L’omission du médecin de procéder a un interrogatoire sur les antécédents médicaux constitue une faute pénale; analyse de Magdy Habchy.
La question de l’appréciation de la faute non intentionnelle commise par certains professionnels (exposés à des risques quotidiens liés à la pratique de leur activité) a suscité, et continue à susciter, une vive discussion – alimentant ainsi une grande controverse quant à la nature de la faute exigée pour engager ce type de responsabilité.
L'arrêt du 18 octobre 2011, qui s’inscrit dans ce climat de controverses, fournit des indications de nature à éclairer la position de la Chambre criminelle de la cour de cassation.
Sommairement brossés, les faits sont les suivants :
Le 23 juillet 1998, souffrant de douleurs thoraciques et à la gorge, un patient s'est présenté au service des urgences d’un établissement hospitalier où il a été examiné par le médecin de service, le docteur X. qui, après un examen endo-buccal, l’a adressé à un médecin ORL pour une inflammation de la gorge.
Le lendemain, devant des douleurs persistantes, le patient s'est rendu chez son médecin traitant puis chez un cardiologue qui a pratiqué un électrocardiogramme révélant un infarctus du myocarde et a demandé son hospitalisation immédiate.
Le patient est ensuite décédé à l’hôpital le 1er août, à l’âge de 68 ans, d’un arrêt circulatoire en rapport avec un trouble du rythme ventriculaire ou une rupture myocardique consécutive à un infarctus.
A l’issue de l’information, ouverte sur la plainte du fils de la victime, le Dr X. a été renvoyé devant le tribunal correctionnel qui l’avait déclaré coupable du chef d’homicide involontaire. Cette condamnation fut confirmée par l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 25 novembre 2010, contre lequel, la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi.
Par le présent arrêt, la chambre criminelle a confirmé cette condamnation.
Si la solution retenue n’est pas nouvelle, cet arrêt apporte néanmoins deux mises au point : d’une part, il rappelle la nécessité du lien de causalité et, d’autre part, il indique le mode d’appréciation de la gravité de la faute commise par un professionnel. Certes, les principes retenus ici par la chambre criminelle sont classiques mais l’application qui en est faite peut susciter certaines interrogations.
S’agissant d’abord du lien de causalité
La haute juridiction a considéré que la faute commise par le médecin urgentiste le 23 juillet entretient un lien de causalité certain avec le décès de la victime intervenu 9 jours après. La signification de cette affirmation est limpide en ce qui concerne le rôle causal ainsi attribué à la faute commise par le prévenu, mais la cour laisse de coté la question de la pluralité des causes ayant contribuée à la réalisation du résultat (l’intervention postérieure d’autres médecins et l’hospitalisation du patient, surtout le non signalement par le patient de ces antécédents).
Cette jurisprudence se comprend aisément à travers la solution jurisprudentielle qui retient la théorie de la causalité équivalente en cas d’infraction involontaire. En effet, selon une jurisprudence bien établie, il suffit que la faute du prévenu soit l’une de causes ayant contribué au résultat.
Il faut préciser ici qu’en matière médicale le rôle causal est généralement déterminé par des experts aptes à trancher une telle question technique. Ce point étant fixé par des experts, les magistrats se contentent d’attribuer la qualification sans vouloir revenir sur l’enchainement des causes. Cela permet évidemment aux magistrats, comme en l’espèce, d’éviter la charge de porter un jugement sur des questions éloignées de leur compétence.
Mais si le caractère technique du lien de causalité peut ainsi échapper à un véritable contrôle du juge, la question de la gravité de la faute constitue quant à elle, une véritable question juridique.
S’agissant de l’appréciation de la gravité de la faute commise
La chambre criminelle approuve le mode d’appréciation in concreto de la faute adopté par les juges du fond. La haute juridiction estime que la cour d’appel a justifié sa décision en considérant que le prévenu a commis « des négligences graves et fautives qui l’ont empêché d’établir un diagnostic éclairé » en omettant de procéder à un interrogatoire sur les antécédents médicaux du patient et à un examen médical complet et, par ailleurs « que cette faute caractérisée a crée la situation ayant permis la réalisation du dommage en ne permettant pas une prise en charge susceptible d’éviter son décès ». En d’autres termes, selon la chambre criminelle, reprenant la formule de l’article 121-3 du code pénal, le prévenu « a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ».
En adoptant un mode d’appréciation concret, ce que les magistrats relèvent à l’encontre du prévenu, c’est le fait de commettre une faute antérieure qualifiée comme « des négligences graves et fautives », commises par un « médecin expérimenté et disposant des compétences et moyens pour exercer ses fonctions ». Cette référence est, en réalité, la reproduction du critère abstrait d’un « homme normalement prudent », et lorsque ce critère est applicable à des professionnels, un médecin en l’occurrence, on substitue la notion du « bon médecin » au mode d’appréciation général. Ainsi, ce critère abstrait devient alors concret en prenant en considération les circonstances entourant les faits.
Or, ce qu’il faut signaler à ce propos, c’est le fait de retenir la faute antérieure du prévenu. Ce qui est reproché au prévenu c’est non d’avoir commis une erreur grave de diagnostic mais d’avoir omis de procéder à un interrogatoire sur les antécédents médicaux de la victime et à un examen médical complet « qui l’ont empêché d’établir un diagnostic éclairé ». C’est cette faute antérieure qui a été considérée comme constituant la cause du décès de la victime, intervenue pourtant 9 jours après.
Cette prise en considération de la faute antérieure est habituelle en matière d’homicide involontaire, mais on peut légitimement se demander si cette antériorité, cet éloignement, n’est pas de nature à affaiblir considérablement le lien causal, cela d’autant plus que la jurisprudence retient, en la matière, la théorie de causalité équivalente – rendant déjà le rapport causal très fragile dans la mesure où la moindre faute est considérée comme cause du résultat. Or, cette double intervention de la faute antérieure d’une part, et l’équivalence de cause d’autre part, est susceptible d’enlever à la faute commise son caractère grave initial et de rendre, en dernière analyse, l’exigence légale de caractérisation de la faute, superfétatoire.
Magdy Habchy
Maître de Conférences
Faculté de Droit et de Sciences Politiques de Reims
Université de Reims Champagne Ardenne
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