Ce montant record s’explique par l’amende de 1,2 milliard d’euros infligée à Apple pour ententes au sein de son réseau de distribution et abus de dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs indépendants « premium ». Il s’agit de l’amende la plus élevée jamais prononcée par l’Autorité de la concurrence.
Le nombre d’amendes en lien avec des pratiques anti-concurrentielles (cartels, restrictions verticales et abus de position dominante) est en nette baisse par rapport à 2019. Néanmoins, il est complexe de tirer de ce constat des conclusions générales pour les années à venir. En effet, les obstacles aux procédures d’enquête résultant du contexte sanitaire international ont vraisemblablement contribué à ce recul. La hausse du nombre de perquisitions constatée en 2019 et le phénomène de rattrapage qui suivra l’allégement des restrictions sanitaires pourraient impacter le nombre d’opérations et leurs montants en 2021. C’est ce que révèle le rapport « Global antitrust enforcement report » publié par Allen & Overy sur la situation en 2020 de la lutte antitrust.
1. La France se distingue à travers une affaire d’envergure, a contrario de la Commission européenne
L’Autorité de la concurrence française occupe la première place des Autorités les plus sévères dans le monde en 2020 : elle a rendu 11 décisions pour un total d’1,8 milliard d’euros. Cette place s’explique par la forte amende de 1,2 milliard d’euros infligée à Apple en mars, qui gonfle le résultat global et masque certaines spécificités. En effet, le total des amendes imposées dans des affaires de cartels, qui correspondent à la majorité des décisions de l’Autorité, était d’environ 98 millions d’euros, soit un montant nettement inférieur aux 480 millions de 2019. Dans le cadre de la nouvelle loi EGALIM (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et pour une alimentation saine, durable et accessible à tous), l’Autorité de la concurrence est également intervenue dans deux affaires qui ont pu être réglées sans amendes.
La Commission européenne a quant à elle surpris : connue pour être l’une des institutions les plus agressives dans la répression des pratiques anticoncurrentielles, elle n’a imposé en 2020 qu’un total de 369,5 millions d’euros d’amendes, contre 1,5 milliard d’euros en 2019 et 801 millions en 2018. Cette forte baisse s’explique par l’absence d’affaires historiques d’envergure en 2020, contrairement à 2019 où la Commission a infligé une amende record de 1 milliard d’euros dans le cadre de l’entente « Forex ». C’est la première fois depuis 2015 qu’elle n’est pas en tête des autorités de concurrence les plus sévères en matière de répression des pratiques anticoncurrentielles.
2. La régulation des géants du numérique s’intensifie
Le secteur du numérique est en tête de liste des priorités des juridictions du monde entier, qui cherchent à mettre en place un cadre réglementaire nouveau. L’Union européenne a notamment dévoilé le 15 décembre dernier son projet de Règlement sur les marchés numériques qui encadrera les grandes plateformes digitales, les « gatekeepers ». Ces derniers devront respecter des règles spécifiques, portant notamment sur la collecte de données, l’interopérabilité ou la préférence accordée à leurs propres services. Des sanctions importantes pourraient s’appliquer en cas de non-respect de ces règles, allant de l’imposition d’amendes jusqu’à l’obligation de céder une partie de leur entreprise. Le Royaume-Uni a également préconisé un encadrement strict des géants du numérique, s’appuyant sur les recommandations données en décembre 2020 par la Digital Markets Taskforce, qui défend la mise en place d’un code de conduite contraignant, ainsi que des « interventions pro-concurrentielles », en imposant par exemple des séparations opérationnelles aux entreprises mises en cause. D’autres juridictions, comme l’Allemagne, le Mexique, la Chine ou la Corée du Sud réfléchissent également à mettre en place un cadre plus restrictif pour les GAFAM. D’autres affaires d’envergure, à l’instar de la décision de la France contre Apple, peuvent donc être anticipées dans le secteur du numérique dans les années à venir.
3. Les procédures négociées continuent de se développer à travers le monde
L’utilisation de procédures négociées est restée en 2020 la solution privilégiée pour traiter les affaires de cartels, dans la continuité des années précédentes. Les juridictions se sont également montrées disposées à accepter ces procédures dans d’autres types d’affaires, en particulier dans des secteurs où la réactivité est de mise, comme celui de la santé. Limitées au départ aux juridictions dotées de régimes antitrusts établis, ces procédures plus flexibles peuvent désormais s’observer à travers le monde : la Commission japonaise de la concurrence (JFTC) a approuvé 5 procédures d’engagements en 2020 et de nouvelles règles de procédures négociées sont à venir en Inde et en Turquie pour 2021. Des procédures de coopération entre les autorités de concurrence et les entreprises ont été constatées dans 55 % des décisions de cartels, 58 % des décisions d’ententes hors cartels et 66 % des décisions d’abus de position dominante. Ces procédures permettent d’éviter (ou de réduire) les amendes liées aux infractions constatées. Elles élargissent l’arsenal antitrust à disposition des différentes juridictions.
« La France s’est particulièrement distinguée en 2020 en termes de sanction des pratiques anticoncurrentielles, en infligeant à Apple l’amende la plus élevée jamais prononcée par l’Autorité de la concurrence dans une affaire. Il s’agit également de la sanction la plus importante jamais infligée à une seule et même entreprise. L’Autorité française a notamment justifié ce nouveau record par la « dimension extraordinaire » de l’entreprise américaine, envoyant ce faisant un message fort aux principaux acteurs du numérique, secteur dont elle fait désormais l’une de ses priorités. Apple ayant annoncé avoir fait appel de cette décision, il est probable que la Cour d’appel soit appelée à examiner la proportionnalité de cette amende », conclut Florence Ninane, responsable de la pratique antitrust d’Allen & Overy à Paris.