23.634) précise, pour la première fois, qu’une attente excessive du salarié pour invoquer des faits fautifs de l’employeur, prive d’effet sa prise d’acte de rupture, dans la mesure où ces manquements, par leur ancienneté, n’ont pas empêché la poursuite du contrat de travail.
Dans la seconde espèce (n° 12-35.040), la Cour de cassation rejette la demande de résiliation judiciaire formée par un salarié, en considérant qu’une absence de visite médicale de reprise procédait d’une erreur des services administratifs de l’employeur – qui n’avait pas été commise lors des précédents arrêts de travail – et qui n’avait pas empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs mois.
Il s’agit, dans ce deuxième cas, d’une solution inédite dans la mesure où la Jurisprudence considérait jusqu’alors que la méconnaissance par l’employeur de son "obligation de sécurité de résultat" en matière de visite médicale, justifiait une prise d’acte ou une résiliation judiciaire par le salarié, sans considération de l’ancienneté de l’infraction (Notamment Cass. soc. 22 septembre 2011, n°10-13.568).
En définitive, il est probable sinon certain que la Cour Suprême sera encore amenée à approfondir sinon à élargir son analyse.
A l’instar du fût du canon mettant "un certain temps" à refroidir, on est en droit en effet de s’interroger sur le "temps" qui conditionnerait la réactivité du salarié face à des faits fautifs de l’employeur quand bien même leur degré de gravité contrarierait "à terme" la poursuite du contrat.
De surcroit, l’avenir dira si cette solution doit être étendue aux affaires rendues en matière de harcèlement moral sur le fondement du manquement à "l’obligation de sécurité de résultat" alors que la loi fait référence à une notion "d’agissements répétés de harcèlement moral" qui, par définition, induisent un nécessaire étalement dans le temps.
Pierre-Damien Venton et Dominique Barthès, de SCP Degroux Brugere & Associés.