L'action intentée par les héritiers d'artistes, afin de récupérer les oeuvres en dépôt chez un galeriste, est une action en revendication (et non une action en restitution) imprescriptible à laquelle le droit des procédures collectives ne peut faire obstacle.
Un marchand d'art détient une galerie exploitée par une société dont il est le gérant. Cette société a été placée en liquidation judiciaire et la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif a été prononcée en 1995.
Deux dessinateurs, décédés lors de l'attentat terroriste qui a frappé la rédaction du journal Charlie Hebdo, y ont vu leurs oeuvres exposées.
Le marchand d'art a confié à une société de ventes aux enchères des oeuvres des deux dessinateurs décédés.
Leurs héritiers des dessinateurs se sont opposé à la vente des dessins et ont réclamé la restitution des oeuvres.
Faisant valoir que les ayants droit ont commis une faute en contestant son droit de propriété sur les oeuvres qui devaient être vendues aux enchères sans aucun élément de preuve, le marchand d'art a fait assigner les héritiers aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Dans un arrêt du 23 avril 2024 (RG n° 21/02616), la cour d'appel de Paris donne raison aux héritiers, jugeant leur action imprescriptible et que le droit des procédures collectives ne peut faire obstacle à l’action en revendication des propriétaires.
Concernant la prescription applicable
L'action en revendication a été définie par la jurisprudence comme celle par laquelle le demandeur, invoquant sa qualité de propriétaire, réclame à celui qui le détient, la restitution d'un bien.
L'action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière distincte de l'action en revendication, de sorte qu'elle est soumise à la prescription civile de droit commun relative aux actions personnelles ou mobilières (prescription de cinq ans).
Les intimés exercent une action en revendication des oeuvres et non une action en restitution sur le fondement d'un contrat de dépôt au profit de la société exploitant la galerie, lequel n'est invoqué que pour soutenir le caractère précaire de la possession du marchand d'art qui revendique la propriété de ces mêmes oeuvres au titre de la prescription acquisitive.
Il s'en déduit que les articles 2224 et 2232 du code civil invoqués ne sont pas applicables à l'action en revendication d'oeuvres des intimés laquelle est imprescriptible.
Concernant la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action fondée sur l'article L. 624-9 du code de commerce
La Cour de cassation a jugé que la sanction de l'absence de revendication par le propriétaire d'un bien dans le délai prévu par l'article L. 624-9 du code de commerce ne consiste pas à transférer ce bien non revendiqué dans le patrimoine du débiteur mais à rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective.
L'article 115 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 applicable à la procédure collective de la société exploitant la galerie ouverte en 1995 était formulé dans les mêmes termes que l'article L. 624-9 du code de commerce issu de la loi n° 2005-585 du 26 juillet 2005 entrée en vigueur le 1er janvier 2006.
L'absence de revendication des oeuvres par les trois dessinateurs n'a pas eu pour effet de les transférer dans le patrimoine de la société liquidée mais seulement de rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective.
Cette inopposabilité est sans incidence sur l'action en revendication exercée par les ayants droit jugée imprescriptible par la cour.