A l’occasion de la Convention nationale des avocats qui se déroule actuellement à Bordeaux et Libourne, 5.600 avocats échangent sur les mutations profondes qui bouleversent la profession, envisagent l’avenir avec la conviction qu’il faut investir de nouveaux marchés et devenir des avocats augmentés.
La Convention nationale des avocats a pour thème les « nouvelles stratégies des avocats » à l’aune des changements qui affectent la profession. « Nous partirons de cette convention différents » a affirmé Pascal Eydoux, Président du CNB. « Il n’y a pas un avocat qui ignore ce qui va se produire ». Pour Virginie Calmes, première adjointe au maire de Bordeaux, la profession est armée face à ces défis car elle est « actrice de son propre changement ». « Vous avez décidé de ne pas subir ». « Personne n’est mieux placé que vous pour répondre à l’avenir. Aller contre c’est aller à contre-courant, lutter contre le sens de l’histoire. La clé réside donc dans le fait d’accompagner ce changement et de le construire », a affirmé la maire adjointe de Bordeaux.
Les métiers ne vont pas disparaître, les tâches vont changer
Contrairement aux conclusions de certaines études, Pascal Picq, paléontologue, a affirmé que les métiers n’allaient pas disparaître. Selon lui, ce sont les tâches qui vont changer. Il faut donc que les avocats soient attentifs à deux choses.
Tout d'abord, une partie des tâches ne sera plus exécutée par des avocats : tout le travail de recherche de jurisprudence ou de recherches de données. Ce travail est déjà ou sera mieux fait par l'intelligence artificielle, les chatbots ou autres cobots (robots collaboratifs) comme Pepper qui travaille depuis 2 ans au cabinet d’Alain Bensoussan et qui est capable aussi bien de présenter le cabinet que de trouver une jurisprudence relative à la protection des ordinateurs et l’originalité. « Il comprend, il apprend, il mémorise mais surtout il acquiert une expérience » explique Alain Bensoussan.
Cependant, il ne faut pas craindre Pepper ou les autres types d'intelligences car les robots ne font que des choses pour lesquels ils ont été programmés.
Ensuite, il faut regarder les domaines où « l'on a besoin de vos compétences » dans ce nouveau monde parce que cet « espace digital darwinien a besoin du droit ».
Les métiers vont s’ouvrir et vont exiger des multicompétences. C'est une bonne nouvelle à condition d'être acteur dans ce monde prévient le paléontologue sinon d'autres acteurs arriveront. «Les domaines d’activité qui n’auront pas fait leur transition d’ici 2020 seront ubérisés » avance Pascal Picq.
Stratégie, nouveaux marchés et relation client
Quels sont alors les chemins à emprunter pour la profession ?
Christiane Féral-Schuhl, ancien bâtonnier de Paris, estime que le terme « ubérisation » est excessif et parle plutôt de « mutations profondes ». « Il faut adapter un véritable stratégie pour occuper le terrain et ne pas se laisser dépasser ». L'avocat ne peut plus exercer comme avant sinon « il restera à la traîne ». Aussi, « il va falloir devenir des avocats augmentés ». Il faut accompagner le mouvement des legaltechs et investir des champs entiers où les avocats sont absents comme la cybersécurité précise l'ancien bâtonnier de Paris.
Pour Bruno Deffains, professeur en sciences économiques à Paris 2, il ne faut pas oublier l’essentiel : « tout se joue au niveau de la relation client ».
Christiane-Féral Schuhl abonde dans ce sens, estimant que le client souhaite avoir un interlocuteur qui parle comme lui, échange comme lui, maîtrise comme lui un certain nombre d'outils.
Il ne faut pas non plus d’oublier d’avoir une stratégie globale incluant notamment les réseaux sociaux, insiste Pierre Berlioz. Il ajoute également qu'il ne faut pas bloquer les innovations tout en évitant les dérives.
« Dans cette économie de la connaissance ce qui est important c'est l'alliance des intelligences, la co-construction »
Une autre voie possible est celle des de l'exploitation des données de jurisprudence. « Si on avait la possibilité de rassembler toutes les décisions, de mettre en place une anonymisation et de créer nous-mêmes notre centre d'informations », explique Christiane Féral-Schuhl. Les avocats disposeraient alors de données « pétrole ». La création de ces bases de données donnerait un avantage compétitif selon l'ancien bâtonnier de Paris.
Pierre Berlioz, professeur de droit et ancien conseiller du garde des Sceaux, considère qu'il faut être dans une alliance des compétences pour pouvoir réaliser cela car « dans cette économie de la connaissance ce qui est important c'est l'alliance des intelligences, la co-construction. C'est arriver à allier des compétences complémentaires de façon à obtenir cette prestation supplémentaire. »
Le ministère de la Justice sera aux côtés des avocats
Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a clôturé la plénière en indiquant que le ministère de la Justice serait aux côtés des avocats pour les accompagner dans cette période de mutations profondes. « Internet est une vraie révolution dans la pratique judiciaire et dans (...) le marché du droit ».
« Je souhaite avancer de manière concertée et constructive avec tous les acteurs de cet écosystème : les professionnels du droit - et donc les avocats »
Elle a notamment fait observer que « la legaltech connaît aujourd'hui ses premiers développements. Les premières start-up du droit émergent et commencent à s'imposer.» Nicole Belloubett souhaite avancer de « manière concertée et constructive » avec tous les acteurs de cet écosystème : les professionnels du droit - et donc les avocats - en particulier sur le big data et les enjeux de l'ouverture des données de jurisprudence.
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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