L'Union des Jeunes Avocats (UJA) de Paris propose d'amender les articles 12 et 13 du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi adopté le 9 avril 2013 à l’Assemblée Nationale qui est venu modifier le périmètre d’intervention des avocats.
La déontologie des avocats apporte au public des garanties essentielles dont il ne saurait être privé. Pourtant, les avocats sont sans cesse attaqués dans leurs prérogatives, missions et même dans leur dignité.
Nous venions de fêter le triste anniversaire du Décret Passerelle qui permettrait à toute personne justifiant de 8 années de représentation publique en rapport avec l’élaboration de la loi de devenir avocat sans condition de diplôme, de formation et d’expérience juridique et déontologique.
Son abrogation ce jour pourrait laisser penser que les pouvoirs publics ont enfin compris la nature de la mission sociale confiée aux avocats et pris la mesure de l’importance des garanties que leur formation et leurs règles déontologiques apportent au public.
Les déclarations et accusations à peine voilées du gouvernement montrent qu’il n’en est rien. Aujourd’hui, en France, l’avocat est présumé complice de son client et coupable a priori de conflits d’intérêt… surtout lorsqu’il est avocat "d’affaires". Brûlons-le sur l’autel de la moralisation…
Pourtant, rappelons-le, la profession de l’avocat est celle encadrée par les règles déontologiques les plus dures dans le droit français. Elles sont les mêmes pour tous les avocats, quel que soit leur mode d’exercice et domaine d’activité. Elles protègent efficacement les justiciables contre les conflits d’intérêts dont l’identification et le parfait traitement par les instances professionnelles est incontesté.
Dans le même temps politique, alors que les pouvoirs publics prétendent protéger l’intérêt du justiciable, plusieurs projets de loi en cours d’examen et décrets le prive des garanties qu’apporte le recours à un avocat.
Ainsi, le projet de loi consommation du ministère de l’économie crée des actions de groupe et en attribue l’exercice aux seules associations de consommateur à l’exclusion des avocats… pourtant garants du droit et de la procédure devant des juridictions où la représentation par avocat est obligatoire, en droit. Les consommateurs justiciables sont ainsi privés de garanties aussi essentielles que le libre choix de leur conseil et la possibilité d’engager la responsabilité de celui-ci…
Le Décret 2012-1515 du 28 décembre 2012 portant diverses dispositions relatives à la procédure civile et à l'organisation judiciaire avait déjà introduit l’injonction de payer devant le Tribunal de Grande Instance en créant une première … exception au monopole de représentation des avocats devant cette juridiction.
Plus récemment encore, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 9 avril 2013, le projet de Loi relatif à la Sécurisation de l'emploi, projet qui comporte deux atteintes gravissimes au périmètre d’intervention de l’avocat tel que fixé par la Loi du 31 décembre 1971.
Ce projet prévoit en son article 12 que :
Article 12
I. - Le titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L'intitulé est ainsi rédigé : "Maintien et sauvegarde de l'emploi" ; 2° Il est ajouté un chapitre V ainsi rédigé :
"Chapitre V
"Accords de maintien de l'emploi
(…)
"Un expert-comptable peut être mandaté par le comité d'entreprise pour accompagner les organisations syndicales dans l'analyse du diagnostic et dans la négociation, dans les conditions prévues à l'article L. 2325-35."
Une disposition similaire est ajoutée par deux fois s’agissant des accords relatifs aux mesures du Plan de Sauvegarde de l’Emploi au sein de l’article 13 du même projet de loi :
Article 13
(…)
V. – L’article L. 1233-34 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
"Le comité peut également mandater un expert-comptable afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour mener la négociation prévue à l’article L. 1233-24-1."
(….)
XXVIII. – L’article L. 2325-35 du même code est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée la mention :
"I. –" ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
"II. – Le comité peut également mandater un expert-comptable afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations prévues aux articles L. 5125-1 et L. 1233-24-1. Dans ce dernier cas, l’expert est le même que celui désigné en application du 5° du I."
(...)"
Ces textes permettraient donc aux experts-comptables – expressément visés ! - d’ "assister" les organisations syndicales "dans la négociation" des accords portant sur le maintien de l'emploi et sur les mesures du Plan de Sauvegarde de l’Emploi.
La possibilité pour le Comité d’entreprise de se faire assister d'un expert-comptable pour l'analyse le diagnostic économique en cas d’accord sur le maintien de l’emploi se conçoit bien, à l’image de l’assistance économique et financière dont le Comité bénéficie de longue date dans le cadre des procédures de licenciement pour motif économique et plans de sauvegarde de l’emploi.
En revanche, l’assistance accordée aux organisations syndicales, décidée par le Comité d’entreprise, "dans la négociation" même des accords sur le maintien de l’emploi (article 12) ou "pour mener la négociation" et "pour préparer la négociation" des accords sur les mesures du Plan de Sauvegarde de l’emploi (article 13), est très discutable.
Elle étend le champ d'intervention des experts-comptables sur un terrain purement juridique. Jamais auparavant les organisations syndicales (1) n’ont bénéficié d’une assistance juridique financée par l’entreprise de quelque nature et jamais auparavant les représentants du personnel n’ont bénéficié d’une assistance à la négociation.
Outre que ledit expert-comptable, conseil des organisations syndicales pour la négociation, sera rémunéré par l’entreprise ; ce qui laisse peu de doute sur le choix que pourraient faire Comités d’entreprise et Organisations syndicales entre un professionnel du droit, à qui il faudrait payer des honoraires, et un professionnel du chiffre, qui ne couterait rien…
Ce projet de loi créée donc purement et simplement des missions exclusivement juridiques réservées aux experts-comptables sans qu’un avocat ait quelque possibilité que ce soit de faire valoir sa compétence pour espérer convaincre les représentants du personnel d’avoir recours à ses services.
Les instances de notre profession doivent impérativement intervenir de manière coordonnée et sans plus de délai pour faire veiller au respect de la Loi de 1971 et au périmètre des missions juridiques. Ce, dans l’intérêt du public avant tout !
Le principe d’une assistance juridique exclusivement ouverte aux experts-comptables emporterait, en effet, extension de leur profession à des missions juridiques par nature (et non plus seulement par accessoire) sans que soit accordé au public le bénéfice des garanties et protections qu’apportent les compétences et la déontologie des avocats.
L’UJA a alerté les représentants de la profession d’avocat et a saisi les parlementaires sur l’urgente nécessité d’un amendement du projet de loi sur ce point.
Yves (2) a froid…
Le Bureau de l’UJA : Massimo BUCALOSSI, Leila HAMZAOUI, Léonore BOCQUILLON, Jérôme MARTIN, Valence BORGIA, Emmanuelle CLEMENT
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NOTES
1. L'article L. 2325-35 du Code du Travail auquel se réfère l'article 12 auquel renvoie l’article 13 vise les cas dans lesquels le Comité d’entreprise peut se faire "assister", d’un expert-comptable mais pas les organisations syndicales.