Le référendum en question

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Tribune de Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en droit public. Titulaire de la Chaire Jean Monnet Université de Limoges.

Depuis déjà quelque temps, il est régulièrement question de renouer avec la pratique du référendum, dont le dernier remonte en effet à près de vingt ans[1]. Certains proposent même d’en élargir la portée et de permettre aux citoyens d’en prendre seuls l’initiative, en vertu du principe selon lequel « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifié est nulle » (Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social).

Même si le référendum permet au peuple de s’exprimer directement et souverainement sur une question souvent essentielle[2], il n’est pourtant pas sans danger.

I- Il en existe plusieurs types, qu’il s’agisse du « référendum d’initiative populaire » (ou « citoyenne ») ou du « référendum d'initiative partagée ».

Le « référendum d’initiative populaire » (ou « citoyenne ») se présente sous différentes formes dans de nombreux pays (Suisse, Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie, Etats-Unis), sans qu’il soit d’ailleurs forcément prévu par la Constitution. Il peut aussi être organisé au niveau local, régional, national ou fédéral, à l'initiative d'un nombre plus ou moins important de citoyens et peut le plus souvent porter sur n’importe quel type de sujet. Ce type de consultation, caractéristique essentielle de la « démocratie directe », est de plus en plus populaire depuis déjà une vingtaine d’années dans la plupart des États membres de l’UE, comme en France,où le RIP est plébiscité par près de 75 % des citoyens. Il était l’une des principales revendications des « Gilets jaunes », dès le début de leur mouvement en octobre 2018[3], et d’une manière générale de tous les populistes[4].

Le « référendum d’initiative partagée »permet d’associer une partie plus ou moins importante de parlementaires, mais également de citoyens à son organisation, sans avoir pour autant à passer par un vote majoritaire des deux assemblées. Ainsi, en France, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (applicable depuis le 1ᵉʳ janvier 2015) permet-elle de convoquer un référendum à l’initiative « d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales », soit environ 4,7 millions de signatures (Constitution art.11, al.3). Il ne pourra toutefois porter que sur certaines propositions de loi (organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent). Le « référendum d’initiative partagée »n’a pourtant encore jamais été appliqué, en raison de la complexité de la procédure[5], malgré l’existence d’un site Internet destiné à soutenir les éventuelles propositions.

Le référendum peut enfin se limiter à une seule question, à laquelle il n’est possible de répondre que par oui ou par non, ou en comporter plusieurs, avec parfois une ou plusieurs possibilités de choix pour chacune.

Il peut être consultatif ou décisionnaire.

Sa tenue peut enfin dépendre d’un minimum de signatures(50 000 signatures) ou être obligatoire pour plusieurs sujets, comme en Suisse pour réviser la Constitution ou adhérer à certaines organisations internationales (Constitution, art. 140).

Il n’en reste pas moins quel e référendum, quelle qu’en puisse être la forme, constitue un procédé dont les inconvénients l’emportent bien souvent sur les avantages.

II - Il constitue en effet d’abord un puissant facteur de division de la société, en provoquant inévitablement la formation de deux camps opposés et apparemment irréductibles, avec d’un côté les partisans du oui et de l’autre ceux du non, lesquels ne disposent malheureusement pas d’autre choix, d’autant qu’il semble toujours difficile de revenir sur les décisions qui en découlent. 

Il aboutit ensuite à simplifier, tant la formulation que la réponse à la question posée, dont la complexité ou la technicité peut parfois demander des compétences particulières, que ne possèdent naturellement pas la très grande majorité des électeurs, dont la versatilité n’est pas non plus à démontrer. Il est donc l’occasion de manipulations de toutes sortes de l’opinion publique, tout particulièrement depuis la multiplication des réseaux sociaux, qui n’hésitent pas à diffuser des « fake-news » et dont certains sont plus ou moins directement influencés par des gouvernements étrangers.

Le référendum peut parfois donner lieu à de très forts taux d’abstention, surtout lorsque la question n’est pas bien comprise, comme lors de celui du 24 septembre 2000 sur la réduction du mandat présidentiel, dont la portée ne semblait pas évidente (69,8 % d’abstentions et 4,9 % de bulletins blancs ou nuls !).

L’histoire a montré qu’un référendum est souvent synonyme de plébiscite[6], quand les électeurs se prononcent pour ou contre la personne de celui qui a posé la question, comme ce fut toujours le cas avec le général de Gaulle, qui choisit de démissionner, le 28 avril 1969, après l’échec du référendum du 27 avril 1969.

Le peuple n’est pas toujours non plus en phase avec l’évolution de la société et peut même parfois constituer un obstacle à tout changement. Si les Français (67 % se déclaraient alors favorables à la peine de mort) avaient été consultés à propos de son abolition, ils auraient été très nombreux à se prononcer contre la décision du président Mitterrand de la supprimer (9 octobre 1981). Comme le fait très justement remarquer Romain Rambaud, professeur de droit public, l’impact du référendum sur les droits de l’homme reste discutable, comme lorsqu’il porte sur le refus du mariage homosexuel (Croatie en 2013 et Slovénie en 2015), ou sur les droits des aborigènes (Australie en 2023)[7]

Il est vrai que ce mode de votation fait beaucoup plus souvent appel à l’émotion[8], à l’affectif ou au ressentiment, qu’à la raison et à la réflexion, comme on a pu le voir à l’occasion du Brexit...

Le référendum procède donc trop souvent, à de rares exceptions près (cas particulier de la Suisse), plus de la démagogie que de la véritable démocratie. Il constitue donc un instrument, qu’il ne faut bien sûr pas écarter, mais qu’il convient d’utiliser avec la plus grande prudence.

Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en droit public. Titulaire de la Chaire Jean Monnet Université de Limoges.

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[1]Depuis les débuts de la Vᵉ République (8 janvier 1959), le peuple a été consulté à neuf reprises, entre 1961 (8 janvier 1961, autodétermination de l’Algérie) et 2005 (29 mai 2005, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, rejeté par près de 55% des électeurs).

[2]La Constitution du 24 juin 1793 (jamais appliquée), adoptée à l’issue d’une procédure référendaire, avait été la première à institutionnaliser le référendum (art. 59).  Le Général de Gaulle, particulièrement méfiant, tant à l’égard des partis politiques que du Parlement, l’avait inscrite dans la Constitution du 4 octobre 1958 (art. 11 et 89), laquelle avait d’ailleurs été ratifiée par le référendum du 28 septembre 1958.

[3] Les référendums d'initiative citoyenne (RIC CARL), qu’ils souhaitaient mettre en place, étaient au nombre de quatre : constitutionnel (modification de la Constitution), abrogatif (abrogation ou non application d’une loi), révocatoire (retirer le mandat d’un élu) et législatif (proposition de loi).

[4]cf. Jean-Louis Clergerie, Populisme(s) : attention danger, L’Harmattan, 2024, p.108 à 113.

[5]Le 26 mars 2020, le Conseil constitutionnel a constaté, qu'avec 1 093 030 soutiens, la proposition de loi visant à modifier le statut des aéroports de Paris (ADP) était bien loin d’atteindre les 4,7 millions de soutiens nécessaires.

[6]Du latin « plebs » à savoir plèbe ou peuple et « scitum », décision ou décret.

[7]Romain Rambaud, Extension du référendum aux sujets de société : quelles conséquences possibles ? Le Club des Juristes, 16 novembre 2023.

[8] 50% des Français avouent ainsi fonder leurs prises de position sur leurs émotions, cf. à ce propos, Stewart Chau, L’opinion des émotions, L’Aube-Fondation Jean-Jaurès, 2022.


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