Les conséquences du nouveau différé d’indemnisation pour les entreprises

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Anna-Christina Chaves, Associée, Stehlin & AssociésLe nouveau différé d’indemnisation qui s'appliquera aux demandeurs d'emploi dont le contrat de travail prend fin (préavis compris) après le 30 juin 2014 aura nécessairement un impact sur les entreprises, notamment dans le cadre des discussions relatives à la conclusion de ruptures conventionnelles ou de transactions.

Pour rappel, lorsque le salarié dont le contrat de travail est rompu s’inscrit au Pôle Emploi, il doit attendre un certain délai avant de percevoir des allocations chômages : un premier délai automatique de 7 jours applicable à tous les demandeurs d’emploi, un second délai éventuellement applicable selon le nombre de congés payés non pris et payés en fin de contrat (le différé "congés payés") et enfin, un troisième délai applicable si le salarié a perçu des indemnités supérieures à ce que prévoit la loi (le "différé d’indemnisation").

Aujourd’hui, ce différé d’indemnisation ne peut excéder 75 jours. Pour le calculer, il faut diviser le montant des indemnités obtenues par le salaire journalier de référence (SJR).

La nouvelle convention d’assurance chômage conclue le 14 mai 2014 et signée par le Medef, la CGPME et l’UPA côté patronal et par la CFDT, la CFTC et FO côté syndical prévoit en son article 21:

  • La modification du mode de calcul du différé d’indemnisation.  A partir du 1er juillet 2014, il faudra dans tous les cas diviser le montant des indemnités obtenues par 90 (au lieu du SJR) ;
  • L’augmentation du plafond du différé d’indemnisation. A partir du 1er juillet, il passera de 75 jours (2,5 mois) à 180 jours (6 mois).

Le plafond de 180 jours est atteint dès qu’un salarié reçoit la somme de 16 200 euros à titre d’indemnités supra légales dans le cadre d’un licenciement ou d’une rupture conventionnelle.

Ces nouvelles règles ne s’appliqueront pas en cas de licenciement économique (le différé maximum restant de 75 jours) et aux intermittents du spectacle. Elles joueront en revanche pour :

  • toutes les indemnités de licenciement supérieures à l’indemnité légale versées suite à un licenciement pour un motif personnel ;
  • les indemnités transactionnelles ;
  • les indemnités de rupture conventionnelle.

Présentée comme une mesure d’économie pour le Pôle Emploi, ce nouveau différé d’indemnisation aura nécessairement des conséquences pour l’entreprise, parmi lesquelles :

  • Une probable tension sur les négociations entre le salarié et son employeur dans le cadre d’un départ négocié. Le salarié pourrait en effet négocier à la hausse le montant des indemnités  conventionnelles ou transactionnelles pour que le nouveau différé d’indemnisation soit pris en charge par l’employeur.
  • Un potentiel impact sur le motif de licenciement qui pourrait être invoqué : le salarié pourrait en effet tenter de négocier un licenciement économique pour contourner ce nouveau différé d’indemnisation. En allant plus loin, cette nouvelle mesure pourrait  dès lors avoir un impact direct sur le nombre de contrats de sécurisation professionnelle (CSP) conclus et ainsi produire l’effet inverse de celui escompté -puisque le CSP permet au salarié de bénéficier d’une indemnisation à hauteur de 80% de son salaire pendant 12 mois au lieu de 57%.
  • Cette nouvelle mesure emportera en outre nécessairement des conséquences sur les contentieux prud’homaux, tant en termes d’intérêt à agir pour le salarié qu’en termes de chefs de demandes.

Il est ainsi évident que cette mesure va concerner tous les salariés qui négocient une indemnité supra légale dans le cadre d’une rupture conventionnelle ou d’une transaction mais également les salariés qui obtiennent des indemnités dans le cadre d’un contentieux,prud’homal. En pratique néanmoins, cette mesure devrait concerner principalement des cadres pour lesquels le plafond de 16 200 € d’indemnités supra-légales est facilement atteint.

Ce nouveau différé d’indemnisation s’inscrit dans la lignée des dispositions prises ces dernières années qui ont eu pour effet de limiter le montant net des indemnités supra-légales versées aux salariés puisqu’elles sont désormais soumises à cotisations sociales dès lors qu’elles dépassent 75 096 euros (2 PASS). Il fait en outre échos à l’article L.1235-4 du Code du travail qui prévoyait déjà le remboursement par l’employeur des allocations de chômage (dans la limite de 6 mois) en cas de licenciement reconnu sans cause réelle et sérieuse par le juge.

Mais, sous couvert d’être une mesure d’économie, ce nouveau différé d’indemnisation ne transforme-t-il pas la nature même des prestations chômage ?  En effet, les sommes versées en réparation d’un préjudice lié à la rupture d’un contrat de travail viendraient à présent suppléer des prestations dont l’objectif premier est de pallier la privation d’emploi. Pour rappel, ces prestations correspondaient jusqu’alors à un droit financé par les cotisations préalablement versées…   


Anna-Christina Chaves, Associée, Stehlin & Associés


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