Contrats informatiques : panorama de la jurisprudence 2010

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Stéphane Leriche et Eléonore Varet - Avocats - Bird & Bird Stéphane Leriche et Eléonore Varet, avocats Bird & Bird nous proposent un panorama de la jurisprudence 2010 en matière de contrats informatiques.

 

Toujours relativement nourri, le contentieux des contrats informatiques fournit l’occasion de confronter à la réalité technique et pratique certains des grands principes du droit des contrats dont l’application au fil des espèces permet de dégager les lignes d’évolution d’une matière dont la sphère d’influence n’est plus cantonnée aux seuls spécialistes et geeks du monde juridique.

Parmi les points d’intérêt identifiés, le contentieux 2010 investit le territoire des vices du consentement et, plus classiquement, contribue à l’appréhension de la portée de l’obligation de délivrance conforme, de l’obligation de conseil et des clauses limitatives de responsabilité. Il précise également les critères et méthodes d’indemnisation de la perte de chance.

1.    Quand le dol fait irruption…gare aux conséquences


La décision du Tribunal de Grande Instance de Niort du 14 décembre 2009 (1) a été largement commentée. En substance, le Tribunal a considéré qu’en gardant le silence quant au risque fort de dérive du projet d’intégration CRM, lequel résultait de l’engagement ferme d’IBM sur le planning et le chiffrage global du projet en phase de conception, IBM avait obtenu une adhésion viciée de la MAIF aux éléments essentiels l’ayant conduite à contracter. Pour retenir le dol, les juges ont souligné la qualité de professionnel hautement qualifié d’IBM qui figurait expressément au contrat et indiqué que ce dol initial avait en outre été perpétué par la conclusion ultérieure de plusieurs protocoles à l’occasion desquels IBM avait maintenu la MAIF dans l’illusion du caractère forfaitaire du projet et du respect du périmètre initial.

Jugée coupable de réticence et manœuvres dolosives, IBM est ainsi condamnée à restituer à MAIF les montants versés au titre du contrat annulé pour dol ainsi qu’à lui verser plus de 9 millions de dommages et intérêts. Cette décision, d’une sévérité exemplaire dans un contexte traditionnellement propice aux dérives budgétaires et de calendrier(2), n’a pas manqué de susciter l’émoi des prestataires informatiques. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que la rigueur d’une telle solution pourrait induire des effets pervers sur la pratique des contrats d’intégration de systèmes.

Le contrat d’intégration pourrait ainsi se trouver transformé en une sorte de « mille feuilles » contractuel, où chaque étape (étude, conception générale, conception détaillée, réalisation, déploiement, etc.) ferait l’objet d’une contractualisation spécifique. Ceci sonnerait le glas des projets au forfait et aux délais impératifs négociés en début de projet, généralement exigés par les clients eux-mêmes. Il convient, en effet, de ne pas sous-estimer l’attitude du client, souvent à l’origine de chiffrages et délais irréalistes dictés par des directions de projet ou acheteurs sous pression interne et bénéficiant de l’effet de levier de la mise en concurrence. Introduire plus de souplesse et de mesure dans les processus d’appel d’offres permettrait à n’en pas douter d’éviter un grand nombre de litiges dans ce domaine très risqué de l’intégration de systèmes.

En tout état de cause, l’obligation de délivrance conforme paraîtrait un terrain plus approprié pour sanctionner ce type de manquements, notamment dans le souci de préserver la sécurité contractuelle(3)

.

2.    L’obligation de délivrance conforme dans tous ses états

L’obligation de délivrance conforme deviendrait-elle de plus en plus « relative » ? Certains arrêts étudiés  exigent la démonstration de la gravité des défauts pour qu’un manquement du prestataire à son obligation de délivrance conforme soit constaté, la seule constatation de l’existence ou de la subsistance de défauts étant insuffisants à engager la responsabilité du prestataire et/ou justifier la résiliation ou la résolution du contrat.

Ainsi, dans un arrêt du 8 octobre 2010(4), la Cour d’appel de Paris a considéré que la résiliation par le client du contrat à durée déterminée d’installation informatique avant son terme était fautive dans la mesure où « il a[vait] pu être remédié à certains dysfonctionnements dont l’émergence était inévitable dans le cas de l’adaptation d’un progiciel à une installation informatique complexe [et que le client] ne justifi[ait] d’aucun manquement suffisamment grave justifiant de résilier la convention ». L’arrêt précise que le manquement ne pouvait résulter des seuls reports des délais et dépassement de prix, lesquels avaient, en outre, été acceptés par le client.

Allant encore plus loin dans cette voie, la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 24 mars 2010(5), a infirmé le jugement qui lui était déféré en ce qu’il a prononcé la résolution judiciaire du contrat de maîtrise d’œuvre et de fourniture d’un système intégré aux torts du prestataire, chacune des parties ayant, selon la Cour, contribué au non respect du délai de livraison et la persistance des non-conformités n’ayant pas revêtu au regard de la complexité applicative une gravité suffisante pour justifier la résolution de la convention. La solution interpelle dans la mesure où en l’espèce, le prestataire était débiteur d’une obligation de résultat au titre de la livraison de la solution intégrée, ce qui confirme que cette notion ne saurait être l’ « assurance tous risques » du cocontractant utilisateur et que celle-ci doit refléter un minimum la réalité opérationnelle. Il est depuis longtemps établi en jurisprudence que la participation du créancier à l’exécution de la prestation est un facteur exclusif de l’obligation de résultat, quand bien même cette règle est diversement appliquée. La Cour d’appel relève également l’évolution des besoins fonctionnels du client et le caractère résiduel des défauts au soutien de cette application stricte des conditions de la résolution judiciaire.

Le caractère résiduel des défauts a été retenu dans un autre arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 14 septembre 2010(6) qui a considéré que la rupture par le client du contrat d’installation d’un progiciel était non seulement brutale mais injustifiée, l’expertise ayant fait ressortir que les défauts subsistant à cette date étaient facilement corrigibles et auraient pu l’être rapidement. Là encore, l’obligation de délivrance conforme du prestataire était expressément qualifiée d’obligation de résultat.

La Cour d’appel de Versailles a même expressément qualifiée l’obligation de délivrance conforme du prestataire d’obligation de moyens dans l’arrêt précité du 20 mai 2010(7) retenant que « compte tenu de la complexité de l’opération, son obligation de délivrance du matériel permettant de faire fonctionner en réseau une installation partiellement préexistante s’analyse en une obligation de moyens » et que « quand bien même elle ne serait pas parvenue à assurer le fonctionnement en réseau, CMT au regard des diligences accomplies doit être considérée comme ayant satisfait à son obligation de délivrance conforme ».

Une limite à ce glissement résulte de la non-régression. En cas de régression par rapport à la solution précédente, le manquement à l’obligation de délivrance conforme est caractérisé. Ainsi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 17 novembre 2010(8), a retenu la responsabilité du prestataire au motif de l’absence de fourniture d’une fonctionnalité du logiciel dans des conditions au moins aussi satisfaisantes que celles offertes par la solution précédente, dans la mesure où ladite fonctionnalité d’édition de devis avait été déterminante du consentement du client.

3.    L’obligation de conseil et le privilège du profane

La généralisation du recours à l’informatique professionnelle et la spécialisation et la compétence de plus en plus en forte des directions des systèmes d’information ont conduit à la remise en cause de la dichotomie caricaturale entre le prestataire -professionnel averti- et le client- utilisateur démuni. En matière d’obligation de conseil le «privilège du profane » tend ainsi à s’estomper.

Le client ne peut, en effet, plus se retrancher systématiquement derrière cette qualité pour engager la responsabilité du prestataire. Dans un arrêt du 2 septembre 2010(9), la Cour d’appel de Versailles relevait ainsi qu’ « eu égard aux relations commerciales établies depuis plusieurs années, à la connaissance empirique des besoins, les solutions proposées ont pu valablement être élaborées au cours de plusieurs réunions de travail antérieures aux commandes et d’après les éléments transmis à cette occasion » de sorte que le prestataire n’avait pas manqué à son obligation de conseil.

Dans un autre arrêt en date du 20 mai 2010(10), la même Cour d’appel retenait que « le choix de la solution a été opéré en parfaite connaissance de cause et [que] malgré la complexité de l’opération, le client s’[était] volontairement privé de toute la phase préalable d’étude, alors que celle-ci avait été conseillée par le prestataire ».

4.    La portée restaurée des clauses limitatives de responsabilité : l’arrêt Faurecia

« Seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur. Le plafond de dommages et intérêts convenu n’étant pas dérisoire ni injustifié, il ne vide pas l’obligation contractée de toute substance et doit s’appliquer »  .

Après une période d’incertitude, l’arrêt Faurecia revient donc à une solution plus orthodoxe s’agissant de la condition de validité d’une clause limitative et de l’appréciation de la faute susceptible de priver cette clause d’efficacité.

Au stade de la formation du contrat, la clause qui vide de toute substance l’obligation essentielle, comprise comme le « but final » du contrat , le prive de cause. Au stade de l’exécution du contrat, seule une faute lourde, entendue subjectivement, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat, celle-ci ne pouvant résulter du seul manquement à une obligation contractuelle.

L’arrêt ayant été abondamment commenté, on ne retiendra ici que ses implications pratiques. L’insertion d’une clause limitative de responsabilité dans un contrat suppose que :

-    le montant du plafond stipulé doit être librement négocié et suffisant pour contraindre le débiteur à exécuter l’obligation essentielle du contrat,
-    la limite de responsabilité doit être un juste reflet de la répartition du risque,
-    le contrat doit prévoir des contreparties à cette limitation ; et
-    le contrat doit refléter l’équilibre entre les droits et obligations réciproques des parties.

5.    Réparation du préjudice : gros plan sur la perte de chance

Dans le contentieux d’échec de projets informatiques, le préjudice de perte de chance figure toujours au nombre des postes dont la réparation est sollicitée. Perte de chance d’achever le projet, perte de chance de conclure d’autres contrats/conquérir de nouveaux marchés et perte de chance de percevoir les revenus de maintenance, côté prestataire, et perte de chance d’améliorer ses résultats, côté client…l’imagination n’a pas de limite en ce domaine. La perte de chance peut être réparée dès lors que la chance était sérieuse et que la perte peut être correctement démontrée.

Un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 29 janvier 2010 rappelle les méthodes de chiffrage de ce préjudice particulier. En l’espèce, le prestataire s’était engagé à informatiser deux sociétés d’un groupe spécialisé dans les armatures métalliques notamment en développant des logiciels spécifiques. Dans le cadre d’une première expertise ordonnée en référé, l’expert a relevé que l’inexécution du contrat avait causé un préjudice de 965 154,73 euros. Les sociétés ont alors assigné le prestataire en résolution partielle du contrat et restitution partielle des sommes versées et demandé l’indemnisation de leur préjudice. Insatisfaites des dommages et intérêts qui leur étaient alloués en première instance, les sociétés interjetaient appel du jugement sur le chiffrage retenu. Une expertise était ordonnée avant dire droit en appel pour évaluer leur préjudice économique de perte de chance d’avoir pu améliorer leurs résultats et développer leur activité plus rapidement.

L’expert, après avoir déterminé une année de référence pertinente, a chiffré la perte de résultat d’exploitation constatée pour les années concernées, tout en tenant compte d’un fléchissement de la marge sur coût variable à raison de l’évolution des conditions du marché, et fixé cette perte à 49 420 euros pour l’une et 79 327 euros pour l’autre. En l’absence d’explication des sociétés appelantes sur la corrélation entre le montant de l’investissement effectué et le montant du gain qu’elles escomptaient, la Cour d’appel, rappelant que s’agissant d’une perte de chance, le dommage ne peut qu’être inférieur au gain manqué, indemnise la perte des sociétés d’avoir de meilleurs résultats à hauteur de 25 000 euros pour l’une et 30 000 euros pour l’autre.

*    *    *

Les décisions étudiées laissent penser que le contentieux des contrats informatiques profite aux défendeurs. En outre, peu de décisions d’infirmation y figurent. En tout état de cause, plutôt qu’un contentieux indemnitaire, le contentieux des contrats informatiques est largement un contentieux de résolution des contrats, soit par l’effet d’une clause résolutoire, soit par le biais d’une résolution judiciaire, remettant les parties, à la suite de restitutions réciproques (totales ou partielles, en nature ou par équivalent) dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat. L’indemnisation des préjudices est en effet le plus souvent accessoire à une demande principale en résolution du contrat dont l’exécution est litigieuse.

A suivre en 2011…

Stéphane Leriche, associé, Bird&Bird AARPI, Paris
Eléonore Varet, collaboratrice, Bird&Bird AARPI, Paris

Notes

(1) TGI Niort, 14 décembre 2009, MAIF/IBM, n°09-00580.

(2) Comment ne pas rapprocher cette espèce de la désormais mythique décision de la High Court of Justice de Londres rendue en janvier 2010 condamnant EDS à verser à BSkyB un montant (à parfaire !) de 230 millions d’Euros à la suite de l’échec d’un projet d’intégration d’une solution CRM. Dans cette espèce également, les déclarations trompeuses du prestataire ont justifié la sévérité de la solution (condamnation pour fraudulent misrepresentation).

(3) La qualification de dol rend inopérante les mesures contractuelles de gestion des risques et notamment les clauses limitatives de responsabilité.

(4) Cour d’appel de Paris, 8 octobre 2010, SAS Compagnie Albingia/SARL Soserbat, n°07-20690.

(5) Cour d’appel de Versailles, 24 mars 2010, Allianz IARD/GFC-BTP, n°08-04309.

(6) Cour d’appel de Toulouse, 14 septembre 2010, SA Ceicom/SAS Caminel, n°08-06386.

(7) Cour d’appel de Versailles, 20 mai 2010, SAS CTM/Publicis Dialog

(8) Cour d’appel de Paris, 17 novembre 2010, BRZ France/Pharos, n°09-06845.

(9) CA Versailles, 2 septembre 2010, SAS Aptetude/SAS Sepur, n°09-03022.

(10) CA Versailles, 20 mai 2010, SAS CTM/Publicis Dialog, n°09-01260.

(11) Cass. Com., 29 juin 2010, Oracle/Faurecia, n°09-11841.

(12) Cass. Com., 13 février 2007, Bull. Civ. 2007, IV, n°43.


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