Indemnisation du préjudice d’anxiété en cas de transfert du contrat de travail : quel risque pour le nouvel employeur ?

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La Chambre sociale de la Cour de cassation continue son œuvre jurisprudentielle pour préciser dans tous ses aspects les règles applicables au préjudice d’anxiété. En cas de transfert du contrat de travail, l’action en réparation du préjudice d’anxiété peut être dirigée contre le nouvel employeur même si celui-ci n’a jamais exposé le salarié au risque (Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 22-10.589 et autres). Explications par Marie Albertini, Avocate associée et Yana Smith, Avocate, PDGB

Un nouveau risque pour l’employeur qui n’a pourtant jamais exposé le salarié

Le préjudice d’anxiéténait pour un salarié éligible à l’ACAATA (Allocation de Cessation Anticipée d’Activité des Travailleurs de l’Amiante), au jour où celui-ci a connaissance de l’arrêté ministériel d’inscription du site où il a travaillé sur la liste des établissements y ouvrant droit (Cass.soc., 2 juillet 2014, n°12-29.788) .

Cet arrêté peut intervenir postérieurement à la cession de l’établissement faisant l’objet de l’inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA.

C’est l’hypothèse des affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 11 octobre 2023. Des salariés éligibles à l’ACAATA, en raison de l’inscription de l’établissement de leur ancien employeur sur la liste y ouvrant droit, cherchaient à obtenir une indemnisation de leur préjudice d’anxiété auprès de leur nouvel employeur

La question était donc de déterminer à quelle date la créance résultant du préjudice d’anxiété était née et, en conséquence, quel employeur était tenu d’indemniser les salariés.

Après avoir été déboutés en première instance et en appel par un arrêt du 10 novembre 2016 de la Cour d’appel de Dijon, les salariés avaient obtenu un premier arrêt du 5 avril 2018 de la Cour de cassation jugeant que le préjudice d’anxiété « ne constituait pas une créance due à la date de la modification de la situation juridique de l’employeur » (Cass. Soc., 5 avril 2018 17-10.402 et autres).

Toutefois, la Cour d’appel de Bourges, saisie après cassation, avait à nouveau relevé, par un arrêt du 17 janvier 2020, que le nouvel employeur avait repris les contrats de travail des salariés le 1er janvier 2007 à l’issue d’un plan de cession partiel d’une branche d’activité d’une société en redressement judiciaire, qu’il n’avait jamais été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA et n’employait pas les salariés pendant la période visée par l’arrêté en date du 28 avril 2010. Elle en avait retenu que « nonobstant le fait que le préjudice d’anxiété est né postérieurement » au transfert du contrat de travail, il ne pouvait être présumé imputable au dernier employeur non inscrit sur la liste.

La Cour de cassation, par son arrêt du 11 octobre 2023, censure cette solution en retenant d’une part que les salariés avaient travaillé dans un établissement inscrit sur la liste par un arrêté du 28 avril 2010 et d’autre part que les contrats de travail avaient été transférés le 1er janvier 2007, soit antérieurement à l’arrêté ministériel, « ce dont il se déduisait que la créance résultant du préjudice invoqué était née postérieurement au transfert des contrats de travail ».

Les salariés sont donc autorisés à exercer une action en réparation de leur préjudice d’anxiété contre leur nouvel employeur.

Une solution favorable aux salariés, vectrice d’insécurité pour les entreprises

La solution apparait favorable aux salariés qui peuvent agir contre leur nouvel employeur, leur droit à réparation n’étant pas altéré par le transfert du contrat de travail avant la naissance du préjudice d’anxiété, et se trouve même renforcé puisqu’ils peuvent choisir de diriger leur action contre l’entreprise la plus solvable.

Les entreprises, dont le risque financier est alourdi, devront anticiper la potentielle inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA, après transfert des contrats de travaild’un établissement acquis antérieurement et, par voie de conséquence, leur risque de condamnation à réparer le préjudice d’anxiété des salariés transférés.

La charge financière peut s’avérer lourde, d’autant que la Cour de cassation a déjà jugé que le dernier employeur ne peut pas agir contre l’ancien pour obtenir le remboursement des indemnités versées au titre du préjudice d’anxiété au motif que si le transfert intervient antérieurement à la naissance du préjudice, la créance en résultant ne constitue pas une créance due la date de la modification juridique de l’employeur (Cass.soc., 22 novembre 2017, n°16-20.666).

Rappelons toutefois que les entreprises peuvent être couvertes par leurs contrats d’assurance de responsabilité civile. En effet, par un arrêt du 15 décembre 2022 la Cour de cassation (Cass. 2èciv. n°21-16.682) s’est prononcée sur l’identification de l’évènement déterminant la garantie de l’assureur de responsabilité civile. Elle a jugé que le fait dommageable, dans les rapports entre l’assuré garanti au titre de la RC et son assureur, est constitué par l’exposition à l’amiante, et non par la connaissance par le salarié de cette exposition ou l’inscription de l’entreprise sur la liste des établissements relevant de l’ACAATA.

Marie Albertini, Avocate associée et Yana Smith, Avocate, PDGB


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