Amandine Clavaud, Directrice des Etudes et de l'Observatoire égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès, revient sur la forte régression des droits des femmes, particulièrement au sein des États de l’Union européenne, dans le contexte de la pandémie et des confinements successifs, qu’elle a analysé dans son ouvrage Droits des femmes : le grand recul sorti le 3 mars dernier.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’égalité femmes-hommes et au droit des femmes ?
La Fondation Jean-Jaurès est une fondation politique reconnue d'utilité publique.
Nous travaillons sur l'ensemble des thématiques de politique publique en réalisant des rapports mais aussi en organisant des événements. Nous collaborons avec des responsables politiques, des responsables institutionnels, des représentants de la société civile, des universitaires et des associations féministes sur les questions d’égalité femmes-hommes.
Nous réunissions ces personnalités afin de contribuer au débat public et d'alerter les pouvoirs publics. A l’issue de ces échanges, nous formulons des recommandations aux pouvoirs publics.
La Fondation traite de ces questions depuis sa création en 1992 par Pierre Mauroy.
Nous nous intéressons à toutes les thématiques qui touchent aux questions d'égalité femmes-hommes : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la défense des droits sexuels et reproductifs, la représentation des femmes dans les instances de décision, la parité, l’égalité professionnelle.
Pourquoi avoir écrit cet essai sur les droits des femmes ?
Pendant la pandémie, de nombreux rapports ont fait le constat d’une régression sur les différents sujets touchant à l’égalité femmes-hommes, y compris sur le continent européen.
Il m’a paru intéressant de montrer que la crise sanitaire a accentué la régression des droits des femmes au niveau mondial comme au niveau européen alors même que l’Union européenne était très avancée dans ce domaine.
Comment expliquez-vous ce phénomène de recul des droits des femmes pendant la crise sanitaire ?
Les inégalités entre les femmes et les hommes étaient déjà très importantes avant la crise sanitaire.
La crise sanitaire a eu un effet loupe sur les inégalités entre les femmes et les hommes.
Cette crise a eu un effet d’accélérateur des inégalités dans tous les domaines.
Cela s’est traduit par l’augmentation des violences conjugales et intrafamiliales.
L’accès à la contraception et le droit à l’IVG ont été entravés, les métiers du « care » à majorité féminins qui étaient pourtant en première ligne n’ont pas été valorisés.
Dans le même temps, le chômage, la précarité, la charge mentale ont été plus importants pour les femmes. Elles étaient également sous-représentées dans la gestion de crise.
Tous ces éléments montrent que les reculs ont été importants.
Ainsi, le Forum économique mondial indique que la crise sanitaire a fait perdre plusieurs générations de progrès en matière d’égalité femmes-hommes.
Quelles ont été les réponses apportées par les pouvoirs publics face à la situation que vous décrivez ?
Les États membres de l'Union européenne ont eu des réponses assez hétéroclites.
En ce qui concerne la question de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, 14 États membres ont adopté une nouvelle législation ou ont fait des amendements à leur législation existante pour justement répondre à cette augmentation exponentielle des violences conjugales.
Un certain nombre de choses ont été mises en place : campagnes de prévention, nouvelles modalités de signalement, par exemple sur des plateformes en ligne, par mail ou sur des applications. Cependant, force est de constater que malheureusement très peu d'États membres ont ouvert des places d'hébergement alors que la demande était très importante, ce qui montre bien les carences des pouvoirs publics en raison de l'absence de financement conséquent et d'une réponse concertée au niveau européen.
Si l’on regarde la question de l'accès à la contraception et de l'accès au droit à l'IVG, nous avons remarqué que les gouvernements conservateurs au sein de l'Union européenne ont instrumentalisé la crise sanitaire en considérant que les IVG étaient des interventions non essentielles. Cela a eu un effet dévastateur sur l'accès des femmes à l'IVG.
Ainsi, en Pologne, des tentatives pour réduire le droit à l'avortement se sont accélérées durant la crise sanitaire et ont abouti en janvier 2021.
Aujourd'hui, la législation polonaise est l’une des plus restrictives en termes d'accès à l'IVG au sein de l'Union européenne.
Qu’en est-il de la France ?
Pendant la crise sanitaire, les signalements ont augmenté de l'ordre de 40 % durant le premier confinement et de 60 % durant le second confinement. Il y a une demande conséquente de prise en charge de la part des femmes victimes de violences conjugales par le biais du numéro national d'urgence 39 19.
Plusieurs actions ont été menées par les pouvoirs publics pour aider les femmes victimes de violences.
Par exemple, des modalités de signalement ont été mises en place : le numéro 114 qui permettait aux femmes victimes de violences de le signaler par SMS, la plateforme « Arrêtons les violences » ou encore la possibilité de se rendre dans des pharmacies et de dire un mot code pour que les femmes puissent alerter sans être repérées.
Par ailleurs, s’agissant de l'accès à la pilule contraceptive en pharmacie et la contraception d'urgence, il était possible d’y recourir sans ordonnance.
Autre fait notable, le débat sur l'allongement de 12 à 14 semaines de grossesse du délai légal pour avoir recours à l'IVG, a été relancé. En effet, pendant la crise, la fermeture des frontières a empêché de nombreuses femmes à recourir à des IVG tardives, celles-ci ne pouvaient plus se rendre dans les pays frontaliers, en Espagne ou en Belgique. Cette situation a permis la réouverture du débat à l’Assemblée nationale sur l'allongement de ce délai qui a permis l’adoption d’une loi en mars 2022 et qui autorise l'avortement jusqu'à 14 semaines.
Comment mieux protéger les droits des femmes ? Est-ce qu’il faut constitutionnaliser certains droits comme le droit à l’IVG ?
Je pense qu’il faut avancer sur la question de la constitutionnalisation de l'IVG. Aujourd'hui, la majorité de la population est favorable à la constitutionnalisation de l'IVG.
Le processus parlementaire est lancé. Il faut aboutir à ce processus pour garantir davantage de droits pour les femmes. Cela enverrait aussi un signal à l'international assez important dans un contexte général où il y a un recul sur cette question, comme on a pu le voir aux États-Unis avec la Cour suprême qui est revenue sur l'arrêt Roe vs Wade et a révoqué le droit à l’IVG.
C’est aussi le cas en Europe comme je l’ai évoqué précédemment.
Est-ce que vous notez des progrès en matière d’égalité femmes-hommes ?
Le mouvement MeToo a contribué à une prise de conscience collective dans la société de l'ampleur des violences sexistes et sexuelles. En revanche, entre la prise de conscience et la réalité, il y a encore un pas. Aujourd'hui, il y a quand même 23 % des jeunes hommes de 18 à 24 ans qui considèrent qu'il faut avoir recours à la violence pour montrer dans la société que l’on est un homme. Par conséquent, il faut faire un travail d’éducation auprès de la jeunesse.
Je pense notamment à la question de l'éducation complète à la sexualité à l'école.
La loi du 4 juillet 2001 impose trois séances d'éducation complète à la sexualité durant la scolarité. Or, un certain nombre d'établissements ne mettent pas en place ces séances. Ces éléments sont pourtant absolument fondamentaux pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, et lutter contre les stéréotypes de genre.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)
Droits des femmes : le grand recul.
À l’épreuve de la crise sanitaire en Europe
Amandine Clavaud
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant. »
Dans cet ouvrage, Amandine Clavaud démontre combien cette célèbre citation de Simone de Beauvoir est malheureusement plus que jamais d’actualité. Dressant le bilan implacable de la forte régression des droits des femmes, particulièrement au sein des États de l’Union européenne, dans le contexte de la pandémie et des confinements successifs – explosion des violences conjugales et intrafamiliales, accès à la contraception et droit à l’avortement entravés, professions du care dévalorisées, sous-représentation dans les instances de décision... –, l’auteure analyse la portée des réponses des pouvoirs publics – quand ils ont voulu y faire face - et appelle à aller plus loin, en intégrant la dimension du genre dans la gestion des crises.
Informations pratiques :
« Droits des femmes : le grand recul », Amandine Clavaud
Éditeur : L’Aube / Fondation Jean-Jaurès
Nombre de pages : 79
Prix : 8,90€