Le niveau record des opérations de fusions & acquisitions de grande valeur enregistré l’année dernière a été ponctué par une interférence accrue des autorités de concurrence, partout dans le monde ; 20 opérations d’une valeur de plus de 60 milliards d’euros ont ainsi été abandonnées ou interdites selon le rapport Global Trends in Merger Control Enforcement d’Allen & Overy.
Selon ce rapport qui analyse l’activité de contrôle des fusions en 2015 dans 16 juridictions, 92 opérations ont nécessité des engagements : dans 38 cas, les engagements ont été acceptés durant la période d’examen initiale, mais dans la majorité des cas (54), les engagements ont été acceptés à l’issue d’enquêtes approfondies. L’un des facteurs grâce auxquels le nombre d’autorisations conditionnelles reste relativement bas réside dans le fait que les parties concernées par la fusion préfèrent de plus en plus se mettre d’accord de manière préventive sur des désinvestissements pour éviter ainsi la voie des engagements formels.
D’un point de vue sectoriel, c’est dans le domaine des télécommunications et des sciences de la vie que les fusions ont fait l’objet du taux d’intervention le plus élevé de la part des autorités de la concurrence par rapport au volume global des opérations dans ces secteurs.
Antonio Bavasso, co-responsable du pôle de compétence Antitrust / Droit de la concurrence d’Allen & Overy basé à Londres, a déclaré : “Dans le courant de l’année 2015, nous avons constaté que la confiance était au rendez-vous ce qui permet aux entreprises de s’engager dans des opérations stratégiques. C’est ce type de transaction qui, dans la plupart des cas, pose des problèmes antitrust et entraîne une réaction ferme de la part des autorités concernées.”
Le nombre de fusions visées par une enquête approfondie reste relativement faible par rapport au nombre total des opérations réalisées au cours d’une année donnée. Bien que les enjeux soient importants pour celles qui supposent des engagements ou se trouvent confrontées à une interdiction, il est encourageant de constater que toutes les enquêtes approfondies n’aboutissent pas à une intervention antitrust.
Au Royaume-Uni, six enquêtes approfondies sur sept ont été clôturées sans engagements, ce qui peut paraître surprenant lorsqu’on connaît la nature ‘volontaire’ du régime britannique. En Chine, seules deux décisions sur un total de 314 ont abouti à des engagements. Le même constat peut être fait dans plusieurs juridictions où la majorité des transactions a été autorisée de manière inconditionnelle dès la Phase 1.
L’on observe cependant une tendance inverse aux Etats-Unis et au sein de l’UE. Aux Etats-Unis, 25 enquêtes approfondies ont abouti à des engagements et une opération a avorté, alors que 16 opérations sujettes à des enquêtes approfondies se sont finalement soldées par des autorisations sans conditions. Au sein de l’Union européenne, sept opérations sur huit impliquant des enquêtes approfondies ont nécessité des engagements. Cela n’est guère surprenant étant donné la concentration de méga-fusions complexes qui ont eu lieu l’an dernier aux Etats-Unis et au rôle de la Commission européenne chargée d’enquêter sur les transactions les plus complexes en Europe.
L’on assiste actuellement à une évolution majeure en termes d’engagements imposés, les autorités se montrant en effet plus enclines à accepter des engagements de nature comportementale concernant la conduite à venir des parties impliquées dans l’opération - tels que l’octroi de licence d’une marque ou d’un actif, ou l’autorisation d’accès à un réseau. L’on voit également se multiplier des engagements hybrides associant désinvestissements structurels et engagements comportementaux. En 2015, 37 % des engagements ayant fait suite à des enquêtes approfondies impliquaient des engagements comportementaux, ou étaient des engagements hybrides.
Pour Elaine Johnston, co-reponsable du pôle de compétence Antitrust / Droit de la concurrence d’Allen & Overy basée à New York : “Alors qu’on assiste à une augmentation incontestable des engagements comportementaux de manière générale, les Etats-Unis semblent faire exception à la règle. Le législateur américain préfère en effet depuis toujours des engagements structurels, qui nécessitent moins de surveillance à long terme.”
Pour Florence Ninane, co-responsable du pôle de compétence Antitrust / Droit de la concurrence d’Allen & Overy à Paris : “En France, l’Autorité de la concurrence a su depuis plusieurs années déjà faire preuve d’un certain pragmatisme en acceptant dans plusieurs opérations majeures des engagements comportementaux ou hybrides.”
La complexité croissante des opérations allonge également de cinq à huit mois, et parfois plus, la durée des enquêtes approfondies. Dans un cas extrême survenu l’année dernière aux Etats-Unis, l’on a même compté 18 mois au total entre la notification et la conclusion du procès. Au sein de l’UE, certaines enquêtes officielles ont duré jusqu’à 8 mois, mais la durée effective était en réalité plus longue si l’on tient compte des discussions informelles initiales avec la Commission européenne. En France, dans les opérations les plus complexes, ces discussions informelles préalables à une notification peuvent prendre plusieurs mois, allongeant d’autant la durée de la procédure. En Chine en 2015, un cas a duré 8 mois depuis le dépôt de la demande mais les délais s’améliorent considérablement depuis quelques années.