Dans le prolongement des différentes batailles judiciaires menées par les associations de consommateurs à l’encontre des fabricants et distributeurs d’ordinateurs, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion, le 12 juillet dernier, de se prononcer en faveur de ces derniers, considérant, en l’espèce, que la vente d’ordinateurs avec logiciels d’exploitation intégrés n’était pas une pratique commerciale déloyale.
Outre que cette décision clarifie la position de la Haute Juridiction sur une question soulevée depuis quelques années déjà, elle manifeste aussi la persévérance des associations de consommateurs qui, pour parvenir à leur fin, à savoir, faire interdire en l’occurrence la commercialisation d’ordinateurs avec logiciels d’exploitation intégrés, ont fait preuve d’une grande créativité en adaptant leurs arguments juridiques à la jurisprudence communautaire et aux modifications législatives survenues en la matière.
Les arguments invoqués par les associations de consommateurs se sont en effet transformés après que l’article sur lequel elles se fondaient, l’article L.122-1 du Code de la consommation, a été modifié sous l’influence d’une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendue en 2009 (Cour de Justice des Communautés Européennes à l’époque).
L’article L.122-1 du Code de la consommation, tel que rédigé avant sa modification, prohibait en effet la "vente liée" de manière générale. La stratégie des associations de consommateurs consistait alors à soutenir que la vente d’ordinateurs avec logiciels d’exploitation intégrés rentrait précisément dans cette catégorie de vente prohibée par la loi, tandis que les fabricants et distributeurs soutenaient au contraire que la qualification de "vente liée" ne s’appliquait pas à leur pratique.
Dans une décision rendue le 23 avril 2009 cependant, la Cour de Justice a considéré qu’une prohibition de principe de ventes liées était contraire au droit communautaire et qu’une telle vente ne devait être interdite que si, à l’issue d’un examen concret au regard de certains critères définis par la Directive 2005/29/CE, elle constituait une pratique commerciale déloyale.
Ainsi, laissant de côté la discussion sur la qualification de "vente liée", les associations de consommateurs s’attèlent désormais à démontrer le caractère déloyal de cette pratique, arguant à titre d’exemple, que le manque d’information relatif au prix de l’ordinateur d’une part, et du logiciel d’autre part, caractériserait la déloyauté.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue (1) la décision du 12 juillet 2012 dans laquelle la Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce, le caractère déloyal de la vente d’ordinateurs avec logiciels d’exploitation intégrés faisait en l’espèce défaut eu égard aux critères requis par la loi.
La saga des litiges qui opposant les associations de consommateurs aux fabricants et distributeurs d’ordinateurs depuis quelques années est l’occasion de faire le point sur l’évolution du droit applicable en la matière, et plus précisément d’observer l’argumentation évolutive des opposants à la vente d’ordinateurs pré-équipés de logiciels ont modifié leurs arguments juridiques afin d’optimiser leurs chances de succès.
Il faut pour cela, distinguer selon que l’on se situe avant ou après l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne du 23 avril 2009 dans lequel la Cour de Justice, se référant à la directive n°2005/29 CE du 11 mai 2005, a considéré qu’aucune législation nationale ne pouvait prohiber de manière absolue les ventes liées, mais qu’il fallait, pour les exclure, que leur caractère déloyal soit démontré au cas par cas, selon des critères définis par la directive elle-même.
S’inspirant de cette décision, le droit français applicable à la matière a connu une évolution puisqu’une (2) loi du 17 mai 2011 est venue modifier certains des articles du Code de la consommation pour les ajuster au droit communautaire.
Or, conséquence de cette évolution, la nature des arguments juridiques invoqués par les associations s’est modifiée en ce que le débat s’est déplacé (i) du point de savoir si les ordinateurs pré-équipés de logiciels pouvaient être qualifiés de vente liée, et partant, être exclus du marché du fait même de cette qualification prohibée, (ii) à celui de savoir si les modalités de cette vente liée pouvaient caractériser la déloyauté nécessaire à en obtenir l’exclusion.
En effet, à l’époque où le droit français interdisait purement et simplement la vente liée, il suffisait aux associations de démontrer qu’une telle qualification s’imposait aux ordinateurs pré-équipés de logiciels puisqu’il s’agissait nécessairement d’un assemblage de différents matériels… Les fabricants et distributeurs de tels ordinateurs quant à eux, contestaient cette qualification duale, en tentant de démontrer que ces ordinateurs formaient un tout unique, que si divers éléments avaient été assemblés, ils étaient désormais indissociables, que chaque élément était indispensable au tout, et que c’est l’ensemble, tel qu’il était vendu, qui permettait au consommateur une prise en main plus aisée.
Or, la qualification de vente liée étant devenue juridiquement indifférente depuis l’intervention du droit communautaire. C’est désormais sur les modalités de ces ventes qu’a lieu le débat et plus précisément, sur la démonstration de leur caractère déloyal.
A cette fin, les associations s’acharnent à démontrer que l’absence d’information relative au prix du logiciel seul, ou encore relatif à l’existence d’alternative à ces ventes – par exemple, la possibilité offerte au consommateur d’acheter un ordinateur nu et d’y installer par la suite un logiciel – entacherait ces ventes du caractère déloyal requis.
Quel est dès lors le contenu de l’information que les fabricants et distributeurs d’ordinateurs avec logiciels pré-intégrés devraient délivrer au consommateur afin que de telles ventes ne fassent pas l’objet d’une interdiction ? Deux types d’informations sont à distinguer : celles permettant au consommateur de connaitre le prix des logiciels intégrés, et celles lui permettant de savoir qu’il existe des alternatives aux ventes liées.
Concernant l’information relative au prix ventilé, (3) la 1ère Chambre civile a considéré, le 12 juillet 2012 , qu’elle n’avait pas à être délivrée. Elle répond en effet à la Cour d’appel selon laquelle "(…) l’absence d’information sur la valeur d’éléments substantiels comme le prix du logiciel d’exploitation rédui[sait] [l]es choix [du consommateur] en ce qu’il ne peut comparer leur valeur avec d’autres propositions (…)", qu’il ne résultait pas de ces motifs que "la vente litigieuse présentait le caractère d’une pratique déloyale". La position de la Cour semble donc être désormais claire sur ce point ; les fabricants et distributeurs ne devraient pas voir la vente des ordinateurs avec logiciels pré-intégrés exclue pour pratique déloyale si ceux-ci n’indiquaient qu’un prix global.
La délivrance de l’information relative aux alternatives à ces ventes liées semble, quant à elle, devoir s’imposer aux fabricants et distributeurs.
En effet, si la Cour de cassation a considéré dans l’arrêt précité que la vente litigieuse n’était pas constitutive d’une pratique commerciale déloyale, c’est aussi parce que la société d’ordinateurs mise en cause avait pris soin d’indiquer que les consommateurs pouvaient également, en se dirigeant vers un site dédié aux professionnels, se procurer des ordinateurs nus même si cette opération pouvait s’avérer délicate.
Il semblerait donc, pour échapper à la qualification de pratique déloyale, qu’il faille, non pas nécessairement indiquer le prix séparé des logiciels intégrés à l’ordinateur, mais rappeler au consommateur qu’il n’est jamais contraint d’acheter un ordinateur avec logiciels intégrés, et qu’il lui est loisible de choisir un ordinateur nu, quitte à y intégrer lui-même et avec plus de difficultés les logiciels qu’il désirerait avoir.
Par Laurent Martinet, Associé, et Ozan Akyurek, Jones Day
1. Cass. 1ère Chambre civile 12 juillet 2012, n°11-18807
2. Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 "de simplification et d'amélioration de la qualité du droit"