Délais de paiement : l’hésitation à perpétuer une exception au délai légal

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Aurélie Dantzikian Frachon, Avocate Associée, Lamy LexelAurélie Dantzikian Frachon, avocat associé de Lamy Lexel, analyse la timidité des législateurs à instaurer une exception au délai légal de paiement inter-entreprises, notamment après l'expiration, le 31 décembre 2011, des accords professionnels dérogatoires.

Depuis quelques mois, des groupes de pression s’étaient organisés afin de pérenniser certaines exceptions au délai de règlement maximum de 60 jours ou 45 jours fin de mois. 

Rappelons que, en 2008, la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) avait laissé la possibilité à certains secteurs d’activité de conclure des accords interprofessionnels, dérogatoires au plafond légal des délais de paiement, au motif que ces secteurs connaissaient des situations particulières de rotation de stocks ou des délais de paiement très spécifiques.
Or, conformément à la LME, ces accords interprofessionnels dérogatoires devaient tous expirer le 31 décembre 2011, amenant ainsi les entreprises appartenant aux quelques 36 secteurs d’activité qui échappaient encore au plafonnement légal des délais de paiement à entrer dans le rang et à régler leurs fournisseurs selon le droit commun.

Sous la pression de certains groupes, un projet d’amendement visant à pérenniser ces accords avait été intégré au projet de loi sur la protection des consommateurs. 
Ce projet de loi intervenait dans le cadre de la transposition en droit interne de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales qui prévoit que le délai de paiement inter-entreprises fixé dans le contrat ne doit pas excéder soixante jours civils, tout en laissant la possibilité de stipuler un délai différent dans le contrat, sous réserve que « cela ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ».

Profitant de la possibilité offerte de déroger au délai de principe, l’article 1er bis A III de la loi avait donc pour objet de prévoir la possibilité d’inclure dans des accords interprofessionnels des délais de paiement plus longs que les délais légaux de l’article L 441-6 du Code de Commerce et ce, pour les secteurs "déjà couverts par un accord conclu conformément à l’article 21 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et dont la vente ou la prestation présente un caractère saisonnier particulièrement marqué."
Les accords devaient donc être limités dans la durée et être conclus avant le premier jour du septième mois suivant la publication de loi. 

Nous aurions pu d’ores et déjà gager que la notion de saisonnalité particulièrement marquée susciterait des débats. Toutefois, il aurait semblé complexe, pour un secteur n’ayant pas motivé par le caractère saisonnier de ses activités, sa demande d’accord dérogatoire sous l’empire de la LME, de se prévaloir aujourd’hui dudit caractère.

Auraient donc été susceptibles de rester dans la course au maintien d’un délai plus long, les secteurs tels que le jouet, l'horlogerie-bijouterie-orfèvrerie-joaillerie, la papeterie, la fourniture et bureautique, les deux/trois roues motorisées et quads, le nautisme, le jardin amateur, l'agrofourniture, l'agroéquipement, l’optique lunetterie, les articles de sport, la pêche de loisirs, les véhicules de loisirs, les compléments alimentaires, le textile – habillement…

Néanmoins, ce ne fut qu’un espoir déçu pour les négociants intervenant dans ces secteurs. En effet, cette possibilité de laisser survivre les accords interprofessionnels dérogatoires a été supprimée par le Sénat lors de l’adoption du texte en fin d’année 2011 du fait de la présence d’une disposition identique dans la proposition de loi de simplification du droit qui devait être examinée par le Sénat en janvier 2012.
Quant à cette dernière proposition de loi de simplification du droit, le Sénat l’a purement et simplement rejetée estimant, que, au même titre que le critère de "caractère saisonnier particulièrement marqué" qui en est un parfait exemple, il serait parfaitement abusif de voter des mesures aussi lourdes de conséquences, "nécessitant un débat approfondi, au titre des "diverses mesures d'ordre ponctuel" d'un texte de simplification du droit".
La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur ladite proposition de loi, réunie le mercredi 18 janvier 2012, "a constaté qu’elle ne pouvait parvenir à élaborer un texte commun".

Au vu de la tendance récente de la détérioration des délais de paiement du fait du contexte économique actuel (hausse des retards d’un ou deux jours par mois en France depuis le printemps 2011), il semble que l’objectif visant à continuer à inciter les opérateurs à réduire les délais de paiement soit poursuivi, les accords dérogatoires ayant tous expiré le 31 décembre 2011. 
Pour atteindre ce même but, il faudra également compter, non seulement sur l’harmonisation du délai maximum, sauf exceptions non manifestement abusives, dans les Etats membres de l’Union Européenne, mais aussi sur les autres dispositions de la directive européenne du 16 février 2011 qui, une fois transposées, permettront au créancier de demander, de plein droit et sans autre formalité, en cas de retard de paiement et outre le paiement d’intérêts de retard, le versement d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dont le montant, sans pouvoir être inférieur à 40 euros, sera fixé par l’acte de transposition.

Par ailleurs, en cas de frais de recouvrement supérieurs à cette indemnité forfaitaire, le créancier pourra toujours demander une indemnisation complémentaire sur justification. Il est donc tout à fait possible d’anticiper la transposition à venir et d’adapter ses pratiques et documents commerciaux (CGV, factures …) en fonction de ces dernières évolutions, notamment afin de renforcer les sanctions possibles en cas de retard de paiement, tant dans leur montant que dans leur caractère automatique.

Dans une période où le crédit bancaire s’amenuise et où la France est épinglée par la Commission européenne pour son manque de productivité par salarié, la réduction des délais de paiement à moins de soixante jours est, plus que jamais, vue comme un bon moyen de financer une économie européenne ralentie.

 


Aurélie DANTZIKIAN FRACHON
Avocat Associé, Lamy Lexel

© LegalNews 2012

 

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