Deux décisions de justice récentes (Cour Administrative d’Appel de Paris, 14 décembre 2010, n° 09PA05846 et Tribunal Administratif de Paris, 27 mai 2009, n°04-16236) ont précisé le champ d’application territorial des taxes sur les salaires s’agissant des rémunérations versées à du personnel "expatrié". Cette solution inédite, favorable aux entreprises est à intégrer dans les politiques de mobilité des employeurs.Explications par Cédric Deschamps et Pierre Pasco, avocats, cabinet FIDAL.
En matière de protection sociale, les employeurs français amenés à confier des fonctions à l’étranger à leurs salariés ont deux possibilités : le détachement ou l’expatriation.Le salarié détaché conserve le bénéfice du régime général de sécurité sociale (prévu au Livre II du Code de la Sécurité Sociale, ci-après CSS) tandis que le salarié expatrié n’y est plus affilié (régime d’assurance optionnel auprès de la Caisse des Français de l’Étranger - CFE- prévu au Livre VII du CSS).
Ce choix a également des incidences en matière de taxes assises sur les salaires (taxe sur les salaires ; taxe d’apprentissage ; participation à la formation professionnelle continue ; investissement obligatoire dans la construction).
Pour l’application de ces taxes, l’administration fiscale estime à notre avis à tort que les salaires versés à des salariés expatriés doivent être inclus dans les bases imposables. Elle redresse donc les employeurs qui n’ont pas inclus ces rémunérations dans leurs bases d’imposition.
Les premières décisions juridictionnelles sur cette question de territorialité des taxes assises sur les salaires sont le jugement du Tribunal Administratif de Paris du 27 mai 2009 et l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris du 14 décembre 2010.
La question posée aux juges était de savoir si les rémunérations versées à du personnel français expatrié par leur employeur français devaient être incluses dans l’assiette de la taxe d’apprentissage, participation des employeurs à la formation continue et participation des employeurs à l’effort de construction. La taxe sur les salaires elle-même n’était pas concernée.
Les textes du Code Général des Impôts (CGI) applicables à ces taxes renvoient aux chapitres I et II du titre IV du Livre II du CSS c'est-à-dire à l'assiette des cotisations de sécurité sociale du régime général.
L’administration fiscale considère que la référence faite à l’assiette des cotisations de sécurité sociale ne concernait que les règles d’évaluation des salaires à inclure dans la base imposable et non les règles de territorialité.
Pour trancher le litige, il convenait donc de déterminer la portée de la définition de l’assiette de ces taxes par référence à celle des cotisations au régime général de Sécurité Sociale.
En l’absence de précision jurisprudentielle ou doctrinale sur ce point, la réponse à cette question implique de se référer à la volonté du législateur lors du vote de la Loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d’ordre social. C’est depuis l’entrée en vigueur de cette loi que les articles du CGI régissant la taxe d’apprentissage, la participation à la formation professionnelle continue et la participation des employeurs à l’effort de construction, renvoient aux chapitres I et II du titre IV du Livre II du CSS.
Il ressort des propos du ministre du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (JO AN, 3ème séance, 10 décembre 1994, page 8765), que le Législateur a eu clairement pour but d’instaurer une assiette commune aux taxes assises sur les salaires et aux cotisations de sécurité sociale relevant du régime général sans avoir à distinguer entre les règles relatives au calcul des rémunérations imposables et à leur territorialité.
Les expatriés ne relèvent pas du régime général mais d’un régime d’assurance volontaire auprès de la CFE auquel ils peuvent adhérer (régime prévu au Livre VII et non au Livre II).
Les salaires versés aux expatriés ne devraient donc ni être inclus dans les bases des cotisations sociales du régime général de sécurité sociale, ni, en raison de la règle d’identité d’assiette, dans les bases imposables des taxes assises sur les salaires.
Cette solution respecte le principe de territorialité du droit social français selon lequel c’est l’exercice d’une activité professionnelle en France qui conditionne le rattachement à la protection sociale française. On notera en outre que la solution aurait sans doute été identique sans référence aux règles de protection sociale conformément à la jurisprudence ancienne du Conseil d’État.
La Cour Administrative d’Appel de Paris a confirmé la solution rendue par les premiers juges. Un pourvoi en cassation a cependant été formé par l’administration fiscale (en cours de procédure d’admission).
Cette solution, favorable aux entreprises, aura un retentissement important pour celles mettant en place des politiques de détachement ou d’expatriation, dans la mesure où la règle ainsi posée nous semble devoir être étendue à la taxe sur les salaires (la Loi de Finances pour 2001, n° 2000-1352 du 30 décembre 2000 a aligné l’assiette de la taxe sur les salaires proprement dite sur celle des cotisations de sécurité sociale du régime général).
Cette décision mettra également un terme aux nombreux contentieux existant aujourd’hui sur ce point.
Cédric Deschamps, avocat, Directeur associé, et Pierre Pasco, avocat, département Droit fiscal, cabinet FIDAL