Gaëlle Le Breton : « Les entreprises doivent se livrer à un délicat jeu d'équilibre entre prévention, obligation de sécurité et nécessité de maintenir l'activité » à propos du Coronavirus (Covid-19)

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Le Monde du Droit a interviewé Gaëlle Le Breton, avocate spécialiste en droit du travail exerçant au sein du cabinet Gowling WLG, pour avoir son éclairage vis-à-vis de la situation sur l'épidémie actuelle du Coronavirus (Covid-19) et ses implications en droit du travail.

L'employeur peut-il imposer le télétravail ?

« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés » (article L. 1222-11 du Code du travail)

L'employeur peut donc décider de manière unilatérale de placer un salarié en télétravail et sa mise en œuvre ne nécessite aucun formalisme particulier.

Le recours au télétravail constitue ainsi une mesure complémentaire de prévention et de protection des salariés tout en permettant une continuité de l'activité de l'entreprise. Mais encore faut-il que le poste du salarié se prête au télétravail ce qui sera plus le cas dans les secteurs tertiaires et qualifiés que dans d'autres où une présence physique sur le lieu de travail est indispensable. 

Pour les salariés éligibles au télétravail, ils devront disposer du matériel nécessaire. Sur ce point, les dernières grèves liées au mouvement contre la réforme des retraites ont déjà permis à certaines entreprises de s'organiser. Il ne faut pas non plus négliger les réunions téléphoniques et les vidéoconférences si le télétravail est développé à grande échelle afin de limiter au maximum l'isolement des salariés.

Quels moyens sont à la disposition d’un salarié qui estimerait que son employeur le met en danger ?

« Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation. » (article L. 4131-1 du Code du travail)

Ce droit de retrait est un droit individuel qui s'exerce par rapport à une situation précise, sur le lieu de travail et en lien avec le travail. L'appréciation du droit de retrait, et son éventuel abus, est examiné au cas par cas, en fonction du point de vue du salarié, au regard de ses connaissances et de son expérience. Une personne présentant des troubles respiratoires ou une femme enceinte ne seront nécessairement pas dans la même situation que les autres salariés. 

Reprenant une position constante depuis le plan national de prévention et de lutte "Pandémie grippale", le gouvernement précise qu'en « situation de crise, les possibilités de recours à l'exercice du droit de retrait sont fortement limitées, dès lors que l'employeur a pris les mesures de prévention et de protection nécessaires, conformes aux recommandations du gouvernement ». Reste à voir si le juge, lui, aura la même position en cas de contentieux (à l'initiative de l'employeur ou du salarié s'il a fait l'objet de retenues sur salaire). A notre connaissance, aucune jurisprudence ne s'est encore prononcée sur l'exercice d'un droit de retrait en cas d'épidémie. 

Une information régulière des salariés sur les mesures à déployer (gestes d'hygiène à adopter, limitations des déplacements professionnels dans les zones déclarées à risque, etc.) et un dialogue social de qualité permettront probablement d'éviter toute judiciarisation de ces questions.

Des entreprises pourront-elles être poursuivies si elles ne mettent pas en œuvre des actions de prévention suffisantes ?

L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il doit également veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

A défaut, la contamination d'un salarié pourrait être reconnue comme d'origine professionnelle. Dans un second temps, le salarié pourrait intenter une action en reconnaissance de la faute inexcusable. 

L'employeur ne doit pas non plus sous-estimer le risque psychologique de cette crise sanitaire, amplifié avec les réseaux sociaux et les messageries professionnelles qui permettent la propagation des rumeurs (un collègue suspect car il a été entendu en train de tousser) plus rapidement que le virus. 

Afin de limiter ces risques, il semble tout aussi important de conserver la preuve de ce qui aura été mis en place: factures des produits d'hygiène et équipements de protection, consignes écrites aux salariés et aux visiteurs, actualisation du document unique d'évaluation des risques professionnels, échanges avec les instances représentatives du personnel, augmentation de la fréquence des nettoyages des bureaux…

Propos recueillis par Raphaël Lichten

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